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Lorsque "The Parting Glass" résonne, qu'Edward Kenway revoit ses anciens compagnons que le temps a arraché à la vie, qu'il remonte une dernière fois sur son navire si cher à son cœur, qu'il voit enfin sa fille et qu'il quitte pour de bon les Antilles après quelques années comme l'aventure d'une vie, puis que l'on voit une ultime saynète qui clôt l'odyssée des Kenway là où elle avait commencé, nul doute qu'une pointe d'émotion vient saisir le joueur un tantinet sensible. Nul doute que de nombreux fans de la série Assassin's Creed considèrent ce moment comme l'un des meilleurs et des plus iconiques de toute la franchise, et il serait malhonnête de ma part de dire que je ne trouve pas ce moment très beau. La sublime voix d'Anne Bonny, la dernière virée en bateau de l'aventure, la dernière scène prévisible, certes, mais ô combien sympathique… La conclusion de cette histoire est irréprochable, à n'en pas douter, car elle vient boucler la boucle en quelque sorte, après nous avoir fait marcher dans les pas d'Haytham Kenway et de son fils Connor dans Assassin's Creed III, puis dans ceux d'Edward donc, dans Black Flag. L'acmé de cette tragédie, en somme. Mais si cette conclusion est, à bien des égards, une pure réussite, je dois malheureusement nuancer mon point de vue sur le reste, et croyez-le, ça me fend le cœur.


Le cas d'Assassin's Creed IV: Black Flag est assez difficile à traiter. Premièrement, contrairement à AC Origins ou AC Odyssey, je ne considère pas qu'AC Black Flag soit un mauvais jeu. Il dispose de qualités propres indéniables, et, contrairement à ces deux grands frères patibulaires et boiteux, il propose un vrai vent de fraîcheur et une somme de nouveautés propres, qui ne sortent pas tout droit de l'imagination d'autres développeurs plus talentueux. Black Flag n'est pas, à cet égard, une copie d'un autre jeu qui serait venu paver le chemin devant lui quelques années plus tôt. Et, en toute honnêteté, dire de Black Flag que c'est un mauvais jeu serait faux.


Mais en tant que (ex) fan d'Assassin's Creed depuis de très nombreuses années, il m'est absolument impossible de dire d'Assassin's Creed Black Flag qu'il est un (bon) Assassin's Creed. Les raisons ? Elles sont nombreuses…


Remise en contexte.


Black Flag sort en 2013, un an après son successeur (c'était de coutume de faire cela, à l'époque…), AC3, qui se voulait être l'opus le plus ambitieux d'une franchise qui avait su gagner, jeu après jeu, ses galons de valeur sûre, de franchise à la qualité constante, malgré un bref vacillement avec Revelations (que j'aime de tout mon cœur malgré ses défauts). La franchise avait su évoluer au fil du temps, en corrigeant les défauts de chaque jeu intelligemment et en apportant un lot de nouveautés propre à chaque jeu. Si AC3 avait tant marché, c'est parce que la communication agressive d'Ubisoft lui avait permis de s'ouvrir à une nouvelle frange de joueurs, novices d'Assassin's Creed, qu'il a su convaincre par son atmosphère, son gameplay et son histoire à tiroirs avec sa galerie de personnages complexes et attachant, ainsi qu'un traitement de l'histoire avec le moins de manichéisme possible. L'un des aspects les plus plébiscités par à peu près tout le monde (presse comme joueurs) fut les batailles navales, qui ne constituaient pas un point majeur du jeu. Tout juste nous participions à trois batailles dans l'aventure principale, et une petite brochette de quêtes annexes assez peu intéressantes y étaient dédiés. Elles étaient ma foi fort sympathiques, certes, mais venaient un peu nous sortir de l'aventure, avec une envolée dans le spectaculaire assez étrangement hors-sujet. On passait donc d'une mission d'assassinat propre à la série, avec des enjeux connus, à une bataille navale où l'on doit aider les Patriotes américains à écraser la flotte britannique… Je grossis sans doute les traits, mais la réalité est là.


Les batailles navales d'AC3 étaient très fun à jouer, et c'est sans doute ce qui a plu, mais malvenues en regard du reste du jeu, et surtout de sa dimension Assassin's Creed-esque. Cela dit, cela n'était pas bien gênant en soi puisque, à nouveau, l'on ne participait qu'à une poignée de ces batailles dans l'aventure. Nous ne sommes pas des pirates, pardi.


