Si en 2018 se lancer dans la conception d’un jeu vidéo d’aventure est une chose qui peut sembler anodine, vouloir faire son propre Dark Souls est une toute autre affaire. L’héritage intimidant de la licence de From Software a de quoi en décourager plus d’un. Il aura fallu de longues années pour que le studio japonais parvienne à sublimer un genre générant autant d’incompréhension que de vénération.
Quitte à stimuler un public de fans parfois susceptible, Aurora44 s’est donc donné pour mission de faire son propre Dark Souls. Après de nombreuses morts, des roulades d’urgence, de litres de potions avalées, de joueurs croisés, et un générique de fin délivrant, je peux enfin coucher quelques mots sur mon impression : si la grandeur de sa beauté nous laisse pantois, son gameplay lui n’est malheureusement pas du même acabit.
Ayant passé de nombreuses heures devant la saga des Souls, ainsi que Bloodborne, vous comprendrez aisément qu’il m’est alors impossible de ne pas comparer Ashen à son père spirituel Dark Souls. Se refaire une virginité d’un long apprentissage demande une gymnastique mentale hors de ma portée, et en faire une critique purement objective n’aurait aucun sens.
La naissance d’une nouvelle aventure
Le joueur commence par créer son avatar via une interface limitée, mais suffisante. Homme, femme, moustache, barbe, cheveux longs ou courts, blonds ou châtains… En revanche, pas de classe, pas le choix, c’est comme ça.
Une courte introduction nous présente l’histoire des lieux. À la manière d’un Dark Souls, le récit est mystérieux, cryptique et empreint de fantasy. L’Ashen est mort, et est sur le point de renaître, et — ho surprise ! — ce destin repose entièrement sur vos épaules.
On quitte le feu de camp et notre conteur d’histoire Bataran pour s’enfoncer dans les ténèbres de ce monde paraissant à deux doigts de l’extinction.
Premiers affrontements
C’est avec l’œil vif et un cœur d’aventurier que l’on s’approche du premier ennemi. Le combat débute. On y retrouve ce qu’on connaît déjà. Coup léger, coup lourd, esquive, barre de santé, barre d’endurance, la base. On arrive au bout de ce premier affrontement sans aucun souci, puis on récupère nos premières âmes — pardon — nos premières scories. Ces dernières font office de monnaie d’échange pour l’achat d’objets, d’améliorations d’armes et de gourde (l’estus, c’est la vie) et de runes, une sorte de passifs activables à volonté à condition d’en avoir les moyens.
Puis cette obscurité laisse place à des paysages aux couleurs automnales pastelles. Comme c’est beau, c’est même émerveillant, on aurait presque du mal à croire que tant de malveillance nous-y attende, et pourtant…
Une carte postale animée
La direction artistique du titre est plus que réussie, elle nous envoûte. À chaque nouveau paysage, l’envie d’en faire une capture d’écran nous taquine. C’est magnifique et ça tourne impeccablement bien. Les personnages aux visages stylés low poly sans figure donnent une apparence de poupée aux personnages sans pour autant leur retirer leur humanité.
Notre compagnon des débuts, Jokell, parvient même à nous raconter une histoire par sa simple apparence. C’est intrigant ce style, et c’est ce qui fait le charme d’Ashen. Un charme magnifié par les vents venant caresser les cheveux de notre avatar, les rendant plus vivants que jamais. Le tout baigné d’une musique bien plus colorée que les Dark Souls, nous ferait presque nous sentir à l’aise.
En route pour l’aventure !
C’est ainsi que débute notre épopée. Nous croisons une nouvelle fois le « visage » de notre compagnon Bataran dans un village en ruines, nous offrant la première quête du jeu. Celle-ci s’affiche sur notre carte et à l’écran sur notre boussole. La composition des niveaux étant bien plus ouverte et verticale que son modèle, Ashen pouvait alors difficilement s’en passer sans perdre son joueur. On s’y lance avec prudence pour y croiser de nombreux humains et quelques autres bestioles. Et c’est ici que les reproches peuvent alors commencer…
Le bestiaire que nous présente Ashen est très classique. La grande majorité des ennemis sont des humanoïdes de tailles différentes, des chiens, des fantômes, des araignées de pierre et quelques squelettes poussiéreux. Rien de bien original.
