Il y a quelques semaines encore, si vous m’aviez demandé ce que je pensais de Red Dead Redemption, je vous aurais sans doute vendu le jeu avec tous les adjectifs laudatifs superlatifs possibles et imaginables. Mais tout cela, c’était avant. C’était basé sur mes excellents souvenirs datant d’un lustre (à quelques mois près). J’ai eu le "malheur" de me relancer récemment dans le jeu, et force est de constater que mon avis dithyrambique de jadis est aujourd’hui beaucoup plus à nuancer, confirmant l’adage qui veut que certains bons souvenirs ne devraient rester QUE des souvenirs…
Je préfère tout de même préciser deux choses : la première, c’est qu’il est très rare que je change d’avis sur un jeu vidéo. Quand je trouve un jeu excellent la première fois, ça reste toujours un must have quand je m’y replonge 5, 10, 15 ans plus tard, malgré l’obsolescence programmée, autant technique qu’en terme de gameplay, qu’il finit inévitablement par subir. Les Super Mario Bros. 3, Wonder Boy III, F-Zero, Comix Zone, Coryoon, Abe’s Exoddus, Metal Gear Solid 3, Chrono Trigger ou GTA San Andreas peuvent en témoigner… La seconde, c’est que je ne considère PAS Red Dead Redemption comme un mauvais jeu, loin s’en faut, mais il n’a juste plus ce petit truc, qui dans ma mémoire le faisait émerger de la masse des bonnes expériences de cette septième génération. Explications…
Red Dead Redemption commence pourtant plutôt bien, si on excepte bien sûr le comportement supra-débile du protagoniste (John Marston), qui s’en va parlementer (contraint et forcé) avec un ancien camarade de crime à la gâchette facile…seul et désarmé. C’est au moins l’occasion de rencontrer le personnage sans doute le mieux écrit du jeu : Bonnie MacFarlane. En fait, toute la partie concernant le ranch MacFarlane est bien foutue, nous immergeant dans le quotidien des pionniers de l’Ouest sauvage, que l’on devine aisément rude. On y apprend à capturer au lasso et à dompter les chevaux sauvages, à conduire les troupeaux de bovidés à travers les verts pâturages, à chasser les loups et les lapins qui dans le domaine viennent faire un carnage, et encore tout plein d’autres trucs en "-age"…
À mesure qu’on progresse dans le scénario, on fait la connaissance de seconds couteaux plutôt attachants, comme un charlatan itinérant vendant ses produits "miracles" ou un pilleur de tombes à la recherche d’un mystérieux trésor, et de multiples inconnu(e)s pas très nets à qui rendre des services parfois non moins farfelus (les missions "?" mauves). On alterne ainsi continuellement entre quêtes fedex, captures de malfaiteurs, farmer way of life, chasse, cueillette, coups de main au shérif d’Armadillo… tout cela jusqu’à la fameuse attaque de Fort Mercer, dans lequel s’est retranché l’ex-poto (Bill Williamson), qui a finalement préféré fuir au Mexique. Marston décide donc de le suivre…et c’est là que les problèmes commencent.
Tenez-le vous pour dit, dans ce premier tiers de jeu sur le sol américain, vous avez déjà vu 90 % des types de missions et activités que Red Dead Redemption a à offrir, ainsi que le meilleur de son scénario (à égalité avec les toutes dernières missions de John). Le reste, ce n’est que de la redite dans le meilleur des cas, et des successions de phases bourrines et ultra linéaires clonées à l’infini dont seules les unités de lieu changent dans le pire, principalement des attaques/défenses de places fortes ou de la protection de convoi. Entrecoupées heureusement de ces rencontres avec d’autres illustres inconnus toujours aussi spéciaux, comme par exemple un type qui va vouloir se la jouer Icare… Mais rien que de me rappeler la longue et odieuse mission faisant la transition entre le pays de la Liberté et le Mexique, j’en ai la chair de moule…
Red Dead Redemption regorge de scripts relous. Par exemple, lorsqu’une mission nous introduit à la furtivité et nous offre des couteaux de lancer, si de prime abord on se dit : "chouette, une nouvelle technique d’approche pour varier les plaisirs!"… on redescend vite sur Terre en constatant que si on n’emprunte pas le cheminement prédéfini par le jeu, il nous balance un échec critique dans la gueule… De toute manière, les ennemis ont ce que j’appelle le "sixième sens Uncharted", et communiquent vraisemblablement par télépathie, ce qui rend l’approche furtive utopique dans 99.99 % des cas… Z’allez me dire "on s’en bat les steaks de la furtivité, c’est pas le lore du jeu, on joue un pistolero", ce à quoi je répondrais que "si le jeu me donne d’autres manières de jouer, je veux pouvoir pleinement les utiliser". Vous seriez surpris du nombre de missions que j’ai pu terminer en mode shadow dans San Andreas, une fois en possession du couteau et du gun silencieux…
