Vaporware... Alan Wake mérite bien ce qualificatif ! Non pas a cause de son temps de développement, tout a fait justifié au regard de la taille réduite de l'équipe de développement du jeu... d'ailleurs, Remedy Entertainment est tout a fait coutumier de cette pratique, Max Payne ayant lui aussi connu une gestation plus longue que la moyenne. En outre, vu le niveau de qualité atteint sur Alan Wake, l'attente en valait la peine. Néanmoins, si le jeu mérite le qualificatif de vaporware, il le doit certainement a sa gestion des effets de particules, parfaitement maitrisée, et qui permet de donner vie a cette vaporeuse brume, personnage central du soft. C'est ainsi que jamais ténèbres n'auront parues aussi vivantes dans un jeu, loin de celles de Silent Hill qui, selon l'aveu même des développeurs, n'étaient a l'origine qu'un cache misère pour que le joueur ne se rende pas compte de la faible distance d'affichage du jeu.
Pourtant, de Silent Hill, Alan Wake ne reprends pas grand chose. La peur psychologique qui caractérise le premier n'est pas vraiment de mise dans le second. Alan Wake ne joue pas vraiment sur l'imagination du joueur, pas plus qu'il ne joue sur la peur surprise d'un Resident Evil. En réalité, Alan Wake essaie plutôt d'instaurer une tension chez le joueur de façon progressive, avec des montées en puissance, auxquelles succèdent des pauses ou la tension se relâche... une construction qui rappelle fortement les séries TV américaines. D'ailleurs, Alan Wake assume totalement cette orientation, puisque le jeu est découpé en six épisodes, avec un rappel des évènements qui les précèdent, une mise en situation, une tension dramatique qui va crescendo, et un cliffhanger. On pourra néanmoins reprocher que ces épisodes durent souvent plus de 90 minutes a l'instar d'une série TV française, au lieu des 40 ou 52 minutes habituels d'une série TV américaine... le rythme de l'aventure s'en ressent, et les pauses narratives ou dramatiques sont souvent trop longues. Probablement parce que Remedy n'a pas pu créer assez de contenu narratif pour assurer une bonne durée de vie a son soft... le studio a donc du jouer sur l'élasticité de la narration, sans avoir vraiment le choix de faire autrement.
Pas d'inquiétude toutefois, car si Alan Wake connait parfois quelques baisses de rythme, quand il tourne a plein régime, le résultat est assez impressionnant. Ne serait-ce que parce que ces baisses de rythme mettent en valeur (par contraste) les pics d'intensité du jeu. Il faut par exemple vivre le passage du deuxième acte pour s'en convaincre : plus de dix minutes sans aucun gameplay, ou le seul but est d'échapper a la police... sans qu'a aucun moment, vous ne puissiez voir l'ombre d'un képi ! Mais si ce passage est sublime, c'est parce qu'il use d'une narration environnementale parfaitement maitrisée : les ténèbres envahissent progressivement le playground, les policiers balancent des fusées éclairantes un peu partout pour vous localiser, puis ils se font enfin attaquer par les ténèbres... mais vous ne verrez rien de tout cela de façon distincte ! Juste des lumières, de bruits inquiétants, des cris... et si la formule marche si bien, c'est parce que Alan Wake propose un travail sur les sons et les éclairages juste admirable, allant bien au delà de tout ce que j'ai pu voir auparavant dans un jeu vidéo ! Le soft transmet donc bien plus par ce bais, que par ses cinématiques par exemple. Pas un mal, bien au contraire...