Au fil de son avancée, le joueur va récupérer de nombreux objets. Armes, armures, matériaux de fabrication, améliorations temporaires… Là aussi, rien de foudroyant d’originalité. La grande majorité des armes sont disséminées dans les premiers niveaux, seules les armures sont habilement dissimulées suivant ainsi la progression logique du joueur.
Hache à deux mains ou bâton de combat ?
Vient alors le moment de l’amélioration de l’équipement. Cette dernière — exclusivement réservée à la gourde et aux armes — relève de l’incompréhension. S’il est tout à fait facile d’améliorer sa gourde, c’est une autre paire de manches en ce qui concerne les armes.
À l’heure où j’écris ces lignes, il n’est pas possible de comparer naturellement la puissance des armes améliorées avec celles trouvées récemment au combat. Si vous voulez savoir si cette nouvelle hache à deux tranchants est plus intéressante que ce marteau que vous possédez déjà, vous devrez alors améliorer la hache à l’aveugle pour en avoir le cœur net. C’est particulièrement handicapant.
Pour nous venir en aide, des joueurs proposent d’ores et déjà divers tableurs de comparaison. L’équipement et les combats étant le cœur du gameplay, ce manquement est difficilement excusable.
Et ça continue encore et encore…
Une simple erreur est pardonnable, à condition de pouvoir se faire pardonner. Hélas, une longue liste vient agrandir ma déception :
- 99% des armes à une main ramassées sont moins puissantes que l’arme de départ.
- Il est impossible d’annuler l’animation d’une attaque après l’avoir lancée, une horreur avec les armes à 2 mains dont l’animation peut durer jusqu’à 4 secondes. On finit par ne plus les utiliser.
- Le personnage qui enregistre la demande du joueur, mais qui l’exécute avec parfois plusieurs secondes de retard, en particulier lorsque l’on a besoin d’un soin d’urgence.
- Le jeu qui empêche le joueur de rusher un niveau en bloquant certaines portions après sa mort face à un boss incroyable de difficulté, le forçant à rebattre certains ennemis pour continuer la progression, sans que cela soit justifié.
- La tendance du personnage à constamment être à court d’endurance, et surtout dans les pires moments.
- Des combats plus proches du beatem’up que du Souls-like à mesure que le joueur progresse, un peu à l’image de Scholar of the First Sin qui a eu le bon goût d’ajouter des ennemis là où on en avait pas besoin.
- Les accroches imprécises du personnage et les glissades à la moindre pente qui parsèment la progression du joueur de détails parfois très frustrants.
- Les composants de fabrication qui représentent L’IMMENSE MAJORITÉ du butin en jeu, un peu comme si les développeurs étaient conscients du problème dont souffre le système d’amélioration sans pour autant le corriger.
- Un boss dont la difficulté est artificiellement augmentée en lui ajoutant tout un tas d’ennemis rendant le verrouillage de la caméra et les combats au corps à corps absurde de difficulté.
- Très peu d’armes ont des mouvements d’attaque différents d’un modèle à l’autre, ce sont juste des skins pour la plupart.
- Des niveaux trop copiés de Dark Souls : on retourne Arnor Londo avec son architecture et ses statues géantes, Blighttown et ses lanciers du sheitan, l’immanquable zone marécageuse…
- Les ennemis qui réapparaissaient subitement parce qu’un autre joueur vient de rejoindre notre partie en ramenant les ennemis qu’il n’a pas éliminés dans sa partie.
Et j’aimerais m’arrêter ici, mais ce n’est pas tout.
A deux, c’est mieux (?)
Ashen s’est présenté avant tout comme un jeu de rôle et d’aventure misant sur l’entraide par la coopération entre joueurs. Lors de votre aventure, vous croisez d’autres joueurs qui pourront s’ils le souhaitent, vous aider ou non.
Point question d’envahir sur demande la partie d’autres joueurs pour leur mettre des bâtons dans les roues, il s’agit ici d’un mode coopératif passif où notre personnage revêt l’apparence d’un PNJ aux yeux des autres joueurs humains. Tout est automatique, le joueur ne choisit pas la personne qu’il va aider, sauf paramétrage préalable dans les options multijoueurs. Cette vision originale de la coopération a le mérite d’exister. Elle n’est pas superflue, mais pas totalement exempte de défaut non plus.
