Baldur's Gate III
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Baldur's Gate III

Jeu de Larian Studios (2023PC)

L’histoire de Larian commence à être connue. Studio belge sur lequel personne ne voulait miser un kopeck parce que vous comprenez : « personne lancera vos jeux de nerds trop compliqués. » Deux campagnes de financement participatif plus tard, les gars de chez Larian prouvent qu’ils ont les épaules assez solides pour soutenir leurs ambitions et qu’ils sont capables de fédérer un public autour de leurs jeux. Juste de quoi interroger Wizards of the Coast à qui ils réclament le droit de développer un Baldur’s Gate depuis des années…

Voilà qui est résumé et sans doute approximatif, mais le résultat de cette histoire c’est que Larian a fini par obtenir ce qu’ils voulaient, qu’ils ont désormais les moyens d’un studio de AAA et qu’ils conservent malgré tout leur indépendance financière et créative. Ils vont créer un jeu de passionnés pour des passionnées. Ce jeu sera Baldur’s Gate 3, et il va tout péter.

BG3 est concrètement le meilleur RPG occidental auquel j’ai joué, sans aucun doute l’un des meilleurs jeux tous genres confondus. Il est riche, ambitieux, intelligent, récompensant et surprenant. C-RPG de la vieille école oblige, il restera un genre de niche pas forcément conçu pour tous les profils : il faudra accepter de passer une demi-heure sur un combat au tour par tour ou trois heures à questionner les PNJ pour comprendre les enjeux de l’histoire. Les rôlistes seront en terrain conquis, mais croyez-en le succès massif et fulgurant du jeu, Larian a rendu la formule accessible.


Et cette formule commence par une écriture en béton armé. Tant dans le scénario principal que dans l’histoire personnelle de vos compagnons qui enfin ont vraiment une personnalité et une âme, comparé aux précédents Divinity du studio. Toutes ces histoires font sens, toutes se croisent à un moment ou un autre, et toutes peuvent prendre des directions différentes selon vos choix. Vos choix oui, car ils ont une vraie valeur dans BG3. Il ne s’agira parfois que de tracer votre voie entre le bien et le mal, mais d’autres fois, Larian vous rappellera que le monde est fait de nuances et que c’est entre la peste et le choléra qu’il faudra choisir. Qui croire ? qui défier ? quels sacrifices accepter ? quelle direction donner à vos compagnons ? Certains d’entre eux pourront vous quitter ; à titre personnel, il y a carrément une map sur laquelle je n’ai pas mis les pieds lors de ma première run…

Soyons honnêtes, la liberté absolue de vos choix restera contrainte par la linéarité du scénario — ce qui se ressentira peut-être davantage si vous empruntez les voies les plus sombres de l’histoire — mais malgré tout, il y a tellement de possibilités et de choses à voir que vos choix à eux seuls justifieront de relancer une nouvelle run. En une seule, vous n’aurez pas tout vu.

Enfin, difficile de mentionner la qualité d’écriture sans parler de sa qualité d’intégration dans le jeu. Qualités techniques maintes fois évoquées dans la presse bien sûr — tout est mis en scène et doublé par des acteurs qui ont fait un boulot remarquable, — mais qualité de design également : pas UNE putain de quête fedex dans BG3 ! Le jeu est d’une densité et d’une richesse colossale, mais JAMAIS un PNJ ne vous demandera d’aller lui chercher trois tiges de ciboulette pour agrémenter son plat du soir. Toutes les quêtes sont écrites, toutes ont des enjeux, des péripéties et parfois même une résolution que vous ne verrez que cinquante heures après qu’on ne vous ait lancé sur sa piste.


L’autre gros morceau de BG3, c’est évidemment son système de jeu directement hérité de D&D. Pas grand amateur d’aléatoire dans les jeux nécessitant planification et stratégie, j’avais quelques craintes par rapport à ce système qui règle toute question aux jets de dés. Craintes rapidement balayées par la profondeur du game design. Alors oui, désactiver l’option des « dés karmiques » (qui lisse un peu la RNG pour épargner au joueur les séries d’échecs) pourra générer 2-3 frustrations. Mais la vérité, c’est que je me suis éclaté du début à la fin. Le jeu fournit mille manières d’optimiser ses chances de réussite, la dimension stratégique des combats est une franche réussite, la progression en niveaux particulièrement bien équilibrée, l’acquisition d’équipement offre une vraie satisfaction…

BG3 c’est douze classes jouables, un minimum de trois sous-classes pour chacune d’elles et la possibilité de « multiclasser » pour profiter de nouvelles synergies. Si monter un personnage au niveau max de sa classe initiale reste un moyen fiable pour progresser sans se prendre la tête ni se tromper, autant dire que ce sont les amateurs de theorycraft qui vont vraiment se régaler. Construire un groupe de quatre personnages multiclassés ouvre un éventail d’actions, de sorts et de compétences qui donne le vertige.

