Je me plains souvent et beaucoup que le scénario est le parent pauvre du jeu vidéo, qu’il y est réduit à un vague cliché revomi au creux du gameplay et de jolis graphismes, que la forme l’emporte sur le fond et je fracasse à loisir ce genre de jeux.


Donc, quand Telltale promet un jeu batman avec du scénario- vu que ceux d’Arkham, sans être calamiteux étaient pas toujours très adroits - forcément, c’était intriguant. Puis bon, j’aime le point n’click et si les deux premiers jeux de chez eux m’avaient laissé une impression de “sympa, peut mieux faire”, les éloges m’ont convaincu.


Ami, si tu fais partie de ces avis élogieux, laisse-moi te dire une chose : nous ne sommes pas d’accord. Et par “pas d’accord”, je veux dire “Mais tu étais sérieux ou sous l’influence de substances psychotropes ?”


Showtime !



Tout dans le fond...



Batman vient d’empêcher un cambriolage au coeur de la mairie de Gotham, qui lui a permis de rafler aux moustaches de catwoman (et d’une équipe de punching ball/hommes de main) un disque dur encodé. En parallèle, Bruce Wayne soutient la campagne de son ami Harvey Dent, qui brigue le siège du maire, occupé depuis des années par Hill, un politicien véreux. Il s’avère bientôt que les infos trouvées sur le disque dur peuvent ébranler l’échiquier de Gotham…


Si le pitch de départ peut paraître un peu faiblard, il n’en est rien sur la longueur : BTTS est un des meilleurs et des plus haletants scénarios de jeu vidéo que j’ai vu depuis un petit moment, mené avec brio en utilisant intelligemment tous ses protagonistes et en ménageant ses effets. Ce qui est particulièrement bien utilisé, c’est cette dualité Bruce/Batman qui fait tout l’intérêt du personnage et sur laquelle l’histoire joue sans cesse et axe les choix à faire, pour répondre en filigrane à l’habituelle question : qui est le masque de qui ? Cette efficacité se constate en fait dès l’écran titre, où un jeu d’ombre fait osciller notre héros entre ses deux alter ego. Telltale a parfaitement saisi l’essence de ce qui fait Batman, sa névrose, sa personnalité sur le fil, sans pour autant nous rabâcher la scène de la mort de ses parents comme une solution de facilité.


Le reste du casting n’est pas réduit au rôle de faire-valoir pour autant : si l’histoire choisit une approche ultra-réaliste et plutôt géopolitique de la faune de Gotham, elle réécrit partiellement quelques super-vilains de manière très efficace. On regrettera bien un peu la touche “freaks” qui pouvait leur concéder un côté plus inquiétant mais ils sont haïssables à souhait… et pathétiques en même temps. Même si on pourrait reprocher une certaine facilité scénaristique s’acharnant sur Bruce et donnant un arrière-goût parfois frustrant aux première confrontations, reste que ce n’est jamais totalement manichéen, d’autant plus que choix est laissé de jouer un Batman conciliateur ou ultra-violent. C’est une adaptation respectueuse de son matériau de base mais intelligente et qui n’hésite pas à “casser” quelques personnages sacrés pour les besoins de son évolution, un choix courageux qui permet d’aboutir à ce résultat. C’est un grand “oui”.


La mise en scène sert parfaitement le scénario : à mi-chemin entre le comics et le film, elle demeure sobre mais classieuse dans ses angles de caméra, d’autant que le déroulement de l’histoire alterne phases d’actions et phases plus contemplatives dans un rythme parfaitement dosé. Qui plus est, on ne s’attarde pas trop sur le pathos, bien que chaque bad guy ici ait un lien affectif avec Bruce/batman. La mise en scène sait placer ses moments émotions sans trop en faire, toujours juste, toujours impeccable. Concernant la direction artistique, je la trouve personnellement très bien, plus comics que réaliste - et plus belle que celle d’arkham que j’ai toujours trouvé d’hyper mauvais goût - elle ne rencontrera pas forcément toujours l’approbation puisqu’elle reste un parti-pris mais m’a donné l’impression d’une parfaite cohérence avec l’ambiance et le propos. Bien sûr, on a le Bruce et sa gueule de mannequin pour “Challenges” mais au bout d’un moment, il faut admettre que c’est ce à quoi il se doit de ressembler et le design du bad guy en chef, s’il n’est pas d’une originalité fracassante reste élégant et dans la continuité du Bat-univers.


