Against the Storm
7.6
Against the Storm

Jeu de Eremite Games (2023PC)

Découverte inattendue sur le gamepass, Against the Storm revêt à première vue tous les apparats d’un jeu de gestion/city building comme il en existe tant d’autres : construction de bâtiments, gestion de ressources limitées, répartition des habitants... Pourtant, avec sa touche de dark fantasy bienvenue et son univers doucement inquiétant, il pique la curiosité. Ce qui finit par accaparer toute notre attention, c’est l’ajout d’un ingrédient inattendu dans cette formule éculée : celui du roguelike. Comment ce parangon du jeu indé se mixe-t-il dans ce genre codifié ?


Avant de plonger dans le décorticage des rouages, un rapide coup d'œil sur l'ensemble s'impose.

Le royaume de sa Majesté la Reine ne cesse de faire face à la Tempête, immense cataclysme s'abattant régulièrement sur les terres tous les cinquante ans. Une fois le temps calme revenu, les Émissaires de sa majesté (nous) partent sillonner les territoires remodelés en quête des “fragments de sceaux” dans l'espoir de conjurer la malédiction de la tempête. Pendant ces décennies d’accalmies, les Émissaires créeront villes et avants postes sur des terrains de plus en plus hostiles à mesure qu'ils s'éloignent de la capitale royale. Capitale qui elle seule résistera à l'inévitable maelstrom destructeur, rasant toutes vos cités fraîchement bâties : un nouveau cycle commencera alors.


Dans Against the Storm il sera donc question de créer une ville fonctionnelle, en répondant aux besoins de ses habitants et en accomplissant diverses missions, avant que l’impatience de la Reine à notre égard n’atteigne un seuil critique, le tout en étant le plus rapide possible pour laisser la ville en état fonctionnel et partir quelques kilomètres plus loin faire sortir de terre une autre cité. Au programme : exploitation de noeuds de ressources, construction de bâtiments de production, affectation d’ouvriers et élagage d’arbres pour découvrir de nouveaux espaces à exploiter.


Encore plus que pour les autres genres, il me semble que les jeux de stratégie-gestion basent leur efficacité et capacité d’attrait sur la qualité d’enlacement des différentes strates et boucles de gameplay. Si le “one more turn” de Civilization est devenu légendaire, c'est bien parce qu'à chaque instant, une couche de jeu atteint un point d'inflexion qui requiert notre attention : ce tour-ci la piste de technologie, le suivant une nouvelle merveille a lancer, un barbare à repousser, ou une route commerciale à rediriger. Notre focus oscille alors non seulement entre différentes mécaniques de jeu - déplacer une unité / choisir un type d'amélioration - mais aussi et surtout entre différentes échelles - le prochain bâtiment à construire dans une ville / une doctrine religieuse mondiale - permettant de jouer à la fois sur la minutie et le plan d’ensemble.


Seulement, plus la partie avance, et plus les petits points de détails que l'on prenait tant soin de régler pendant nos premières heures se floutent et perdent de facto en attrait, de par la croissance boulimique de notre création ; la gestion du global prend le pas, au détriment du spécifique. Conséquence directe de la progression et amélioration technologique incrémentale, ô combien satisfaisantes, mais qui s’étalent sur le temps long, très long, nécessitant des coupures régulières.

Avec ces grands jeux de gestion, combien de parties terminées pour combien de parties commencées ?

Pour les city-builder, je blâme mon inaptitude à relancer une sauvegarde au manque crucial d'objectifs explicites. Maintenant que j’ai fini d’installer le réseau électrique de ma ville dans City Skyline, que faire ?


Against The Storm répond avec élégance à ces différents points d’accroche, en utilisant adéquatement les possibilités du genre rogue like.

