Mandus, riche industriel mais un peu porté sur la picole, l'absence de rangement et la perte de mémoire, se réveille au terme d'un sommeil plein de tempête avec la solide impression de rater quelque chose : et pour cause, ses enfants ont disparu, fuitant dans les coins de couloirs dans des apparitions fantomatiques pour lui indiquer le chemin, ce qui n'est guère un luxe - et pour cause - Mandus a construit son immense et inquiétant abattoir mitoyen à sa demeure. Et pour retrouver sa progéniture, il va falloir descendre dans le ventre de la bête...

Je me suis toujours figuré - et j'espère ne pas être trop loin de la réalité - le gameplay d'un survival comme de la simple réflexion sur l'investissement et le bénéfice autour d'une ressource. Forcément, le côté "survie" laisse entendre, à nos oreilles, que notre devenir dépend de l'acquisition d'un produit et de sa conservation. La plupart du temps, le joueur va donc projeter son action en se demandant si l'investissement risque de rapporter un bénéfice à la hauteur (car il compte autant la dépense de la ressource que de son temps de jeu, forcément !) tout en prenant en compte des contraintes dans la dépense. Le meilleur exemple, et le plus général surtout, c'est les munitions : les contraintes de l'investissement relèvent des "commodités" d'engagement (le décor joue-t-il en faveur du joueur, par exemple ?), de la résistence et du nombre de monstres présents, et enfin, le skill du joueur pour placer son pruneau pile là où il faut. Le tout pour - très simplement - progresser. Des fois, c'est un poil différent. Par exemple, dans Amnesia, il fallait gérer la lumière (huile pour sa lanterne et briquets pour allumer des bougies), histoire que le héros ne pète pas subrepticement un plomb au pire moment - quand les monstres pointaient le bout de leurs truffes. Eh bien, tout ça, The Chinese Room l'a pris et l'a violemment jeté à la poubelle. Pour le meilleur comme le pire, ce n'est pas "Amnesia 2", c'est LEUR Amnesia, alors ils vont faire ce qui leur plait le plus, vu ?

Du coup, ami joueur, si tu aimes l'aspect survie dans "survival-horror", passe ton chemin, tu vas te faire chier comme un rat. La lampe électrique est infinie, le héros est d'une santé mentale redoutable et les énigmes ne sont pas vraiment complexes, la faute à une absence de marge d'erreur incroyable, qui fait qu'un objet interactif qui ne serait pas une chaise a de grandes chances de servir d'ici cinq minutes. Et les niveaux ne sont pas spécialement grands, un peu dommage. Dans Amnesia, on arrivait souvent sur des "hubs" clos, donnant sur deux ou trois secteurs secondaires dans lesquels il fallait réunir des éléments pour passer à la suite. Bon, c'était pas non plus l'epicness en terme de développement de gameplay, mais ça se tenait et ça permettait aussi de forcer un peu l'exploration (et je ne parle même pas des effrayants couloirs à traverser, plongé dans le noir, avec un monstre aux trousses, c'était l'enfer !). Malheureusement, ici, les niveaux sont plus petits, on trouve facilement la solution aux problèmes et en plus, les monstres ne sont pas très féroces. Ouais, autant dire que vous n'êtes pas là pour mourir. Autant dire surtout que les créateurs de "Dear Esther" ont vraiment du mal à mettre du gameplay dans leur production et que bon, ça fait un peu chier pour leur prochain projet, parce que la contemplation, ça va un temps !

Côté horreur, d'ailleurs, on ne sursaute pas vraiment, les jumpscares (j'y suis méga sensible !) n'ont marché qu'une ou deux fois. La plupart du temps, on voit de loin un monstre qui se casse... en fait, l'effet est tellement réutilisé qu'à un moment, je me suis demandé si je les faisais chier. Merde quoi, ils sont pas censés désirer ma mort, au lieu de se casser ? Bon, là, je fais le malin, mais finalement, l'ambiance est malgré tout extrêmement pesante et le sound design relève carrément le niveau. Lointains, les gémissements omniprésents de la fameuse Machine n'en reste pas moins oppressants, organiques et frissonnants. Quoiqu'il arrive, vous vous savez pris au piège dans ses entrailles, enlevé au monde des vivants par une folie à vapeur qui prend des proportions titanesques. Donc, certes, on ne sursaute pas, mais on se retrouve très seul, peut-être plus que dans le manoir de Brennenbourg, puisqu'ici, l'endroit et ses dimensions trouvent une certaine logique dans l'histoire : là où le manoir avait quand même une taille démentielle qui ne s'expliquait pas vraiment, ici, on se retrouve dans un cauchemar de l'ère industrielle, une machine qui se nourrit d'elle-même, et d'excréments et d'êtres vivants, engloutis et se répand comme un cancer. Personnellement, ça marche mieux à mes yeux.

Ce qui relève clairement le niveau, c'est l'histoire et la narration. Amnesia premier du nom avait un petit ventre mou sur la fin, quoique les textes de chargement étaient toujours cryptes et parfaitement inquiétants. Bon, ben A Machine for Pigs est tout bon - et du début à la fin. Les notes dressent un portrait inquiétant du personnage en présence, et surtout, parviennent à capter les craintes et les tourments de l'entrée dans le monde "moderne", dans le monde de la Machine-reine, où l'industrie prend des proportions telles que les hommes en sont réduits à des cochons. Je m'attendais à ce que le thème du cochon, d'ailleurs, soit traité différemment mais au final, il est surtout le réceptacle d'un nihilisme sans limite et d'une noirceur insondable.

Dommage, réellement dommage que The Chinese Room ne parvienne pas à transformer l'essai : l'ambiance est excellente, ces machines de vapeur et de chair, qui peuplent cet abîme inquiétant, son histoire passionnante, ses personnages fascinants, tout cela aurait mérité de figurer dans un vrai jeu. Malheureusement, les développeurs semblent avoir voulu - à nouveau - écarter le gameplay. Résultat, on se promène et on cherche les pages de journal intime, on écoute les dialogues, on apprécie vite fait les décors et on boucle le jeu en 3h, sans se fouler (forcément, avec le service minimum en terme de gameplay, on pouvait difficilement faire mieux). Donc autant le dire : si vous n'accrochez pas les jeux à ambiance qui misent beaucoup sur l'histoire, A Machine for Pigs n'est pas pour vous. Si vous vouliez jouer à Amnesia 2, attendez plutôt Soma. Si vous vouliez un Spin-off d'Amnesia dans une ambiance londonienne crade et dingue, là, ça peut le faire ! Personnellement, j'ai été particulièrement sensible au calvaire de Mandus, ce qui aurait normalement monté la note à 7. Néanmoins, l'espèce de paresse côté jeu sanctionne l'opus. Mince, quand même, j'ai dû fouiller un bureau en 3h !
0eil
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le 27 déc. 2013

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le 27 déc. 2013

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