À propos du couteau, la petite cutscene non skippable qui s’enclenche à chaque dépeçage de la moindre bête abattue est vite crispante, surtout avec des animaux imposants comme le cheval ou le grizzli, ce qui freine souvent l’envie de trucider la faune dans la joie et la bonne humeur (en plus de parfois bien nous désorienter lorsqu’elle nous rend le contrôle). Mais le plus chiant, c’est qu’à l’issue de la manœuvre, le jeu nous rend parfois notre arme à feu précédemment utilisée, et parfois il nous laisse le couteau entre les mains, c’est au choix, selon son humeur ; si on n’a pas pensé à vérifier, on peut se retrouver à chasser le grizzli à l’arme blanche, ce qui est ma foi un tout petit peu suicidaire…
Un autre truc bien saoûlant, ce sont les évènements aléatoires. Et principalement ceux où on doit faire parler la poudre, souvent contre des bandits qui retiennent un ou plusieurs otages. La plupart du temps, ils surviennent dans le désert, où il n’y a évidemment aucun moyen de se mettre à couvert, trop pratique lorsqu’on est à un contre six… Si par miracle on s’en sort vivant, c’est généralement l’otage qui a passé l’arme à gauche… Tant qu’on est dans ces missions aléatoires, je ne résiste pas à l’envie d’évoquer une petite anecdote, qui m’est en plus arrivé DEUX fois, concernant les missions où on doit récupérer une charrette volée sous nos yeux : je neutralise le scélérat et récupère le précieux sésame pour le ramener à son proprio, je descends du-dit véhicule pour le lui rendre, mais le pnj ne bronche pas… Je remonte donc à bord pour rapprocher la charrette…et me prends une prime pour vol ! Jeu, sérieux, je t’emmerde… Je crois que c’est précisément à ce moment (la deuxième fois) que j’ai laissé totalement de côté ces évènements aléatoires à la con…
Mais alors, pourquoi donc une note si "élevée", alors que je n’arrête pas de fustiger le jeu ? Ben en fait, si on met de côté le scénar’, il y a bien moyen de s’amuser dans Red Dead Redemption. Dommage qu’il faille avoir au moins fait les deux tiers des missions pour pouvoir profiter de toute la carte (limitée naturellement par les étendues d'eau, alors que cette baltringue de John nage comme un caillou)… En plus des multiples activités annexes que propose le jeu (notamment les jeux de cartes ou de dés), et des délires possibles qu’induisent implicitement la possession de dynamite ou d’un lasso, RDR offre une série de défis plutôt cools permettant de gagner des costumes attribuant différents bonus, avec des épreuves de dextérité, de la chasse ou encore de la recherche de trésor, sans doute le challenge le plus imaginatif du soft : on entre en possession d’une carte sommairement esquissée et évasive en indications, de laquelle on doit déduire la cachette du saint-graal tant convoité dans son décor bien réel…
Le plus gros point fort du jeu reste cependant son côté immersif, tangible, qui nous donne vraiment l’impression d’évoluer dans cet Ouest sauvage crépusculaire, inéluctablement rattrapé par la civilisation moderne (on est en 1911). Le travail sur le son est remarquable, la musique sachant judicieusement alterner entre ballades à l’harmonica (effet garanti lorsqu’on flâne sous un soleil de plomb), silences profonds apportant un faux sentiment de sûreté (que les bêtes sauvages ne se privent pas de troubler), et thèmes plus pêchus lorque vient le moment de faire parler les colts et les fusils de chasse.
Red Dead Redemption n’est pas non plus en reste côté réalisation, de très haute volée pour un (très grand) open world. Les décors se renouvellent suffisamment au fil de la progression (désert, campagne, plateaux rocailleux, forêt…), magnifiés par un cycle jour/nuit (trop rapide) du plus bel effet et une distance d’affichage bluffante, mais il manque à mon sens de vraies bourgades dignes de ce nom, si on excepte Blackwater (et encore), pour que le tout soit parfait. La plupart sont en effet à peine plus grandes que le ranch MacFarlane, et c’est à se demander où crèchent les habitants, une fois qu’on met de côté les commerces, le saloon, la gare et le bureau du shérif… Une ou deux vraies localités de plus n’auraient pas été du luxe…
Red Dead Redemption est donc un bon jeu pendant (en gros) son premier tiers, jusqu’à ce qu’il passe la frontière, et que tout dégénère. 33,33 % du jeu pendant lesquels on partage le quotidien des farmers de l’Ouest, où on dresse des chevaux, surveille les troupeaux, monte la garde la nuit et donnons un coup de pouce au marshall du coin, en pouvant attraper vivants les criminels récalcitrants, et où seuls les moments où l’on est obligé de tuer sont de la légitime défense, bref, un déroulement crédible pour un personnage en quête de rédemption (cf le titre).
Puis, arrivé au Mexique, le jeu fout tout à la poubelle, et on se met tour à tour au service d’un dictateur fou et d’un révolutionnaire misanthrope, tout en dézinguant à la chaîne des partisans des deux camps sans aucun remord, tel un Tommy Vercetti ou un Toni Cipriani… Sauf qu’on est sensé incarner John Marston...