Et quand la tension est a son paroxysme, c'est un déluge de violence qui s'abat sur Alan Wake ! De deux choses l'une :
# soit les ténèbres usent de leurs sbires pour vous attaquer, et vous devrez vous servir de... la lumière pour vous protéger. Plus exactement, vous utiliserez votre lampe torche, que vous braquerez sur vos ennemis, pour les affaiblir. Une fois ceci fait, ces derniers peuvent être achevés par armes a feu. Bien évidement, de nombreuses subtilités sont offertes au joueur, comme utiliser des grenades aveuglantes pour rendre vulnérables aux balles plusieurs ennemis a la fois, allumer des fumigènes pour établir un périmètre de sécurité -la ou la lumière subsiste, les ténèbres ne vont point- ou bien encore tirer des fusées de détresse, pour jouer sur les deux tableaux a la fois. Certains joueurs ont reprochés à ce schéma de jeu, d'être redondant et peu subtil, mais il faut, je pense, garder a l'esprit, que les autres jeux du genre sont encore bien plus basiques quant a leur gameplay. Je pense même qu'en l'espèce, il se justifie pleinement, dans la mesure ou l'impossibilité d'utiliser a la fois la lumière et les armes a feu, provoque un stress assez prenant sur le joueur, accentué il est vrai par l'impossibilité pour celui-ci de... fuir. Se faire encercler est un danger auquel vous serez exposé en permanence... mais heureusement, une parade existe : l'esquive. Un véritable gimmick, tout comme le bullet time d'un Max Payne, qui vous permet de reprendre l'avantage dans un combat, en évitant les attaques de vos ennemis. En somme, Alan Wake reprend la rigidité d'un Silent Hill, tout en l'agrémentant d'un dynamisme bienvenu. Convainquant... il ne fallait de toute façon pas attendre d'un Alan Wake qu'il singe un Resident Evil 4 !
# soit les ténèbres interviennent directement, et là... vous êtes mal barrés. Vraiment. Les ténèbres useront ici de la télékinésie, en balançant sur vous tout objet a sa portée... objets qui ne se limitent pas a des caillasses ou des canettes, comme en banlieue. Se prendre en pleine tronche une voiture de deux tonnes, des poutrelles métalliques, ou même un camion citerne est quelque chose d'assez impressionnant ! Là encore, esquive et lumière sont vos alliés. Ces phases de jeu sont réellement jouissives, dans la mesure ou vous ressentirez pleinement la puissance des ténèbres. Vous aurez l'impression de vous retrouver en plein milieu d'un ouragan, d'un déchainement de puissance qui vous dépasse de très loin, et face a lequel vous ne pourrez rien faire. Une chose que seule la current gen pouvait faire... et qui la justifie pleinement. Alan Wake ne fait pas la course aux textures HD... ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas d'être magnifique, qu'il n'y ait pas de méprise ! Simplement, Remedy donne vie a son jeu, contrairement a d'autres studios qui essayent tant bien que mal de réaliser la plus belle nature morte possible.
Remedy a le bon gout de mettre en valeur son gameplay et sa technique par un background savoureux, et très immersif. Le studio ne cache d'ailleurs pas ses références, puisque Alan Wake est un hommage (plagiat ?) parfaitement assumé aux oeuvres de Stephen King ! L'introduction du jeu, avec ses plans en plongée sur des montagnes très vallonnées, et ses routes en lacet, fait immédiatement penser a Shining. Le personnage principal du jeu, un écrivain victime de la "page blanche", reflète plusieurs personnages de l'oeuvre de King. De même pour la dichotomie lumière/ténèbres, la confusion entre réalité et imaginaire (une thématique aussi présente dans Max Payne), la nécessité de trouver un artéfact magique pour triompher du mal... TOUT rappelle l'oeuvre de Stephen King ! Jusqu'à la fin du jeu, énigmatique... ratée diront certains. Une constante chez cet auteur... l'hommage est parfait, dans ses bons cotés, comme dans ses mauvais. Mais c'est en tout cas un rêve de joueur qui se réalise, car même le cinéma ou la télévision ne bénéficient pas d'une adaptation aussi convaincante du travail de Stephen King, que ce Alan Wake !
Même la narration fait écho a celle du maitre de l'épouvante : ellipses, flashbacks, multiples mises en abîme... mais ce qui sied au roman, peut toutefois ne pas convenir dans un jeu vidéo. Alan Wake narre principalement son histoire en vous faisant chercher dans les niveaux du jeu les pages manquantes d'un livre qui aurait été écrit par Alan Wake, et qui influencerait les évènements réels de l'histoire. C'est ainsi que vous pourrez en quelque sorte prédire l'avenir, en lisant ces pages. Très complexe, la narration rend difficilement compréhensible l'intrigue, même si elle a le mérite d'interroger constamment le joueur. Assez frustrant, dans la mesure on le joueur aura toujours envie d'avancer pour trouver des réponses, mais ne les trouvera jamais totalement. Les intentions du studio étaient louables : essayer de marier le roman et le jeu vidéo. Le résultat est quelque peu maladroit au final, car la complexité de la narration rends le scénario un peu trop nébuleux. L'équilibre pour un tel mariage reste encore a trouver.
