Poudrière humide
Lancé au pur hasard du catalogue Game Pass, ce jeu m'a accroché d'un violent uppercut de maitrise. Le premier acte de Backbone est en effet un modèle d'entrée en matière. Tout est y immersif...
le 24 juil. 2022
5 j'aime
/!\ J'ai mis l'avant-dernier paragraphe sous balises spoiler car il en contient, mais c'est aussi le passage le plus important de la critique car c'est celui qui évoque les principaux problèmes de Backbone selon moi, à vos risques et périls donc /!\
Lorsque les développeurs de EggNut annonce un premier jeu à l'ambiance clairement inspirée de Blacksad, on ne peut que se réjouir. Le style hard boiled ou noir qui a fait les belles heures du roman policier et du cinéma hollywoodien est en effet assez rare dans le domaine du jeu vidéo, et à l’exception de quelques titres comme L.A. Noire qui reste sûrement l’exemple le connu, on ne peut accueillir la nouvelle d’un nouveau jeu exploitant ses codes qu’avec enthousiasme.
D’autant que les premières heures de Backbone sont plutôt encourageantes. Le jeu nous met dans la peau de Howard Lotor, un détective privé cynique, dépressif et alcoolique, engagé par une femme pour suivre son mari qu’elle pense infidèle. Cette enquête emmènera notre raton laveur détective et son trench coat beige dans les bas-fonds d’une ville aux effluves de whisky et de tabac froid où se côtoient pègre, prostituées et dealers de drogue. Comme il est de convention dans le genre du hard boiled, ce qui avait commencé comme une affaire routinière va se révéler être une enquête beaucoup plus complexe, dangereuse et sombre. On comprend vite que EggNut a parfaitement assimilé les codes du genre et les retranscrit à merveille. L’ambiance propre au style noir est parfaitement réstituée, sublimée par une direction artistique très réussie, inspirée de Blacksad avec ses animaux anthropomorphe et ayant fait le choix d’un pixel art qui flatte la rétine pour son aspect graphique, ponctué de quelques peintures elles aussi magnifiques lors des déplacements en taxi et de quelques moments clés. La bande son du jeu n’est pas en reste avec des mélopées de jazz toutes aussi envoûtantes qui achèvent de donner au jeu ce cachet si particulier propre aux films de gangster des années 30/40.
Mais très vite, un premier bémol se fait sentir. Si l'on aurait pu croire que le jeu nous laisserait mener l'enquête à notre guise, nous laissant le soin de choisir qui interroger ou quelles phrases de dialogue utiliser pour arriver à décrocher les informations que l'on souhaite, on se rend rapidement compte qu’il n’en est en fait rien et que, quels que soient nos choix dans ceux proposés lors des dialogues, la finalité sera la même. Aucune liberté n’est laissée au joueur, qui devra interroger tel personnage et obtenir telle information lorsque le jeu le voudra et uniquement lorsqu’il le voudra. Choisir de répondre de façon sarcastique ou de façon conciliante n’aura aucune incidence sur le gameplay, et vous pourrez vous permettre de sélectionner les pires réponses possibles sans que cela n’influe ni sur votre expérience de jeu ni sur le déroulé du scénario. Un peu dommage, d’autant que les dialogues sont plutôt inspirés et que les différents protagonistes ont tous une personnalité bien à eux. On saluera aussi la façon dont le scénario utilise son décor et l’anthropomorphisme de ses personnages pour nous livrer une critique sur la lutte des classes et sur le sexisme systémique de la société.
Cela dit, une fois cette petite déception passée, on se dit qu’après tout on peut facilement s'accommoder de cette linéarité et que le fait que le titre se veuille plus proche d’un point’n’click à énigmes traditionnel que d’un jeu aux dialogues à choix multiple relève plus d’une volonté des développeurs que d’un véritable défaut en soi. Mais là encore Backbone peine à convaincre. Comme dans un point’n’click classique, le joueur accumule des objets qu’il devra utiliser au bon moment, cependant rien n’est laissé à la réflexion du joueur : les objets s’utilisent tout seul, il suffit d’avoir le bon objet dans son inventaire au bon endroit pour que le personnage l’utilise de lui-même, sachant qu’on récupère généralement les-dits objets juste avant de devoir les utiliser. Et ne comptez pas sur la présence d’un système de fusion d’objets comme il est de coutume dans le genre pour ajouter un peu plus d'interactivité : cette fonctionnalité est tout simplement absente de Backbone. De même pour les énigmes, il n’y en a en tout et pour tout qu’une seule dans tout le jeu (on peut d’ailleurs noter qu’il est un peu malhonnête de mettre cette unique énigme dans le premier chapitre, laissant croire qu’il y en aura d’autres par la suite). Les seuls moments qui permettent à Backbone de se différencier d’un visual novel sont au final les phases d’infiltration, où l’on devra se cacher accroupi derrière des éléments du décor pour échapper à la vigilance de gardes qu’on devra distraire en activant des objets prédéfinis. Mais non seulement ces phases se comptent sur les doigts d’une main, mais elles sont en plus extrêmement courtes et d’une simplicité enfantine. Aucun challenge donc dans ce Backbone, on se contente de suivre l’histoire presque en mode automatique. On trouve bien une liste d’objectifs, mais celle-ci s’avère complètement inutile tant le titre est dirigiste.
Là encore les plus indulgents pourront pardonner cette linéarité et prendre le jeu comme un sympathique visual novel à l’ambiance polar très bien retranscrite. Sauf qu’à mi-parcours, le jeu prend un virage inattendu et troque le hard boiled pour un délire science-fiction extrêmement déroutant. Il s’agit là d’une question de goût et certains seront sûrement agréablement surpris par ce revirement total, mais ici on peut difficilement cacher notre déception de voir un univers film noir si rare dans ce média verser si soudainement dans quelque chose de beaucoup plus habituel pour un jeu vidéo. Et la déception n'en finit pas là car lorsque le générique se lance après seulement cinq petites heures de jeu, on a l’amère impression que Backbone ne semble être en fait que la première partie de son scénario. Quasiment aucune réponse n’est apportée au joueur, l’intrigue s’arrête en plein milieu de son développement comme si la moitié du jeu avait été tronquée, sans cliffhanger ni même évocation d’une éventuelle suite, et alors même que le jeu venait tout juste de débuter une nouvelle intrigue. On ne connaîtra donc pas le fin mot de cette histoire, la résolution de cette enquête pourtant bien écrite ni le sort réservé aux personnages.
Backbone est donc un jeu à l’ambiance solide, doté d’un aspect visuel et sonore extrêmement charmant avec des personnages et des dialogues très bien écrits, mais son manque d’interactivité et de liberté, son changement de genre aussi inattendu que déconcertant et sa fin tout simplement inexistante entachent une fable sociale qui aurait pu être une excellente surprise. Néanmoins ses qualités prouvent que EggNut a les moyens de proposer des expériences intéressantes, et on peut espérer qu’à l’avenir le studio saura apprendre de ses erreurs pour nous offrir des jeux réussis de bout-en-bout.
Créée
le 13 juin 2021
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