Ubisoft étant Ubisoft, une idée a rapidement fait son chemin dans l'esprit des développeurs. La mécanique est appréciée, plutôt fun, et a un fort potentiel commercial. Il est donc naturel que le studio des Bretons Indépendants ait décidé de décliner le concept de batailles navales plus largement, et il est également logique qu'Ubisoft ait choisi, pour en faire un jeu complet, de situer l'action de son histoire lors de l'âge d'or de la piraterie, au début du XVIIIe siècle dans les Antilles.


Le jeu démarre donc en 1715, avec un Edward Kenway comme moussaillon, qui va se retrouver à endosser une bien célèbre tunique après en avoir délesté son propriétaire, pour accomplir la mission que ce dernier eût accompli sans la malheureuse intervention de notre blondinet bravache. La mission en question s'avère être une trahison de la Confrérie des Assassins, et j'avoue que ce côté méta est inoubliable une fois qu'on l'a remarqué. Ubisoft tue l'Assassin pour se faire passer pour lui en proposant un jeu de pirates. Car, après quelques péripéties, nous nous retrouvons les heureux propriétaires d'un navire, le Jackdaw, avec tout un équipage à disposition, et une mer regorgeant de navires à attaquer, de cales à piller, de matelots ennemis à tuer à coups de boulets de canon, de sabre, de canon sur pivot, de tout ce que vous voulez… Au bout de trois heures de jeu, le pavillon noir est hissé, et ne sera jamais descendu.


Et déjà, on tient un aspect qui, moi, me perd. Comme tout le monde, lorsque j'étais enfant, l'univers des pirates m'a fasciné. J'ai été bercé par les aventures de Jacques Moineau au grand écran, et cette ambiance si particulière des navires en pleine mer, des exhalaisons de rhum et des capitaines dont la main amputée est remplacée par un crochet, dont l'épaule est surmontée d'un perroquet, qui font subir le supplice de la planche à tous leurs ennemis, les abandonnant à un sort abominable… À n'en pas douter, cet univers fascine à peu près tout le monde. Il est indéniable qu'il a un fort (pour dire le moins) potentiel marchand, et qu'un vrai jeu de pirates, ambitieux, peut attirer une énorme communauté de gamers. Après tout, en 2013 (et c'est toujours vrai aujourd'hui), les jeux de pirates étaient rares, et n'offraient pas le quart de ce que pouvait proposer Black Flag.


Black Flag annonce la couleur dès son titre en somme, en sous-titrant le chiffre, comme une façon d'attirer le joueur qui douterait de sa capacité à suivre une chronologie de toute façon très confuse (ce n'est pas pour rien que Black Flag fut le dernier épisode numéroté, les épisodes suivant n'ayant juste qu'un titre rappelant plus ou moins vaguement leur contexte historique), insistant par la même sur l'aspect "Black Flag", l'aspect piraterie du jeu. Et les trailers diffusés par Ubisoft n'allait que dans un sens, celui du combat naval, du pillage, l'aspect Assassin n'étant que rarement mis en avant, souvent en fin de trailer, comme s'il ne s'agissait que d'un aspect subsidiaire du jeu (ce qui est le cas, on y reviendra).


Pour résumer cette longue remise en contexte, Black Flag avait tout pour attirer les nouveaux joueurs qui ne se seraient pas déjà laissé tenter par AC3. Une belle plastique, un concept novateur et intéressant, une ambiance prometteuse, un gameplay permissif nous offrant une grande liberté d'action…


Pour ce qui est des fans d'Assassin's Creed, en revanche, ils devraient passer au second plan.


Car, à mon sens, le plus gros problème de Black Flag, c'est qu'il n'est pas un Assassin's Creed, pendant à peu près 90% de son intrigue. Edward Kenway n'est pas un Assassin avant la toute fin du jeu, et, s'il en côtoie certes durant l'aventure, c'est uniquement par intérêt personnel. Il tue telle ou telle cible car cela peut l'aider, l'enrichir. Il n'a aucun attachement au Credo, porte une tenue qu'il a volée, et n'est intéressé que par le pillage et le profit. Le jeu est néanmoins suffisamment bien écrit pour que tout cela soit intelligemment traité, et sert la thématique générale du jeu, qui sera celle de la maturité et de la rédemption. Edward dispose d'un vrai arc narratif, et le personnage devient assez rapidement attachant. Il est charismatique, on s'y attache très vite, et, plus que tout, il évolue vraiment tout au long du jeu. Comme le dit un personnage du jeu, le Edward du début n'est pas le même Edward qu'à la fin.


