Critique sur GameSideStory, avec une meilleure mise en page et screenshots.
Quadrilateral Cowboy est le dernier jeu de Brendon Chung, l’unique membre du studio Blendo Games, déjà auteur de tout un tas de jolies choses telles que Gravity Bone, Flotilla, Atom Zombie Smasher ou Thirty Flights of Loving. Déjà gagnant de l’IndieCade 2013, Quadrilateral Cowboy se faisait attendre depuis 2012 déjà, cumulant les récompenses et les bons retours suite à une première version du jeu. Il faut dire que le pitch donnait plus qu’envie, le jeu étant décrit comme une aventure cyberpunk basé autour de braquages et d’hacking, le tout dans la même veine que Gravity Bone et Thirty Flights of Loving.
Quadrilateral Cowboy suit ainsi les aventures à travers ce monde rétro-futuriste (le tout se déroulant à la fin du vingtième siècle) de trois femmes qui, suite à l’échec de leur entreprise, se tournent vers le hacking et le braquage pour gagner leur vie. Je m’en tiendrais là en ce qui concerne l’histoire même et les détails, je pense que c’est des choses qui méritent vraiment d’être découvertes à travers la narration si particulière et passionnante propre aux jeux de Blendo Games. Et surtout, la narration visuelle étant souvent plus à même de laisser la liberté d’interpréter ce qui se déroule, j’aimerais éviter d’influencer d’éventuels (futurs) joueurs. Les braquages se présentent donc sous forme de puzzles avec des objectifs simples – non sans rappeler Gravity Bone – et devant se résoudre grâce au hacking, tapant sur un vieux laptop des commandes pour contrôler les divers gadgets que l’on obtient au fur et à mesure du jeu. Quadrilateral Cowboy se renouvelle sans arrêt, les différents niveaux s’enchaînant sans se ressembler. Le jeu arrive, de par l’efficacité de son gameplay et de sa narration, à installer une certaine routine chez le joueur, soutenue par les “interludes” entre chaque braquage, plus orientés exploration et tranches de vie. On ne s’ennuie alors jamais et, selon qu’on préfère l’exploration et la découverte à travers une narration fascinante ou bien le hacking et ses puzzles (ou les deux, évidemment !), le jeu contentera autant le joueur. D’un côté, on peut passer toutes les missions ou jouer en mode “touriste”, permettant de débloquer toutes les portes. De l’autre, la plupart des scènes d’exploration peuvent se finir en quelques secondes si l’on n’est pas curieux ou intéressé au point de fouiller partout, et l’on peut rapidement accéder à chaque niveau depuis le menu principal pour optimiser et améliorer son score.
Le premier sentiment que j’ai ressenti devant Quadrilateral Cowboy est un soudain désarroi. Le jeu s’ouvre sur une séquence sur une moto flottante (cyberpunk, on vous a dit !) non-contrôlable, qui s’arrête à l’extrémité d’un train sur lequel on doit alors conduire notre premier braquage. Mais pour cela, il faut d’abord rentrer dans le premier wagon et là, horreur, la porte ne s’ouvre pas en cliquant dessus du bout de la souris ! Quadrilateral Cowboy introduit rapidement mais graduellement le joueur à ses différentes mécaniques, en commençant par de simples boutons permettant d’interagir avec le décor (notamment ouvrir des portes, donc) puis en arrivant très vite à devoir taper des lignes de code pour effectuer ce genre d’actions. Il n’est ici pas question d’hacking comme on en a l’habitude dans le jeu vidéo – ou le cinéma, d’ailleurs. Ici, pas de bouton magique qui fait tout, il faut apprendre le langage de programmation fictif du jeu pour pouvoir progresser et mener à bien les contrats de braquages qui s’enchaînent. Globalement, c’est incroyablement satisfaisant quand l’on réussit à effectuer exactement ce que l’on voulait avec une suite de commandes prévues suivant un timing à la seconde, au centimètre et au degré près. Cela marche parfaitement, ce qui est principalement dû à l’incroyable narration du jeu.