Mention spéciale également à quelques passages très forts où Batman/Bruce se confronte de manière presque intimiste à ses adversaires, servi par d’excellents dialogues et des doubleurs tout aussi excellents, malgré l’absence des habitués. Le doublage est exclusivement en anglais mais avec sous-titres français. Un petit mot pour la musique, plus proche d’un Nolan que d’un Danny Elfman (je préfère le second) qui porte très bien la narration, sans trop en faire.


Bref, sur le fond, ce BTTS est une réussite, quasi-parfaite. Quasi, car nous allons attaquer les points noirs maintenant.



Bat-Bug



Si BTTS est entièrement en 3D, il ne dispose pas d’une caméra dynamique et interactive : en d’autres termes, lorsque vous avez le main, il n’est pas réellement possible de tourner la caméra, malgré la profondeur 3D. Pourtant, malgré cette relative simplicité d’interaction, le soft souffre de bugs de collisions, ralentissements et problèmes de textures. Rien de très violent mais sur quelque chose d’aussi simple en terme de rendu 3D, on est en droit de râler.


Je veux dire : lire des cinématiques avec QTE est apparemment BEAUCOUP demander à ma carte graphique dernière génération vu qu’il m’est arrivé de souffrir de lag. Sur une partie de DAI ou The Witcher en affichage ultra, je pourrais le comprendre mais là ?


Autre problème récurrent, les sous-titre : si la traduction française est en général plutôt correcte, elle parvient à faire quelques beaux contresens (“come on” devient “arrête” au lieu de “allons, allons…”, et ceci est un des moins problématiques) ou carrément des phrases qui ne s’affichent pas ou sont illisibles en surimpression sur certaines images. C’est bien aimable d’avoir pensé au public étranger mais si 10% des phrases sautent, sont illisibles ou incompréhensibles, votre beau scénario en prend un coup. Si vous ne pigez pas l’anglais un minimum… hé bien vous vous passerez de ces phrases manquantes et c’est tout. Vraiment cool, les finitions, merci Telltale.


Je l’ai très rapidement soulevé côté scénario, mais les quelques facilités d’écriture confèrent à l’histoire un côté parfois irritant à s’acharner sur Bruce - et donc le joueur - avec une facilité un peu trop téléphonée. Bien que ce soit prenant, il vaut mieux être prévenu qu’en tant que Bruce Wayne, vous vous en prendrez plein la gueule et de manière plutôt injuste. Soit, cela permet le développement d’une intrigue intéressante mais rappelons tout de même qu’on joue AUSSI pour le plaisir, pas pour se faire cracher à la gueule non stop pendant les ⅔ de l’histoire. Et je le soulève car j’ai réellement trouvé ça pénible, arrivé à un certain stade.


Enfin, je ne vais pas dire tout le mal que je pense des formats épisodiques prisés par telltale - je me réserve les grossièretés pour le prochain paragraphe - puisque j’ai appris depuis un certain temps à ne pas acheter tant que le soft n’est pas complet. On est chez Steam, pas aux éditions atlas, mais puisque les pigeons banquent (autant je le comprends pour un jeu indé développé avec peu de moyens, mais Telltale les a, les moyens.)


Alors me direz-vous, tout ça est bien minime comparé aux éloges du début, non ? C’est bien gentillet…


Patience. J’en arrive à ce qui justifie la note, que je vous invite à regarder.



Et rien dans la forme



Depuis le début de ma critique, je n’ai pas employé le terme “jeu” pour désigner ce BTTS et ce n’est pas un hasard.


