Après 192h et 1392 sauvegardes, je suis finalement arrivée au terme de mon aventure. Depuis le 6 août, date de sortie de la version 1.0, je me suis plongée presque chaque jour dans ce périple haletant qui marquera ma vie de joueuse. Soulagée d’avoir pu mener ma compagnie vers la victoire, mais frustrée d’abandonner ces amis avec qui j’ai tant partagé. Baldur’s gate 3 est de ces jeux qui impliquent émotionnellement et il est toujours délicat de passer derrière lui. Il faut laisser reposer, laisser décanter. Tout jeu avec des prétentions narratives paraîtra forcément fade dans son sillage.
Mon emballement a été d’autant plus profond que je n’avais pas goûté à l’accès anticipé. Même si j’avais dévoré les deux opus Divinity original sin, je voulais découvrir l’ultime chaînon de cette fausse trilogie sans m’impliquer dans son développement. N’ayant pas d’affinité particulière pour l’univers D&D, j’ai néanmoins pratiqué le jdr sur table, des deux côtés de l’écran, pendant deux décennies. Autant dire que j’attendais beaucoup de BG3, mais pas à ce niveau d’excellence.
Je n’ai pas l’intention de tartiner des pages sur tel aspect du jeu, ses mécaniques, ses défauts ou ses qualités. D’autres personnes l’ont déjà fait et mieux que je ne saurais le faire. J’aimerais surtout exprimer un ressenti. À de nombreuses reprises lors de cette aventure j’ai éprouvé un vertige. De mémoire, jamais un jeu vidéo ne m’avait autant fait éprouver des sensations similaires à celles d’un jdr sur table. La qualité des dialogues, la profondeur des interactions ou le développement des personnages rencontrés sont sans équivalent. Mais l’aspect du jeu qui m’a définitivement stupéfiée est la place laissée aux choix. Les angles d’approche pour aborder chaque situation sont pléthoriques. Les interactions hors dialogues sont déjà hallucinantes, mais quand on réalise que notre race, classe, réputation, etc., sont prises en compte dans les conversations et que nos choix impactent durablement et de façon radicale le cours de nos aventures, on se retrouve hypnotisé. Nous sommes responsables de nos actes et de nos compagnons et certaines décisions peuvent s’avérer déchirantes. Rares sont les moments où l’on devine un Larian marionnettiste qui tente de nous imposer ses choix. Les liens avec nos compagnons d’infortune et les pnj s’en retrouvent renforcés et donnent une cohérence et une tangibilité à ce monde virtuel. La mise en scène, même basique, ne nous présente jamais isolé et désincarné. Baldur’s gate 3 narre l’histoire d’un groupe, d’une compagnie où chaque protagoniste possède des objectifs, des aspirations, des forces et des failles. L’accent mis sur la qualité des dialogues et de leur interprétation par des acteurs investis obsède, tant il se maintient tout du long. L’immersion devient alors totale et on fait corps avec notre avatar.
Malgré cette liberté et la place centrale du choix comme cœur de gameplay qui accouchent d’un jeu à la rejouabilité quasi infinie, il me faudra du temps pour revenir fouler les terres de Faerun. Oublier. Oublier Siloë, cet avatar patiemment façonné, cette druidesse exaltée qui fait sienne la souffrance de ses compagnons. Oublier Shadowheart et ses cheveux blancs, Astarion et ses cicatrices, Karlach et son cœur trop ardent, Lae’zel et ses doutes. Oublier les autres, aussi. Repartir avec un nouvel avatar et des compagnons aux trajectoires différentes serait comme une trahison. Comme lire une nouvelle fois un livre doudou où les destins des personnages auraient changé. Revoir un film où notre héroïne bifurquerait sur une autre voie. Par certains aspects, BG3 me rappelle Life is strange qui demandait une forte implication émotionnelle. Les choix revêtaient également une grande importance, même si beaucoup s’avéraient tronqués. Malgré l’envie sourde de relancer une partie, je n’ai jamais pu m’y résigner. L’histoire de Max et Chloé était tatouée dans ma mémoire et aucune alternative ne pourrait s’y substituer.
Je plains les studios qui vont devoir relever le défi du crpg durant les prochaines années. Ils seront inévitablement comparés aux équipes de Larian et la pression risque d’être démesurée pour un genre qui reste malgré tout de niche. Baldur’s gate 3 restera, je pense, une anomalie intouchable pour longtemps. Les studios triple AAA ne se permettront jamais de produire un jeu de niche et l’immense majorité des studios indés n’ont pas ce genre d’ambition et d’expériences ultras spécialisées. Merci à toutes les équipes de Larian pour cette œuvre qui fera date.