En choisissant le remake complet, repensant des pans entiers du jeu, plutôt qu'une simple actualisation graphique et mécanique, les gars de Crowbar Collective ont pris une route assez difficile, car même si peu de monde aurait pesté contre le projet en lui-même, s'attaquer à un monstre comme Half Life est forcément un peu casse-gueule, d'autant plus que nous sommes face à un projet à la base amateur, aux moyens limités. Mais lorsque la réussite n'est pas garantie, le succès n'en est que plus éclatant, et Black Mesa a tout d'une réussite, rendant parfaitement hommage au chef d'œuvre sorti il y a bientôt 22 ans.
Black Mesa reste assez proche de son modèle en terme de structure et de situations lors de la grosse partie du jeu, c'est à dire celle précédant Xen (dont je parlerais à part, parce que y a des trucs à dire), mais offre de nombreux changements. Le premier est bien sûr visuel, Le jeu pousse le bon vieux moteur source dans ses derniers retranchements pour nous offrir des décors et visuels impressionnants (surtout grâce aux éclairages et textures), fourmillant de détails, tout en conservant l'atmosphère du jeu original (ça peut paraître être une évidence, mais si vous avez joué au remaster d'Halo, vous savez que l'on peut se vautrer pleinement à l'exercice). Seules les animations et les personnages un peu grossiers viendront trahir l'âge du moteur, mais on s'y fait très vite (bon à part le fait qu'il doit y avoir 3 modèles de persos pour les gardes, on se demanderait presque si Black Mesa planquerait pas une petite usine de clonage dans ses labos).
Le jeu est également accompagnée d'une nouvelle B.O, excellente, qui accompagne de très bonne manière les moments forts de l'aventure, ajoutant énormément à la mise en scène. Je trouve juste que certaines musiques sont placées de manière un peu étrange, on a parfois une musique qui tambourine sévère alors qu'on a pas encore croisé un seul ennemi. C'est sans doute lié à la manière dont elle s'active (quand on traverse une ligne invisible), et cela donne parfois un résultat un peu étrange.
Les changements narratifs sont rares, et ont surtout été faits pour mieux relier les intrigues de Half-Life 1 et 2. Vous croiserez ainsi certains des collègues de Freeman apparaissant dans la suite, et quelques autres changements de plus grande importance, que je me garderais de spoiler ici. La mise en scène, point central dans Half-Life, a aussi reçu un gros ravalement de façade et redécouvrir les scènes les plus marquantes de cette manière fait son petit effet, les développeurs ayant reproduit (ou réinterprété) les évènements avec talent, même si je trouve que le tout manque peu être d'un peu de sobriété; j'ai l'impression que ça pète plus dans tous les sens qu'avant, et que les grosses musiques soulignent parfois un peu trop l'action.
Je craignait que les dévs ne conservent pas le ton de l'aventure originale, très série B et moralement ambigu, pour se rapprocher de celui de sa très sérieuse suite. Heureusement, il n'en est rien; de la mort de ces idiots de scientifiques plus ou moins causées par le joueur aux personnages s’exclamant "on l'a échappé belle" avant de passer à la broche, Black Mesa conserve tout l'humour et le cynisme de Half-Life, et c'est tant mieux.
En parlant de morts causées par le joueur, pour passerez forcément un petit moment à vous mettre sur la tronche. Pour faire simple, niveau maniabilité, c'est Half-Life 2, sans Gravity Gun mais avec du sprint infini. L'arsenal est strictement identique à celui de Half-Life, et le travail sur les feedback des flingues donnent de la pêche aux affrontements. L'IA des marines a été soignée, elle est efficace et agressive (parfois un peu trop, donnant à certains clampins un air suicidaire), n'hésitant pas à vous charger ou user de grenades pour vous débusquer. Les ennemis Alien se comporte de manière assez similaire au jeu de 1998, même si plus agressive (ils chercheront eux aussi le contact). Vous croiserez aussi les black ops dans des combats très sympas mais trop rares (seulement 2). En bref, les combats sont très chouettes pour la plupart (malgré quelques scènes un peu moins bien pensées) et tirent bien profit du level design et de votre arsenal pour varier les situations. Le remake se permet de corriger certains des ennemis les plus casse-pieds, mais il abuse un peu trop des têtes de crabes. Je trouve aussi l'arsenal un peu trop extensif (comme pour le jeu d'origine), se parant d'armes doublons ou peu utiles. Je recommanderais aussi de passer directement le jeu en difficile, qui offre un bon challenge en restant équilibré.