Si jusque là, je n’ai pas non plus évoqué le gameplay, ce n’est pas un hasard non plus : parce qu’il n’y a pas de gameplay.


Résumons brièvement le déroulement d’un chapitre : cinématique, dialogue à choix, QTE, “phase d’enquête”, QTE, dialogue à choix, phase “libre” d’environ 30 secondes, dialogue à choix…


Batman : The telltale Serie n’est pas un jeu avec un mauvais gameplay, que son scénario aurait rattrapé, ce n’est pas un jeu, mais une cinématique sur des rails.


Lorsque je parle de phase d’enquête et de phases “libres”, c’est pour déambuler dans un décor minuscule où l’on peut à peine se déplacer en 3 dimensions, où les objets cliquables en nombre ridicule sont indiqués par d’énormes points blancs - parce que chercher c’est fatiguant, surtout pour un joueur de point ‘n click - dont certains permettent juste un zoom, aucun commentaire et un retour à notre décor unidimensionnel. Quant aux “enquêtes”, elles sont purement et simplement une insulte au joueur et à Batman : les éléments clés d’une affaire sont représentés par une icône de trombone et il est nécessaire de les relier entre elles afin que Batman reconstitue les événements. Exemple d’une “déduction” : vous avez un cadavre avec une trace de piqûre dans le cou et une seringue à quelques mètres. Et je parle ici d’une phase d’enquête tardive dans le “jeu”, pas du tutorial. Autrement dit, les énigmes sont niveau CE1 - et encore du CE1 pas très vif de la caboche, n’importe quel môme ayant ouvert un comics de batman plierait ces pseudo énigmes en quelques clics. C’est tout simplement du foutage de gueule et ça parvient même à casser le rythme. Je me suis réellement senti insulté par le “travail” de Telltale tant je me sentais pris pour un pur demeuré et bordel de bordel, je rappelle que le public visé est avant tout un public friand de point ‘n click, habitué à de VRAIES énigmes, pas à un Dora l’exploratrice !


Et encore s’il n’y avait que ça d’insultant dans ce pseudo gameplay : outre les QTE à répétition - qui je le rappelle ne sont PAS de l’interactivité, sauf intégrés dans un gameplay plus riche - l’interactivité ici est réduite à prendre le joueur pour un con. Et là, je vais être forcé de donner un exemple pour bien vous faire mesurer à quel point. Rassurez-vous, pas de spoil.


Bruce, dans son bureau, décide d’aller voir Lucius au labo, auquel une entrée secrète permet d’accéder. Dans N’IMPORTE QUEL JEU, à fortiori un jeu comportant des énigmes, le joueur serait laissé à lui-même avec la tâche de trouver le moyen de déverrouiller la porte, soutenu par des commentaires de Bruce, afin de rester cohérent. Il s’avère que l’entrée se trouve sur l’échiquier (on est automatiquement transporté devant), une parfaite opportunité de proposer une petite énigme à base de mouvements de pions ou de combinaison à trouver. Ici, rien du tout. Gros plan sur l’échiquier avec une invitation à cliquer et voilà. La porte est ouverte. Toutes les phases “libres” sont de cet acabit, je peux compter sur les doigts de ma main les moments où je ne me suis pas contenté d’obéir à “appuie sur E”, “appuie sur Q”, "clique". Quand bien même je m’en serais arrachés dans ma rage, des doigts.


Les mots me manquent, je crois pour décrire à quel point une arnaque pareille m’a fait sauter de mon siège et manger mon lustre (rassurez-vous, il va bien. Mon électricien aussi). Et pourtant j'aurais aimé donner plus de crédits à ce Batman parce que le plus triste dans tout ça c'est qu'honnêtement, j'ai passé un bon moment, c'est plutôt agréable à regarder. À regarder mais pas à jouer.