Et oui, c'est intéressant comme point de vue, mais, malheureusement, cela n'intervient que trop tard. Le basculement d'Edward n'intervient vraiment qu'après un événement en particulier (que je ne spoilerai pas, mais ceux qui ont fait le jeu voient très bien de quoi je parle), et pas grand-chose ne vient l'induire auparavant. Pendant une douzaine d'heures, on est un pirate dont les intérêts vont parfois s'aligner avec les Assassins. Parfois, seulement, et c'est dommage. Il y a notamment des séquences entières sans le moindre Assassin, sans la moindre avancée du conflit Assassin-Templier. Dans un jeu qui s'appelle Assassin's Creed, c'est quand même embêtant, vous avouerez…


La figure du pirate en quête de gloriole passagère et de profit facile est à des années lumières de celle de l'Assassin dévoué à sa cause, qui suit un Credo à la lettre, qui respecte son mentor. Edward Kenway, en tant que pirate, ne respecte aucun des tenants du Credo. Il tue des innocents, il affiche haut ses couleurs de pirates, et met les Assassins en danger à plus d'une reprise. Et cela ne pose problème à personne.


Alors oui, Black Flag nous propose de côtoyer une galerie de personnages bien campés, au caractère unique et dont presque tous sont marquants. Qu'il s'agisse d'un Barbe-Noire à mille lieues de l'image cliché que l'on a de lui, ou d'un Charles Vane complètement détraqué, d'un Woodes Rogers menaçant et au destin intéressant, d'une Mary Read en personnage féminin fort et intéressant (comme quoi, c'est pas si difficile, Ubisoft :) ou bien encore du quartier-maître du Jackdaw, Adewalé, à l'évolution logique et très intéressante, qui est par ailleurs le protagoniste du DLC du jeu, sans aucun doute le meilleur DLC de toute la franchise, et le seul qui vaille qu'on dépense une quinzaine d'euros pour se le procurer.


L'écriture d'Assassin's Creed Black Flag est un point éminemment réussi, surtout si on le compare avec les opus sortis récemment, dont l'absence de scénario n'est jamais compensée. Black Flag dispose d'une histoire bien écrite, de personnages bien campés et attachants et d'une ambiance historique excellente. On aime à se perdre dans les rues bigarrées de La Havane, ou se laisser bercer par les flots calme de l'océan, pourvu qu'une tempête ne se déclare pas soudainement.


Mais malheureusement, cette intrigue et cette ambiance dignes d'un western (remplacez les pirates par les chasseurs de primes et réfléchissez-y deux minutes) viennent se heurter à la dimension Assassin de l'intrigue, jamais mise en avant, et bien trop réduite à sa plus simple expression. Les Assassins n'ont ici qu'une place très mineure du jeu, sans doute pour ne pas délaisser les nouveaux joueurs qui n'y prêtent aucun intérêt. Alors oui, les scènes en compagnie d'Ah Tabai, le Mentor des Assassins, sont réussies, surtout car elles sont bien écrites, mais hélas trop peu nombreuses.


À ce titre, le jeu a clairement le cul entre deux chaises. D'un côté il veut satisfaire ses nombreuses promesses et offrir une véritable expérience de piraterie comme on en n'a jamais vu dans un jeu-vidéo, et de l'autre il se doit de continuer une saga vieille de 6 ans alors, et dont il doit relancer une intrigue dans le présent en même temps qu'il doit conclure l'aventure des Kenway et raccrocher les wagons avec AC3 et Forsaken (le roman lié à AC3). Et s'il réussit sans peine la première exigence, il faillit à remplir la deuxième. Je suis par ailleurs intimement persuadé que, si Forsaken n'existait pas (pour ceux qui ne l'ont pas lu, déjà lisez-le, c'est une très bonne lecture, on y suit Haytham de sa jeunesse jusqu'à l'âge adulte, et on voit pour la première fois Edward Kenway dedans, dans une version très différente de celle du jeu, avec un véritable côté Assassin, qui semble l'être depuis assez longtemps pour s'être imprégné de leurs idéaux et développer une propre vision du Credo. Fin de cet aparté) Edward n'aurait pas été un Assassin du tout, mais simplement un pirate qui les aide lorsque ses intérêts s'alignent avec les leurs. Un peu comme AC Valhalla, en somme, conçu par la même équipe et qui n'en est qu'une pâle et mauvaise contrefaçon à une autre époque.