L’objectif de chaque partie (on appellera “partie” la construction d’une unique ville) est d'atteindre un certain niveau de renommée, ces points de renommée étant récoltables à travers 3 méthodes principales :


Les habitants : plusieurs peuples cohabitent sous le joug de la reine, et à chaque partie UNIQUEMENT 3 des 5 races existantes rejoindront votre colonie. Chacune présente des besoins spécifiques - les lézards adorent les brochettes et sont guerriers, tandis que les castors veulent boire et commercer - mais il y a toujours des recoupement entre 2 peuples - castors et humains aiment les tartes, alors que lézards et humains veulent prier. Parvenir à combler ces envies et besoins représente un certain niveau de confort acquis, et se traduit par un revenu stable de points de renommée. La simple variabilité de configuration des différentes espèces engendre de facto une diversification des services à prioriser.


Les missions : Au lancement d’une colonie, la reine nous charge d’accomplir quelques missions spécifiques, et nous en proposera une quantité finie au fil de la partie.

Serait-il préférable d’accueillir 8 habitants ou d’établir plusieurs routes commerciales ? Satisfaire les besoins des harpies pendant quelques minutes ou livrer 10 ballots de construction ? Chaque mission choisie n'engage en rien, mais elles ont toutes en récompense un précieux point de renommée en plus de quelques bonus en adéquation avec le type d’objectif choisi.

Ces missions jouent plusieurs rôles clés : condition de victoire (il sera très difficile de gagner sans en accomplir quelques unes) non absolues (toutes les terminer ne suffira pas à amasser assez de points), guide d’orientation pour la partie (il faudra monter une production de blé pour accomplir une mission demandant du pain) tout en étant un moteur de progression solide avec les ressources et bonus qu’elles rapportent.


Les événements : une grande partie du jeu repose sur l'exploration, pour rechercher de l'espace et des nœuds de ressources, mais aussi bon gré mal gré affronter des événements rarement amicaux, comme la rencontre d’un navire hanté ou le risque d’une inondation inattendue. Ces événements, représentant le surgissement d'une nature qui n'apprécie guère notre bûcheronnage décomplexé, impose une résolution dans un temps limité sous peine de (gros) désagréments.

A nouveau, et c'est une constante du jeu, chacun offrira plusieurs moyens d’y venir à bout : pour gérer ces plantes envahissantes, un coup de napalm ou une séance de spiritisme pour les calmer ? Dans le premier cas, vous obtiendrez sans doute du précieux charbon, dans le second quelques points de renommée pour votre prouesse.

Ces événements amènent un triple questionnement : est-il bien avisé d’ouvrir un nouveau terrain et d’affronter la rencontre associée ? A-t-on les reins assez solides pour répondre au prochain événement dans le temps imparti ? Est-on suffisamment diversifié pour se permettre le luxe de choisir la résolution la plus souhaitable ?



La somme de ces composantes (habitants, missions, évènements), qui ne représentent que les principaux moyens de gagner, permet de dégager la puissance du jeu : sa plasticité. Il reste encore bien d’autres curseurs de variabilité : le biome de la partie et les types ressources que l’on y trouve, les modificateurs de difficulté ou encore les traits de compétences.

Tout ce melting pot exige du joueur de rester tout du long sur le qui-vive et d'adapter chaque nouvelle ville a ses contraintes et impératifs spécifiques. Non seulement les éléments de départ sont mouvants, les stratégies à mettre en place qui en découlent le sont tout autant.

En termes de stratification, chaque échelle temporelle reste stimulante tout au long de la partie :

- du court terme avec les événements

- du moyen terme avec les missions

- du long terme avec les habitants

Les choix abondent pour grappiller de la renommée de toute part, aucune des voies ne permettant à elle seule de gagner. Sacrifier des ressources maintenant pour cet évènement, ou accomplir cette mission qui permettra de satisfaire les besoins, au moins quelques instants, de mes habitants ?



Cette flexibilité est d’autant plus palpable qu’elle s'immisce dans les possibilités de construction du joueur. Chaque ville commence avec des plans de bâtiments “essentiels”, permettant la récolte de petite ressource, et la confection de quelques outils de base. Il sera possible de cueillir du lin avec un petit poste d’herboriste, et de confectionner du tissu avec l’atelier de travail. Mais pour coudre des vêtements, dont nos chers humains raffolent tant, il faudra au mieux une maison de drapier, au pire une hutte de druide, pour transformer le tissu en manteaux.

