Alors que des petits développeurs d’EA méconnus, qui ont par exemple travaillé sur l’IA de Command & Conquer Red Alert 3, se lancent dans l’aventure indépendante alors en plein essor depuis quelques années, leur projet tape dans l’œil de l’éditeur Warner Bros leur offrant une grande visibilité pour leur premier titre : Bastion. C’est l'un de ces jeux indés à s'être forgé une solide réputation parmi d’autres titres indépendants profitant de l’engouement encore jeune de l’époque, début des années 2010, pour ce style de développement. L’OST du titre étant particulièrement réputée, je vous recommande vivement l’écoute des 3 emblématiques thèmes chantés n’en formant plus qu’un : Setting Sail, Coming Home.
GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★★☆☆
Si je devais le décrire, Bastion serait d'abord un ARPG plus 2D que 3D à la prise en main immédiate, au maniement répondant au doigt et à l’œil et à la diversité très appréciable, c'est toujours un plaisir à jouer et pour un premier jeu de studio, le gameplay est très abouti. La vue du dessus légèrement inclinée ne pose quasiment aucun soucis de lisibilité, en dehors de quelques rares et légers soucis de perspective pas bien méchants. La possibilité d’esquive que l’on peut facilement enchaîner offre un dynamisme au maniement permettant de se sentir très réactif face au danger. Tout ça se couple avec une assez bonne richesse dans les possibilités de jeu qui nous sont offertes au fil de notre progression.
La diversité est là aussi car les attaques sont largement personnalisables avec un arsenal varié et complet que l'on peut améliorer selon nos choix (dégâts de zone ou élevés, portée ou cadence de tir accrue, coups critiques ou continus...). Apprendre à bien les utiliser est primordial et se fait via des défis dédiés à chaque arme de façon intelligente, enseignant des astuces pertinentes par des situations de jeu concrètes. Le bestiaire est varié avec des paterns bien différents d'un ennemi à un autre, il n’y a pas beaucoup de boss malheureusement mais ceux qui sont présents marquent bien leur présence.
Le seul petit défaut que je noterais à propos du gameplay c'est le verrouillage de la cible qui ne se fait pas forcément sur l'ennemi voulu quand il y en a plusieurs autour et on peut se mettre à tourner le dos ou son flanc à l'ennemi qu'on visait avant de changer de cible. C’est une petite approximation que l’on peut anticiper à force, je pense simplement qu’il aurait été préférable qu’on ait l’option de pouvoir parer par défaut ce qui est en face de nous plutôt que ce qui est le plus proche, ça aurait pu être plus intéressant mais ce n’est qu’un détail.
J'ai beaucoup apprécié la gestion de la difficulté que l'on ajuste librement avec la possibilité de rajouter différents bonus aux ennemis pour davantage farmer monnaie et points d’expérience. Ces bonus vont bien au-delà de simples améliorations statistiques linéaires, tout de même présents, et forcent à repenser notre stratégie qui peut alors se retourner contre nous et nous forcer à réellement profiter de la richesse du maniement décrite précédemment. C’est pareil pour les améliorations passives qui peuvent être très puissantes si l’on est prêt à accepter des petits malus en contrepartie.
La durée de vie est honnête avec une demi-douzaine d'heures combinée à une très bonne rejouabilité avec plusieurs fins, un new game + et pas mal de défis annexes à relever qui ne manquent clairement pas de challenge. C’est tellement bien que j’en veux plus, mais vu les moyens développés et le prix de lancement, c’est tout à fait satisfaisant en réalité. Et pourtant, ce n’est pas là que Bastion réussit le mieux ce qu’il entreprend, bien que très réussi ludiquement, c’est sur son rendu visuel et sonore que j’ai été le plus impressionné.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆
Le style graphique de Bastion est assez particulier avec un premier plan coloré très détaillé et un arrière-plan plus flou et crayonné, le travail d’une illustratrice amateure du nom de Jen Zee, citant les grands RPG des années 1990 comme ses principales sources d’inspiration (Shinning Force, Final Fantasy, Tales of Phantasia...) qu’elle voulait réinventer avec des moyens plus modernes, une démarche très pertinente à mon sens. C’est vraiment très bien fichu et le rendu visuel est du plus bel effet la quasi-totalité du temps à mon goût.
J'ai vraiment bien aimé cet esthétisme mêlé à cet 3D isométrique qu'on ne retrouve pas souvent, bien utilisé ici avec la construction du chemin au fil de l'avancement notamment, une mise en scène maîtrisée et efficace qui est très bien exploitée en étant d’une lisibilité exemplaire, autant pour le chemin principal à emprunter que pour les petits passages annexes qui demandent de bien observer l’environnement. C’était loin d’être évident à faire, et la graphiste avait vraiment en tête, comme elle le dit en interview, de constamment créer en tenant compte du gameplay.