La narration est pour moi le gros point fort du jeu, puisqu’elle est la base sur laquelle tout repose. C’est la narration qui introduit le joueur au gameplay et permet même à un non-initié de rapidement prendre en main les habitudes de programmation nécessaires pour progresser. C’est encore une fois la narration qui permet à la plupart des puzzles de fonctionner, et au joueur de les résoudre. C’est évidemment la narration qui permet de rendre le monde et l’univers de Quadrilateral Cowboy aussi riche à travers le peu qu’on en voit. Cette narration est héritée de Thirty Flights of Loving – qui est, rappelons-le, un jeu narratif se déroulant comme un film d’action mais sans aucuns dialogues, où tout passait alors par des indices visuels. Le dernier jeu de Brendon Chung reprend le même principe mais le pousse encore plus loin. Là où son prédécesseur durait une quinzaine de minutes et ne suivait que deux courtes histoires avec quelques indices sur le monde dans lequel elles se déroulaient, Quadrilateral Cowboy propose quasiment une dizaine d’heures de jeu dans des environnements plus ouverts, que l’on peut explorer en prenant son temps. Cette exploration est soutenue par une feature assez importante – bien que pas forcément nécessaire pour finir le jeu – qui est la possibilité de zoomer à l’aide d’une sorte d’œil bionique, cyberpunk oblige ! En effet, les décors sont recouverts d’indications en tout genre à travers des prospectus, des affiches ou même des emballages divers. L’univers du jeu fourmille ainsi de détails en tout genre rendant l’univers crédible et vivant, tandis que certaines de ces indications servent de tutoriel pour pousser le joueur vers des fonctionnalités de façon naturelle. L’autre gros point est le fait que quasiment tous les objets soient interactifs, ce qui rend l’univers d’autant plus vivant (il y a même des toilettes et salles de bain parfaitement fonctionnelles et modélisées, sans n’appartenir à l’histoire même ou être “nécessaires” au niveau gameplay !). Cette même narration se retrouve encore bien efficace lorsqu’il s’agit de proposer une interface claire et simple, tout en donnant les informations nécessaires et soulignant l’ambiance du jeu. Et si la narration même n’est pas assez, les joueurs peuvent – à la manière d’un Demon’s Souls – laisser des messages sur des post-its dans les niveaux de braquages qui seront ensuite visibles par leurs amis Steam.
Dans les deux cas, il serait dommage de passer l’un comme l’autre. C’est une lecture plutôt intéressante du cyperpunk qui nous est proposée dans Quadrilateral Cowboy, et ce à travers ces deux gros aspects principaux du jeu. Ici, pas d’améliorations cybernétiques qui brillent avec plein de néons partout. Le cyberpunk proposé par Brendon Chung est un cyberpunk sale, un cyperpunk fait de bricolages en tout genre, un cyberpunk de garage. Cela se retrouve dans l’ambiance du jeu et son univers, que ce soit dans les environnements ou dans le gameplay. Visuellement, ça reprend le même style graphique que l’on avait dans Gravity Bone et Thirty Flights of the Loving, avec ces personnages au design atypique et cette esthétique polygonale, à la différence que tout est ici visuellement bien plus sombre. Le sound design est tout aussi réussi, avec ces airs et ces bruitages de vieux ordinateurs, et sa musique tout aussi typique de l’époque à laquelle le jeu se déroule. Cela donne une ambiance relativement mystérieuse au jeu, parfois même inquiétante avec de gros airs de dystopie lors de certains passages. Et évidemment, Brendon Chung oblige, la fin – merveilleuse – célèbre modestement le jeu auquel l’on vient de jouer, et ici de façon assez touchante. A mentionner aussi, le jeu intègre les mods (un guide a déjà été publié par le développeur), ce qui permettra d’augmenter considérablement la durée de vie, des maps pouvant être créées par les joueurs.
Quadrilateral Cowboy est une merveille que je ne saurais trop vous conseiller, culmination de toutes les bonnes choses que l’on pouvait retrouver dans Gravity Bone et Thirty Flights of Loving couplées à un gameplay particulièrement efficace et passionnant. Je ne saurais lui trouver des défauts, si ce n’est quelques crashs frustrants et un menu principal parfois confus. Quadrilateral Cowboy, c’est une narration visuelle fascinante et captivante, au croisement entre le gameplay, le récit et l’ambiance audio-visuelle. Une narration que l’on ne peut retrouver que dans du jeu vidéo, puisque les choix narratifs sont induits autant par la créativité de l’auteur que par les contraintes techniques, les choix de gameplay ou les observations de playtests, comme en témoignent les commentaires du développeur incorporés au jeu. Quadrilateral Cowboy, c’est encore un jeu vidéo prouvant que le médium peut être source de véritables œuvres d’art (pour ceux qui n’ont pas suivi ces dernières années !), sans pour autant laisser de côté l’aspect ludique.