Jouer aux jeux vidéos est basiquement presser des touches devant une image mouvante, nous sommes d’accord. Sauf qu’un BON jeu est supposé nous faire oublier cet état de fait, et nous le faire assimiler à un combat, une enquête, une aventure passionnante. Telltale nous ramène à la forme la plus primaire, la plus chiante et la plus creuse qui soit du média et se fait encenser pour ça ??? Il y a une décennie ou deux, on sortait des jeux très similaires, en prise de vue réelles et ils étaient unanimement considérés comme de la merde… et ça n’a pas changé ! Je me fous complètement que Telltale soit capable de proposer un scénario qui déchire s’il se contente d’y accoler une interactivité qui revient à chier purement et simplement sur ce qui fait la spécificité du jeu vidéo, se plaindre que la forme est trop souvent mise en avant par rapport au fond n’autorise en aucun cas à la supprimer ! Désolé pour la lapalissade mais dans jeu vidéo, il y a JEU.


Et comme je vous vois venir, avec David Cage et ses “expériences narratives”, je répondrais que si pour créer une narration intéressante tu dois t’affranchir du gameplay, tu es un réalisateur, pas un game designer, et fourguer ta vidéo sur rails à 70€ est une putain d’arnaque. Un échec aussi patent de concilier deux éléments clé du jeu vidéo ne mérite ni bravo, ni bonne note, merde ! Il n’y a pas si longtemps “The order” s’est fait descendre, à raison, pour n’avoir proposé qu’un film interactif entrecoupé de vagues phases jouables creuses et inintéressantes, hé bien Telltale fait exactement pareil ici. Sauf que là, visiblement, les joueurs gobent sans tiquer et je me demande vraiment pourquoi.


Soyons clairs : si le gameplay s’était contenté d’être médiocre, je me serai contenté de le soulever et basta. J’ai joué à des jeux dont le fond est bien meilleur que la forme, c’est dommage mais ça n’en fait pas de mauvaises expériences pour autant. Ici, le gameplay est insultant, car je vois parfaitement la pitoyable tentative de Telltale de faire passer la pilule avec des miettes d’interactivité dirigiste et feignante (on peut choisir la couleur de l'écran du bat-ordinateur et savoir ce que les autres pigeons ont choisi. Chic alors.). J’ai joué à quelques Visual Novel, un média que j’aime assez : si Telltale avait assumé et fait un visual novel, je pense que j’aurais été beaucoup plus jouasse parce qu’ils auraient au moins assumé de faire un film interactif, sans aucune phase jouable. Parce que non, cliquer sur deux ronds blancs, faire une déduction dont même le pire des analphabètes serait capable et appuyer sur “E” quand on me le demande, ce n’est pas jouer. Même avec une super mise en scène. Même avec de très bons doubleurs. Ce n’est pas une manette qu’il vous faut mais un bac de popcorn, croyez-moi, vous ne serez pas dépaysés.


Telltale a déjà produit de vrais point’n click, certes perfectibles mais où ils faisaient montre d’une capacité intéressante à narrer, doublée d’une interactivité déjà limitée à l’époque, mais comportant de vraies phases de liberté pour le joueur, histoire d’atténuer un peu la linéarité. Je constate qu’avec ce “Batman”, ils ont régressé au niveau des jeux CDI et 3DO, avec la bénédiction du public. Ça me désole autant que ça m’écœure.


On a avec ce Batman rien d'autre qu'un quart de jeu. Extrêmement réussi, j'en conviens, haletant et bien foutu, j'en conviens. Mais un quart de jeu, vendu comme un jeu complet. Et ça, ça ne passe pas.


En tout cas, si le point n’click a besoin de renouveau, ça ne viendra pas de Telltale, trop occupés qu’ils sont à sucer la moelle de David Cage et ses “jeux” narratifs. Il est clair que dans l’industrie vidéoludique, c’est VRAIMENT le modèle à suivre.


Un putain de gâchis, un scénario génial réduit à ce qui fait de plus creux et nuisible pour le média et un éditeur qui prend manifestement son public pour des palmipèdes sauvages. Il aurait tort de se priver. Je pourrais me contenter d’en rire si ça ne plombait pas un genre que j’affectionne et un héros que j'affectionne également.

SubaruKondo
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le 2 sept. 2017

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SubaruKondo

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