Me voici déjà (ou seulement) au troisième épisode de cette saga aujourd'hui aussi populaire que décriée. Une sorte d'accident de parcours puisque je n'aurais jamais dû, sans l'intervention diabolique de mon cousin, poser mes patounes dessus ! Le deuxième épisode, régulièrement placé au sommet des tops Assassin's Creed (AC) des joueurs nostalgiques, m'avait toutefois définitivement convaincu du potentiel de la saga. L'arrivée d'Ezio signait une aventure rafraichissante et bien plus fun que son ainée. Malgré tout, le jeu demeurait si superficiel dans ses mécaniques qu'il ne m'avait pas passionné autant que je l'escomptais.
Je m'attendais à une expérience à peu près similaire avec ce Brotherhood, convaincu qu'il s'agissait d'un semi-épisode qui avait été jeté en pâtures aux joueurs pour surfer sur le raz-de-marée de ACII. Contre tout attente, il sera finalement le premier épisode de la saga à être parvenu à m'engloutir complètement dans son univers ! La raison en est simple: une cohérence ludo-narrative exceptionnelle qui transcende chacune de ses mécaniques pour proposer une immersion supérieure à celle de bien des jeux d'aventures. Décortiquons un peu tout ça !
Globalement, la sauce n'a pas beaucoup changé. AC:B va simplement plus loin que ACII dans son projet d'accaparer l'attention du joueur ! Pour ce faire, il propose de multiples sous-systèmes ludiques qui, pris séparément, demeurent très simples et semblent parfois à peine esquissés. C'est d'ailleurs une façon de jouer: piocher dans ces mini-quêtes et autres éléments optionnels pour nous changer les idées entre deux missions principales et parcourir ainsi un jeu pop-corn aussi divertissant que rapidement oublié. AC:B est d'une facilité déconcertante et ne demande aucune prouesse particulière pour voir défiler le générique de fin.
Mais il est aussi proposé au joueur de s'investir dans son aventure pour modifier complètement sa vision du monde exploré. Et je vous assure, pour avoir 85 heures au compteur, que ça a foutrement bien marché sur moi !
Jeu lancé en italien sous-titré français pour favoriser l'immersion, j'ai évidemment désactivé la mini-carte affichée en permanence dans le HUD. Ce sacrifice, qui pourrait sembler un tantinet masochiste, est le prix à payer pour activer durablement les zones de votre cerveau dédiées à la spatialisation: pendant de longues heures, j'ai appris à connaitre et reconnaitre le tracé des rues, à cartographier mentalement les boutiques les plus importantes pour ma survie, à structurer ma vision de Rome autour de ses bâtiments les plus emblématiques ! Pour parler autrement, je me suis peu à peu approprié la ville éternelle, et le level-design est suffisamment malin pour rendre cet exercice stimulant et valorisant pour le joueur. Exceptions faites de quelques missions qui, malheureusement, demanderont de réactiver la mini-carte sous peine d'être rendues presque injouables.
Loin d'être anodine, cette façon d'aborder l’œuvre vous plonge directement dans les mêmes conditions que votre avatar: Ezio Auuuuditooooorrrrre est effectivement florentin et débarque dans la cité de Jules César en position flagrante de faiblesse ! Notre Don Juan acrobate est blessé, isolé et n'a qu'un vague plan pour guider ses ambitions assassines... Peu à peu, le joueur/Ezio étend son contrôle à travers une toile de sous-systèmes ludiques, pour la plupart accessoires. Mais là où certaines quêtes optionnelles de ACII m'avaient laissé de marbre, j'ai cette fois littéralement dévoré tout ce contenu secondaire avec un appétit d'autant plus grand que j'en savourais sa cohérence !