Contrairement à un Dark Souls où c’est le joueur qui décide s’il doit être aidé ou non, Ashen ne laisse pas le choix. Choix d’autant plus étrange qu’il annihile tout sentiment de solitude et de détresse dont la licence de From Software est fortement marquée. Ici nous avons plus affaire à un jeu d’exploration en zone hostile qu’à un jeu d’aventure sans pitié.
Si jamais internet vous fait défaut, le compagnon pourra quoiqu’il arrive être remplacé par un joueur IA dont les compétences sont parfois très discutables. L’équilibrage de celui-ci est assez raté. Notre ami est soit beaucoup trop fort et fait tout le travail à notre place, soit il ne sert à rien et évite les ennemis, quand il ne disparait pas subitement.
Précisions tout de même que le multijoueur, cassé à la sortie sur PC puis réparé, est tout à fait désactivable, ce qui est tout de même bien dommage pour un jeu qui s’en servait pour se démarquer de son modèle.
Père castor a du plomb dans l’aile…
Côté histoire, on assiste à quelque chose de plutôt générique. Vous êtes le sauveur du monde. Pour la plupart des missions qu’on vous propose, il s’agit d’aller récupérer des artefacts pour les remettre aux personnages s’installant dans le village en reconstruction. C’est plat et sans grand intérêt. C’est là qu’on se rend compte du savoir-faire de From Software qui arrive à nous raconter une histoire crédible et optionnelle à travers tout un tas d’objets et personnages dont les dialogues sont écrits avec talent, là où Ashen nous l’impose et manque sa cible.
Au gré de l’accomplissement des quêtes, le village se voit reconstruit pour être métamorphosé en un lieu très chaleureux. C’est plutôt très chouette même si ça reste assez artificiel.
En ce qui concerne les Bosses, on est plutôt face à du très bon boulot. Si on omet quelques problèmes d’équilibrage qui seront surement corrigés, on assiste à des combats vraiment réussis aux ennemis méchamment stylés. En revanche, si vous cherchez le challenge, vous devrez plutôt miser sur le New Game+ qui saura probablement combler vos pulsions guerrières.
Dark Souls pour les nuls
Si vous n’aimez pas Dark Souls, vous n’aimerez pas. Ashen copie les mécaniques jusque dans ses moindres détails, en y ajoutant quelques nouveautés. Clairement, ce n’est pas un bon choix pour vous.
Si vous n’avez jamais touché à un jeu du genre, il se peut que vous vous y retrouviez bien plus. Ashen peut constituer une bonne porte d’entrée dans l’univers des Souls. Il vous initie habilement au combat et aux mécaniques d’esquives. Vous y apprenez comment appréhender vos ennemis, l’exploration et inévitablement la mort. Agréable à l’œil, il n’en est pas moins agréable dans son gameplay à condition de le découvrir.
Syndrôme RiME
En 2017, RiME sortait. On pouvait très clairement apercevoir les influences au travers de ses trailers. Du The Witness par ici, du Journey par-là, un peu de Shadow of the Colossus… Le jeu frôlait même parfois du doigt le plagiât.
S’attaquer à des titres encensés par la critique était clairement casse-gueule. RiME ressemblait plus à une compilation bienveillante de clins d’œil de fans envers ses influences qu’a un jeu abouti à l’identité marquée. Le tout était beaucoup trop lisse, superficiel et facile pour les joueurs ayant connu les titres dont il s’inspirait.
Avec Ashen, l’histoire se répète. À trop vouloir copier son modèle, il en oublie d’en avoir un gameplay intéressant et précis. Il fait de petites erreurs, mais ne parvient jamais à nous les faire oublier. Elles s’accumulent pour donner naissance à un gameplay bancal parfois frustrant pour le genre qu’il essaye de copier.
Quitte à devoir faire un choix, attendez les soldes et offrez-vous un vrai Dark Souls-like comme Salt and Sanctuary qui s’en sort extrêmement bien, ou (re)faite le dernier Dark Souls.
Critique à lire également par ici.