C'est dans l'exploration et les puzzles, qui prennent une bonne part de l'aventure, que Black Mesa se rapproche le plus de Half-Life; toujours aussi agréable à parcourir, et bénéficiant de quelques ajustements pour plus de clarté sur le chemin à suivre, même s'il reste encore deux ou trois endroits où il faudra fouiller un peu (c'est parfois un peu frustrant, surtout quand on a un hélico d'attaque aux trousses).
Je ne pensais pas en revanche qu'il était nécessaire de conserver les phases de plate-forme un peu reloues. Si c'est clairement plus jouable qu'avec l'espèce de savonnette qu'on avait pour protagoniste il y a vingt ans, on a quand même un peu tendance à se viander, la faute à des sauts basées sur la vitesse que le moindre micro-élément placé sur votre route viendra considérablement diminuer, résultant en une visite express des rocheuses terminant par le fond.
Puis il a Xen. Qui n'a de commun avec la version originale qu'un bout de niveau (une usine), et encore. Ici, quasiment tout à été créé de toute pièce afin de donner à Half-Life la conclusion qu'elle mérite, jusqu'ici une poignée de niveaux pas très bien ficelés dont on ne retiendra que la bizarrerie des décors, détonnant singulièrement des couloirs immaculés et des extérieurs poussiéreux de Black Mesa. La coupure est également bien présente ici, la plongée dans le portail signe un changement radical, et conséquent, car Xen n'a plus rien d'une petite poignée de niveaux, on y restera bien quelques heures. Dont une partie pourrait bien être passée à contempler le paysage, car Xen déglingue gentiment la rétine. Les décors sont magnifiques, mais c'est surtout la vue d'un ciel bardé d'étoiles, de nébuleuses et de créatures volantes qui force l'admiration, et dont on ne se lasse pas. La seule chose un petit peu regrettable est l'espèce de tour de Sauron que vous aurez l'occasion de voir de nombreuses fois. Normal, c'est votre destination, n'empêche que je trouve que ça en fait un peu trop, la grosse tour de méchant avec la grosse orbite rouge trônant au dessus.
Pendant une partie, Xen a l'air d'un sans faute; parcourir le monde hostile dans les ruines des installations scientifiques, affronter le Gonarch dans un duel épique, et découvrir ou redécouvrir les créatures qui peuplent ce monde étrange est un véritable plaisir, Xen dévoile ici son plein potentiel. Le problème, c'est qu'à partir d'un certain point, le jeu devient un peu plus branlant niveau game design, notamment avec des puzzles et situations dont le principe se répète (ce que ne fait jamais le jeu de base, d'ailleurs), ou encore un niveau qui s'étire trop en longueur; l'usine était déjà casse-pieds dans Half Life, Black Mesa a rendu le tout plus jouable, mais pas bien plus intéressant, et en revanche bien plus long.
C'est dommage, car Xen ne manque pas de scènes mémorables ni de bonnes idées. Il aurait sans doute été plus judicieux de se concentrer sur celles ci, ça aurait été un peu plus court, mais déjà très généreux, et on aurait pas eu à s'agacer un peu avant d'arriver au boss final (pas mal fichu, on tire dessus, il meurt, enfin voilà, quoi).
Xen reste néanmoins une réussite, quoiqu'imparfaite, et permet à l'histoire d'Half-Life d'enfin se terminer en beauté.
Black Mesa est un très bon remake, et un excellent jeu. Les développeurs ont très bien compris comment faire ressortir le meilleur de l'original, en laissant derrière certains des défauts et la maniabilité vieillotte. On pourrait dire que c'est la meilleure façon d'expérimenter Half Life, sans les bottes à savonnettes et sa partie Xen médiocre (au final assez anecdotique), mais les deux expériences sont au final assez différentes, tant par la mise en scène que par le gameplay, pour être toutes deux jouées et appréciées. Je conseillerais quand même de jouer au modèle avant de se lancer dans sa relecture, ne serait-ce que pour voir l'ampleur du travail accompli, et profiter du charme de l’original.