Oubliez les mondes ouverts où le personnage accomplit des tâches qui n'ont rien à voir avec la grande quête qu'il s'est fixée, comme s'il préférait cueillir des fleurs ou livrer des messages plutôt que de sauver le monde ! Ici, tout ce que vous entreprenez à pour but de saper l'influence de votre ennemi juré, Cesare Borgia ! Vous assassinez ses soutiens, détruisez ses machines de guerre, renforcez votre amitié avec les guildes qui le combattent, gagnez l'affection du peuple et, cerise sur le gâteau, vous formez une petite armée de recrues impatientes de suivre vos traces d'Assassin !
Un effort de scénarisation a été fait pour justifier la plus anodine des quêtes, parfois juste un dialogue, parfois une véritable mise en scène qui n'a pas grand chose à envier aux quêtes principales. Le jeu est généreux et multiplie les possibilités, certes en ne les approfondissant jamais réellement, mais en les soignant suffisamment pour que vous vous sentiez toujours concerné !
A cet égard, je ne peux m'empêcher de ressentir la patte créative de Patrice Désilets, déjà aux commandes du magnifique Prince of Persia: Les sables du temps et créateur de la saga Assassin's Creed ! Dans chacun de ses jeux, on ressent l'envie de contextualiser l'expérience ludique de façon aussi simple qu'astucieuse: dans Pop, le jeu entier est un conte narré par le prince en personne. Les morts du joueur n'étaient plus que des erreurs de narration qui poussaient le prince a revenir un peu en arrière dans son histoire. Dans la saga AC, Désilets propose le concept de l'Animus qui, loin d'être une bête ficelle SF, structure à la fois l'expérience ludique ET narrative.
Alors c'est vrai, Brotherhood a totalement perdu cette ambiance mystique qui caractérisait l'aventure d'Altaïr dans ACI. De même, on ne retrouve plus vraiment le foisonnement narratif (pas toujours maitrisé d'ailleurs) de ACII. Brotherhood est un récit moins picaresque, plus prévisible et qui ne cherche même plus à approfondir la psychologie de son héros, réduit à une simple machine de guerre... Mais impossible de nier que cette histoire parvient à offrir un cadre totalement cohérent pour l'expérience du joueur ! Et comment ne pas tomber amoureux de ce rendu de Rome, aux couleurs chaudes et aux ruines fascinantes ! J'ai passé des heures à me documenter sur ce que je découvrais, bien conscient que les Assassin's Creed ne seraient jamais des leçons d'histoire mais qu'ils étaient décidément un support idéal pour débuter les investigations des plus curieux.
Après 85 heures de jeu, parfois dédiées à de la simple marche dans l'entrelacs des ruelles romaines (le jeu est un bon prétexte pour un low-run !) ou à de la balade en cheval dans sa vaste campagne, je reste conquis, bien que conscient des faiblesses du jeu et, surtout, de l'exploitation d'une formule portée à son sommet et donc déjà encline à se vautrer dans la redite...
En attendant, j'ai eu un plaisir fou à terminer le jeu à 100% (ce que je fais rarement) et je ne peux que louer l'idée de proposer des conditions spécifiques mais optionnelles lors de chaque mission. La difficulté globale du titre se voit ainsi enfin rehaussée en même temps que l'investissement du joueur (exemple: finir une mission sans se faire repérer ou sans grimper sur les toits, terminer un parcours dans un temps imparti, tuer sa cible avec une arme précise, etc.). Ce mode "hard" élégamment greffé à l'aventure rend même enfin nécessaires certaines ressources globalement mal exploitées durant l'aventure. Je pense en particulier à la confrérie d'Assassins que vous dirigez mais qui ne trouvera sa véritable utilité que dans ces défis optionnels faisant partie du 100%.
Pour toutes ces raisons, je recommande cet Assassin's Creed: Brotherhood, non pas dans son mode de consommation pop-corn, mais dans une approche plus lente et contemplative, une expérience plus proche de la dégustation que du gavage et par laquelle ce titre exprime enfin tout son potentiel.
Vittoria agli assassini !