On le voit avec ce contraste artistique entre le flou et le net qui distingue ce qui est utile ludiquement de ce qui ne l’est pas. Et tout ça se fait bien sûr sans compromis technique réel, le jeu est fluide et sans défaut en fait, sans aliasing, sans clipping... Ce n’est peut-être pas impressionnant pour un jeu de 2011, sorti 2 mois après The Witcher 2 par exemple qui repoussait les limites des machines les plus performantes de l’époque, mais ça n’a pas besoin de l’être en fait parce que ça suffit pour laisser toute sa place à l’esthétisme qui a encore des forces à faire valoir.
Le chara-design des personnages est original et soigné, mis en avant par de jolis artworks lors des passages qui seraient des cinématiques dans d’autres titres mais le choix des couleurs, des proportions... permet de vraiment insuffler la mise en scène suffisante pour que ça ne pose pas de problèmes. Les créatures ennemies quant à elles sont également très réussies visuellement, elles collent très bien à leur environnement relativement psychédéliques pour la plupart et ça sait se renouveler au fil de la progression pour ne pas paraître trop redondant.
Et évidemment, le jeu profite de somptueuses musiques à l'image de Build That Wall, je ne voulais pas parler au PNJ de la chanteuse la première fois juste pour continuer à entendre un peu la musique, ça veut tout dire. Darren Korb et Ashley Barret ont collaboré de façon magistrale et c’est plus qu’impressionnant pour une première collaboration dans le média. Cet aspect enivrant qui s’en dégage est tout simplement unique et s’implémente parfaitement bien dans le jeu et dans la narration, dont on va maintenant parler par ailleurs.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★☆☆
Plongé sans beaucoup d’explications, après une scène aussi typique qu’efficace de réveil, dans un monde visiblement post-apocalyptique, bien que très coloré, l’entrée en matière du jeu est aussi énigmatique que captivante et cet état d’esprit perdurera tout du long de l’aventure. Beaucoup de place est laissé à l’interprétation avec une tonne de non-dits quant aux pensées des personnages, notamment le nôtre dans lequel on est invité à se projeter comme bon nous semble, malgré le fait qu’on ne puisse personnaliser son apparence. Beaucoup d’éléments nécessaires à la bonne compréhension du scénario seront facultatifs et même plutôt à comprendre qu’au bout d’un second run.
En effet, le jeu se réserve quelques twists bien sentis en profitant pleinement du faible nombre de personnages dû à l’univers post-apocalyptique et à ce qu’ils peuvent représenter pour nous, qui sommes désespérant seul, face à des forces étranges et obéissant aveuglément à un homme qui semble tout savoir et pourtant si peu en partager. Dans un tel contexte scénaristique quand on rencontre un personnage amical forcément que ça nous marque et qu’on veut en apprendre plus sur lui, qu’on est très impacté par ce qui peut lui arriver.
De la même manière, quand tout ce que l’on fait depuis le début semble améliorer la situation, sauver des vies, rebâtir un abri, vaincre des ennemis... on ne peut que se laisser prendre par des moments où les choses s’empirent malgré nos réussites, peut-être même à cause de nos réussites. De plus, les situations de jeu en elles-mêmes peuvent servir à l’illustrer, en nous mettant à l’abri dans des endroits que l’on reconnaissant dangereux jusque-là, et inversement par exemple, démontrant toute la singularité de cette narration qui profite des possibilités purement ludiques pour la servir.
Le doublage VO du narrateur est d'excellente qualité, parlant souvent au joueur lui-même de façon pertinente et cohérente, il y a souvent une adéquation entre ce qui est dit et ce que l'on ressent manette en main. Il y a un soin du détail assez fou qui a été apporté pour que les dialogues correspondent aux choix ludiques faits par le joueur en temps réel, comme chaque combinaison d’arme donnant lieu à une phrase commentant ce choix, le fait d’être en difficulté ou de venir à bout d’un ennemi... ça renforce forcément l’immersion avec beaucoup d’efficacité.
Enfin, les choix qui nous sont proposés vers la fin de l’aventure sont tout simplement géniaux :
La façon dont les ennemis vont se comporter pour nous raconter l’histoire, nous la faire vivre selon si l’on sauve Zulf ou non, la direction que l’on veut prendre avec le Bastion justifiant de manière intradiégétique jusqu’au New Game + du jeu d’une certaine manière, toute la violence que l’on a pu mettre en œuvre en ayant des moments de doute avec ses cadavres qui ne disparaissent pas, c’est un petit coup de génie. Je regretterai peut-être juste un peu la manque d’implication de Zia dans tout ça, mais c’est tellement réussi à côté que ce n’est pas bien grave.
CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆
Bastion est un ARPG au maniement dynamique et complet, au contenu honnête et à la difficulté ajustable pertinemment, avec une 3D isométrique bien exploitée, une direction artistique du plus bel effet, de très belles musiques pour accompagner une ambiance captivante, un scénario énigmatique et intelligent, une narration originale et efficace... Malgré quelques reproches mineurs, c’est un excellent début pour Supergiant Games qui se glisse en un seul jeu parmi mes développeurs indés préférés et je suis bien content qu’ils aient pu commencer à une époque si propice pour eux qui a su leur rendre le succès qu’ils méritaient.