L’obtention des plans permettant la construction de ces bâtiments ne se fait pas à travers un arbre de technologie ou de recherche, mais par un choix ponctuel entre 3 cartes de plans sélectionnés au hasard parmi tous ceux du jeu, a la manière d’un choix de carte dans Slay The Spire ou d’un boon dans Hadès ! Au cours d'une partie, on aura l'occasion d’en obtenir moins d’une dizaine parmi la cinquantaine du jeu, et sans aucune certitude sur ce qu’ils permettront de produire.

A première vue, un tel aléatoire dans un jeu de planification semble de mauvais goût ; dans Frost Punk, on ne s’imagine pas ne pouvoir miner que du charbon, ou être limité à un type de chauffage. Sauf que le pari d’Against the Storm s’inscrit dans la lignée des roguelike, avec comme maître mot : adaptabilité. Suivant les bâtiments d’exploitation disponibles, certaines ressources resteront inaccessibles, tandis que d’autres seront abondantes.

S’il est impossible durant cette partie de faire le la farine a partir de blé, il faut se réorienter vers d'autres options de nourriture ; de la viande séchée peut-être ? A condition que mes habitants en demandent … Et oui, le tout s’inscrit naturellement dans les objectifs de la partie.


Quand bien même il n’existe pas d’arbre de recherche, le fameux tech tree, un remplaçant lui fait de l’ombre : celui des recettes. Il ne s’agit pas de recettes à proprement parler, mais plutôt d’assemblage et sublimation de ressources, à travers les bâtiments adéquat, pour en former de nouvelles : les baies récoltées pourront être assemblées avec un baril dans une brasserie pour faire de la nourriture saumurée, ou bien fournir du vin quand ils sont associés à de la poterie dans un cellier. Pas besoin de tableau ou d’aide Google pour comprendre comment les associations fonctionnent, tout est explicitement indiqué sur le peu de bâtiments à disposition.

De plus, chaque recette n’est pas unique aux bâtiments - on pourra faire de la viande séchée avec le cellier - mais ils présentent différents niveaux de rendement, et il serait préférable de laisser ce travail a l’expert de cette recette - ici le boucher - si l’on veut peaufiner notre production … mais encore faut-il l’avoir obtenu !

Il est toujours question de choix cornéliens posés au joueur : être en capacité de produire inefficacement des matériaux maintenant, ou espérer un meilleur bâtiment plus tard, quitte à perdre l’opportunité de pouvoir en faire tout court ?


Parmi les autres éléments saillants du jeu, il y a celui de la difficulté. Outre qu'elle prenne la forme de curseur de difficultés graduels ajoutant de légers (mais sensibles) modificateurs, allant jusqu'à implémenter un système d’Ascension en vogue, c'est le rythme intrinsèque à une partie qui amène de la tension.

Le game over prend la forme d’une jauge se remplissant inexorablement, l'impatience de la Reine, et rend toute victoire sur le très long terme impossible, poussant à l'expansion permanente plutôt qu'au repli sur soi.

Une partie dure entre 5 et 9 ans (en jeu rassurez-vous, 2-4h dans notre monde), et chaque année se décompose en plusieurs saisons : Mosson, Dégagée et Tempête. Alors que la mousson et le ciel dégagé permettront récolte et détente, la tempête sera elle synonyme de mauvaise ambiance. Si vos habitants peuvent vous rapporter de précieux points de renommés lorsque leurs désirs sont comblés, ils peuvent tout autant prendre peur face à l'orage et avoir les idées noires. Chaque année l'orage se renforce, et pendant qu'il fait rage, tous les malus associés à votre partie se déclenchent ; des déplacements réduits à cause de la boue, un moral dans les chaussettes s’ils ne peuvent pas s'abriter, voir même la reine qui exige un impôt pour chaque année passée ! Et si le moral de vos habitants est dans le rouge pendant plus d’une minute -pendant les orages, il le sera- ils commencent à plier bagage et quitter la colonie au compte goutte … ce qui aura la fâcheuse tendance de rendre la reine encore plus impatiente.

