Pour le quatrième (ou sixième, suivant comment il faut compter) épisode de la série principale, Assassin's Creed interrompt sa fuite en avant et pour une fois revient vers le passé : voici Edward Kenway, pirate de son état, et accessoirement grand-père de Connor, le héros du troisième (pardon, cinquième) opus.
Assassin's Creed III était un jeu fadasse et pénible, plombé par un encombrement de systèmes mal fichus et des impératifs narratifs trop lourd pour lui : traiter de manière exhaustive la Guerre d'indépendance, et ce au travers du personnage le moins intéressant que la série ait proposé jusqu'alors, et conclure l'histoire moderne incarnée par Desmond. Assassin's Creed IV semble être, au moins en partie, une réponse directe à son prédécesseur – et on ne peut que s'en réjouir.
Le procédé narratif ne change pas : le joueur incarne toujours un personnage de l'ère moderne, chargé de plonger dans des « mémoires génétiques » par le biais de l'Animus. Suite aux évènements de l'épisode précédent, Desmond Miles ne peut rempiler pour jouer ce rôle : à nous d'habiter le corps d'un⋅e héros⋅ïne anonyme, nouvel employé d'Abstergo Entertainment, société de réalisation d'expériences virtuelles basées sur des mémoires génétiques établie à Montréal – toute ressemblance fortuite avec une société réelle étant bien sûr tout à fait volontaire. Nous sommes chargés d'explorer les mémoires du pirate sus-cité, via l'ADN de ce bon vieux Desmond, pour (officiellement) miner ces souvenirs pour en créer un jeu vidéo et (en vrai) retrouver, comme d'habitude, un objet issu des Précurseurs. Vraie bonne idée qui permet de poursuivre élégamment l'histoire moderne, tout en célébrant ses côtés les plus ridicules sans les renier. Fouiller les ordinateurs des collègues à la recherche de documents marketings et de chats internes est assez amusant.
Mais le cœur du jeu réside bien sûr dans le passé. L'histoire s'ouvre sur un naufrage : Edward se retrouve échoué quelque part dans les Caraïbes, en compagnie d'un gentleman bien habillé qui préférerait manifestement rester tout seul. Cette première zone, sauvage, donne le ton de l'ensemble de l'aventure : la nature est magnifique (luxuriante jungle !), mais gâchée par la ludification permanente de l'espace.
Les précédents Assassin's Creed intégraient, plus ou moins adroitement, les possibilités offertes au joueur à son histoire : entre autres, la première synchronisation, ce moment maintes fois répété où, perché sur un sommet, le héros prend la mesure de l'espace qui l'entoure (et remplit sa carte d'une pelletée d'icônes à éliminer) était usuellement traitée comme une première étape dans le parcours du héros. Ici... cela se fait parce que ça doit se faire. Le jeu dit de le faire. Alors on le fait. Et voilà qu'Edward crapahute, regarde autour de lui, et saute dans une botte de foin. Petit sacrilège, mais continuons.
Le problème est que le reste du jeu continue dans la même lancée : si on comprend l'objectif – ne fermer aucune porte et célébrer la liberté du joueur – normal pour un jeu de pirates – on regrettera la dissonance créée. Car Edward Kenway, pendant quelques bonnes heures de jeu, ne sait d'abord même pas qu'une confrérie des assassins existe – ce qui ne l'empêche pas d'accomplir des missions d'assassinats pour celle-ci via de fort pratiques pigeons voyageurs. Dissonance ludo-narrative, nous voilà !
Fort heureusement, une fois ces premiers écueils passés, ce qui se révèle est une aventure tout à fait charmante, d'une ampleur respectable mais admirablement bien rythmée – alors même que je me suis entêté à courir après toutes les breloques de toutes les îles ! Le jeu se divise en deux modes bien distincts : sur terre, où le gameplay conserve les fondamentaux de la série, sur le modèle de l'épisode précédent, et en mer, où l'on dirige le navire d'Edward. Navigation (longuet), assaut de vaisseaux espagnols et anglais (amusant), chasse à la baleine (pénible), exploration sous-marine (anecdotique) : un menu varié, généralement divertissant, surtout avec l'accompagnement musical procuré par l'équipage.
Les missions du scénario principal alternent entre les deux environnements, et nous baladent d'un bout à l'autre des Caraïbes. Celui-ci nous permet de suivre l'évolution d'Edward Kenway, alors qu'il apprend à accepter sa place dans le monde et à ne plus suivre que son propre intérêt. La galerie de personnages secondaires n'est pas en reste, le capitaine Kidd en premier lieu.
Black Flag représente un moment de fraîcheur bienvenu pour une série qui tournait sérieusement en rond. L'environnement est luxuriant, les personnages bien écrits et l'ensemble dynamique : bref, la belle sous le soleil des tropiques.