Pour jouer aux Assassins, il faut se résoudre à réaliser une série de quêtes annexes pas franchement des plus intéressantes, et qui ne sont pas des plus nombreuses. Elles se finissent vite, et on passe à autre chose, car l'on doit améliorer son navire, car l'on doit piller une dizaine d'autres bâtiments… Bref, ce contraste entre le champ d'action laissé à la partie pirate et l'effacement quasi complet de la partie Assassin est regrettable.


Et pour évoquer rapidement la question du présent, ce n'est guère mieux. Fini le temps où nous incarnions le beau et fringant Desmond, fini le temps où nous pouvions discuter longuement avec nos alliés, fini le temps où nous pouvions aller en mission. Nous y incarnons un type sans nom, à la première personne, censé être l'avatar du joueur, qui bosse chez Abstergo Entertainment, sorte de copie maléfique d'Ubisoft. Quelques rares figures connues sont croisées ou évoquées, mais ça ressemble bien plus à un os qu'on jetterait à ronger aux fans hardcore pour les empêcher de se plaindre qu'autre chose. Et le fait que cela ne débouche sur strictement rien par la suite ne vient que renforcer son inutilité.


Alors oui, Black Flag est un bon jeu, qui se parcoure avec plaisir. Dire que je n'y ai pas passé de très bonnes heures serait mentir. Dire que je ne ressens pas de la frustration en y jouant serait mentir aussi. C'est un jeu qui, s'il avait rempli son office et dansé sur ses deux pieds, aurait sans doute été le meilleur Assassin's Creed. Il avait tout pour réussir cela, satisfaire les nouveaux venus attirés par l'ambiance piraterie, et satisfaire les fans les plus hardcore d'une franchise qui commençait déjà à perdre son identité. Hélas, il n'y est pas parvenu, et c'est bien dommage.


Selon moi, Black Flag est le point de départ de la chute d'Assassin's Creed. Après lui suivront trois autres jeux allant du très bon (Unity) au canard boiteux (Syndicate), au gros DLC pas vraiment utile mais sympathique à parcourir (Rogue), puis trois étrons en puissance, dont deux commis par la même équipe. Black Flag, c'est le premier grain de sable qui est venu gripper une machine qui aurait peut-être (et même certainement) dû cesser de fonctionner après Assassin's Creed 3. Depuis lors, Assassin's Creed n'a cessé de se diluer, de se morfondre dans des jeux qui misaient plus sur leur concept / leur cadre spatio-temporel que sur leur intrigue, que sur leur charme assassin. C'est avec Black Flag que tout a démarré, c'est avec lui qu'est arrivé une frange massive de nouveaux joueurs inintéressés par la saga, et qui ont permis à Ubisoft de continuer à massacrer une série qui ne méritait pas ça. Black Flag fait partie des épisodes les plus appréciés de la saga, mais je ne peux m'empêcher de lui tenir une rancœur pour ce qu'il a engendré.


Et peut-être, au fond, que l'histoire aurait dû s'arrêter plus tôt. Peut-être AC3 aurait-il dû marquer la fin de la saga en même temps que celle de l'histoire de Desmond. Peut-être que c'est aussi à cela qu'on reconnaît une franchise perdue : elle continue sans cesse, au gré des opportunités commerciales, sans se soucier aucunement de sa cohérence interne, ni de la qualité déclinante de chaque jeu, pourvu que les ventes viennent rasséréner un éditeur en quête de profit facile. Peut-être que ce n'est pas si grave, peut-être que j'en fais trop. Il n'en reste pas moins qu'après Black Flag, plus rien n'a été comme avant, et que c'est à partir de là qu'Assassin's Creed a lentement commencé à mourir…

Soda1459
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le 6 juin 2021

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