Un rythme saccadé s'installe donc autour de ces saisons, avec des prairies que l’on hésite à découvrir avant une tempête, des activités qui se restreignent et la peur continue de perdre des colons, avant le soulagement de l'éclaircie retrouvé. Ainsi, peu importe l'assurance acquise au cours de la partie, le déroulé asymétrique d'une année empêche tout sentiment de victoire anticipée.


Avant d’en finir, un petit mot sur la boucle inter-partie sur laquelle repose tout le concept. Une carte hexagonale permet des déplacements restreints dans un monde proche de la citadelle, et suivant la durée de nos parties, on voyagera 4 à 6 fois, toujours plus vers l'extérieur, en changeant donc de biomes, de modificateurs et avec une difficulté croissante, dans le but d’atteindre un portail en bord de brouillard. Établir son campement sur ce portail lancera l'équivalent d’un “boss” version city builder, qui exigera -outre la prospérité de la ville- de réussir plusieurs missions exigeantes pendant cette partie, afin de sceller pour de bon ce portail-tempête. Si la mission est un succès, vos prochains cycles dureront plus longtemps, et il faudra s’aventurer encore plus loin pour fermer un nouveau portail jusqu'à peut être réussir à mettre un terme définitif à la tempête. Ajoutez à cela une légère progression permanente de roguelite, avec de légers bonus à acquérir entre les parties pour définitivement améliorer vos départs, et la boucle est bouclée.


En comparaison avec ses confrères, Against The Storm propose donc des parties rythmées, cultivant toujours l’envie d'y rester juste un peu plus longt-oh-mon-dieu-il-est-4h, mais évitant l’écueil de la sauvegarde qu’on ne finit pas, une session de jeu se calant assez naturellement sur une ville.

On pourrait même ré échelonner les objectifs globaux du jeu avec les mêmes trois ordres de grandeur que ceux d'une partie :

- court terme = réussir une ville

- moyen terme = sceller un sceau

- long terme = repousser la tempête

De quoi se fixer des objectifs adéquats en fonction du temps à disposition.


Le jeu n’est pas sans défaut, et s'il a le mérite d’avoir une UI intuitive, sa lisibilité peut laisser sur le carreau, d’autant plus en fin de partie. La faute au style graphique WoW-esque, avec des traits épais, rendant la distinction uniquement visuelle des bâtiments compliquée.

Il est difficile de maintenir en tête tous les éléments modificateurs en jeu (+30% de vitesse de déplacement en mosson, +2 prod de blé, 10% de chance de x2 avec telle espèce) lorsqu’ils finissent par s’accumuler, et mon amour pour les courbes de production/consommation n’est pas vraiment comblé. Il n’est pas évident de cerner les besoins ou trop pleins de notre ville.

Against the Storm peut se révéler un poil trop effrayant pour des non-initiés. Quand bien même son didacticiel présente les éléments principaux, il prend moins par la main qu’un Frost Punk par exemple, et demande plus de curiosité de la part du joueur. Mais les développeurs sont très actifs pour un jeu de ce genre, et des Majs régulières voient le jour, impactant autant l'équilibrage que l’UX, des améliorations de ce côté sont à espérer.


En bref, une excellente découverte, un mélange des genres inattendu complètement réussi, qui plaira aux aficionados et ouvre la voie vers d’autres hybridations ludiques. Entre son univers low dark fantasy, sa durée de jeu saccadée et sa myriade de variations des possibles, Against the Storm a tout pour séduire les experts comptables et maires du dimanche en quête de nouveauté.


Edit : Coeur sur la musique, qui brille par sa discrétion en accompagnant les saisons et qu'on apprécie toujours après 50h de jeu.


LeSerpentMarrant
8

Créée

le 20 sept. 2024

Critique lue 32 fois

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