D'autant plus qu'entre linéarité et liberté, Alan Wake ne sait que choisir : cette narration qui a le cul entre deux chaises, impacte fortement le level design du soft. Prévu au départ comme un open world, Alan Wake est finalement un jeu très linéaire... et on ne sait pas trop si celle-ci ce justifie. L'unité de temps et de lieu du jeu pourrait s'accorder a cette linéarité, mais la complexité de la narration... beaucoup moins ! Toujours est-il que ce non-choix de la part des développeurs nous donne la structure suivante : un chemin principal a suivre, et un seul embranchement par route, qui est en fait une impasse ou vous pourrez vous procurer des munitions supplémentaires. Ce level design assez basique se répète tout au long du jeu, si bien qu'il ne surprend jamais... pas plus qu'il ne convainc. A la limite, il rends parfaitement hommage a Final Fantasy XIII... Probablement le plus gros défaut de ce Alan Wake. La quête des thermos illustre complètement cet état de fait... ceux qui ont joués au soft comprendront parfaitement de quoi je veux parler.
Au titre des défauts, on pourrait aussi évoquer les phases de conduite en véhicule totalement foireuses mais... stop ! On s'en fout au fond. Au delà des défauts évoqués, Alan Wake propose nombre de passages cultes, comme l'épisode 4 qui vous fait débuter dans un asile psychiatrique, et ou la folie de ses occupants est plus que palpable, voire... contaminante ! Les limites entre le réel et l'imaginaire deviennent suffisamment floues pour provoquer une véritable désorientation psychologique chez le joueur. Et quand cet épisode se termine sur une scène de rock, ou vous affrontez vos ennemis grâce aux dispositifs pyrotechniques destinés au spectacle, cela devient juste... bah, on ne va pas trop spoiler. Mais certains passages resteront a jamais gravés dans vos mémoires, vous pouvez me croire ! Et dire que je n'ai même pas parlé de ce Némésis schizophrène qui vous poursuit constamment... frustrant pour moi de voir que près de 20.000 caractères, ne me suffisent pas pour réellement appréhender l'essence d'un jeu, et vous la transmettre. Mais ce serait tout simplement une ignominie de ma part de m'arrêter ici, sans évoquer la musique de Petri Alanko, très discrète, et pourtant sublime. Elle contribue grandement a épaissir le background du jeu, et a conférer une aura de mystère à ce Alan Wake ! On finira donc cette critique sur une vidéo de l'introduction du jeu, résumant pleinement l'atmosphère qui s'en dégage :
Beaucoup auraient attendus de ce Alan Wake qu'il soit parfait, après plus de cinq ans de développement. A défaut, il propose une expérience pleinement aboutie, au contraire de ces productions quasiment parfaites, mais sans âme... non, je ne balancerai pas de noms ! Toujours est-il que ce Alan Wake use de sa plastique non pas pour en mettre plein les mirettes, mais plutôt pour insuffler un souffle de vie a son univers, si bien que rarement immersion dans un jeu aura été aussi profonde. Courte, l'expérience n'en est pas moins marquante, et il est a regretter qu'un tel jeu n'ait -une fois de plus- pas rencontré son public. Dommage, car Alan Wake est probablement le premier jeu depuis bien longtemps a concilier une direction artistique hollywoodienne, et un véritable fond artistique. Les joueurs éclairés sauront apprécier la démarche...
Pour quel public :
# pour ceux qui veulent jouer a un jeu totalement abouti, plutôt que "parfait"... comprenne qui pourra.
# pour les fans de Stephen King, ce Alan Wake lui rend parfaitement hommage.
# pour ceux qui aiment les séries TV américaines, puisque Alan Wake en reprends la structure.
# pour les vigiles qui ont l'habitude de manier la lampe torche...
# pour les joueurs qui privilégient l'immersion par le background, plutôt que par le gameplay.
# pour les joueurs qui savent qu'un bon moteur physique vaut mieux qu'un bon moteur graphique... même si Alan Wake possède les deux !
Fuyez si :
# vous êtes en train de passer votre permis de conduite, Alan Wake ne sait pas conduire...
# vous ne supportez pas de subir un level design foireux.
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