Une diversité qu’on retrouve dans la variété d’approches offertes pour résoudre chaque situation. Un simple coup d’œil aux vidéos qui ont fleuri sur les réseaux, montrant ces joueurs et leurs idées farfelues et non conventionnelles pour pourfendre tel boss ou accéder à tel secret, pourrait suffire à rendre compte du caractère presque sandbox du jeu. Les développeurs de chez Larian ont parfaitement compris leur statut de maitres du jeu ; et comme lors d’un jeu de rôle sur table, stratégie et inventivité vous ouvriront d’innombrables portes. J’ai été plus que ravi de retrouver ces sentiments, ravi de me replonger dans un jeu de rôle riche de possibilités, et ravi de retrouver ma bonne vieille boule de feu, outil toujours fort utile pour plier les débats.


Bref, Baldur’s Gate 3 est une aventure qui se traverse dans le sang et les larmes. La tonalité n’est plus celle de la rigolade et du calembour des Divinity. Là, un dialogue mal mené peut vous tuer. Eh ouais ! L’ambiance sera plus grave, plus sombre, mais non moins dénuée de moments de bravoure, de surprise et de chaleur (si vos compagnons ne vous détestent pas). BG3, c’est des combats intenses et variés dont on ne manque pas de célébrer chaque victoire lorsque l’ennemi rend enfin son dernier souffle. BG3 c’est des choix constants qui mettront votre sens moral et votre loyauté à rude épreuve ; un level design exemplaire, pas immense comme s’en gargarisent les open-world, mais dense, intéressant et bien foutu ; un univers fascinant et mystérieux qu’on prend plaisir à explorer et découvrir ; une soundtrack sans fausse note, avec l’un des boss theme les plus mémorables de ces dernières années ; un multijoueur de qualité qui permet de parcourir l’un des meilleurs jeux de la décennie en coop’, juste MERCI Larian !

BG3 est un jeu ambitieux, généreux et sans concession. Un jeu qui dépoussière et modernise la vieille formule du C-RPG pour l’accessibiliser sans la trahir. Un jeu qui ne sacrifie ni son écriture, ni sa profondeur de gameplay, comme l’attendrait l’habituel cahier des charges des investisseurs qui ne voient le jeu vidéo que comme un produit de consommation qu’il faut sortir avant l’heure pour en vendre des palettes. Avec l’empire qu’ils ont bâti à la sueur de leur front, Larian est peut-être une anomalie dans l’industrie, un cœur d’indé dans une gangue AAA, mais une anomalie qui sort des jeux comme on voit rarement. Et pour ça, bravo.


Alors pourquoi pas 10 ?

En voilà une question qu’elle est bonne ! Pas encore en vérité.

En l’état, BG3 souffre de quelques éléments à peaufiner si on est tout à fait honnête. Certains bugs — de plus en plus rares à mesure des patchs, et essentiellement en multi de mon expérience — viennent encore gâcher la fête (une zone qui ne se charge pas correctement, un personnage qui cesse de suivre le groupe, etc.). Un besoin évident d’optimisation est nécessaire au niveau des performances, surtout dans l’acte 3 qui charge trop d’éléments de concert. Le final mérite un peu d’amour puisqu’il semble tronqué de quelques morceaux et se révèle un brin expéditif ; autant dire que les habitués des J-RPG et de leurs épilogues de vingt minutes vont perdre une dent face à cette conclusion des plus… sommaire. Le quest design est solide mais perfectible, surtout pour ceux qui souhaiteraient emprunter la route « evil » moins récompensante. Et évidemment l’UI, et notamment la gestion de l’inventaire, mériterait un coup de polish comme c’est toujours le cas dans ce genre de jeu.


Si l’exercice même de critique m’impose de mentionner ces quelques défauts, il faut bien se figurer qu’ils ne pèsent pas lourd face à l’ambition démesurée du titre et à l’expérience unique qu’il propose. J’ai le cœur à lâcher la note maximale, mais je réserve ce moment pour la sortie d’une definitive edition dont Larian a le secret et qui rendra ces réserves caduques. Alors, on répétera ce qu’on sait déjà :

Baldur’s Gate 3 est un jeu important. Peut-être le meilleur de sa catégorie. Sans aucun doute l’un des meilleurs jamais conçus.

Gilraen
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le 14 nov. 2023

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Gilraën

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