Bravely Default... La renaissance du JRPG selon la presse spécialisée, la rédemption de Square Enix après ses Final Fantasy, parfois même qualifiée comme le meilleur jeu de l'année !.. Voilà comment on en entendait parler un peu partout il y a quelques mois... C'est donc confiant que je faisais alors la précommande du titre, le tout pour un artbook A5 d'à peine 30 pages, mais que ne ferions-nous pas pour des goodies inutiles, gonflant grossièrement des prix et délaissés au fond du placard une fois la cartouche dans la console ! Et vu toute la communication qu'il y avait eu autour de cette supposée perle, je ne peux qu'en ressentir qu'une chose après tant d'heures de jeu, déception.
Déception d'attendre une perle pour n'avoir finalement qu'un jeu correct. Déception pour une OST qui mélange sublime et médiocre, déception pour des personnages au design ultra-simpliste face à des décors pré-rendus dessinés en 2D magnifiques... Il semblerait qu'à chaque qualité du jeu, on y retrouve une contrepartie qui va alors nous plomber l'expérience, ce qui rend un avis final assez difficile à faire. Pour une moitié fantastique, l'autre partie elle nous fournira une expérience pénible, tout juste bon à nous faire attendre la première des deux...
Cependant, un élément bien trop important vient perturber cette balance, plaçant Bravely Default du mauvais côté de celle-ci, mais j'y reviendrai vers la fin de la critique.
Tout d'abord, le style artistique. Et premier point que l'on constate, les villes sont sublimes. Réalisées en 2D/3D prérendue, toutes très diversifiées avec leurs propres ambiances, on regrette leur taille malheureusement trop limitée et leur faible nombre, puisque elles se résument généralement à un ou deux plans. Il est impossible de visiter l'intérieur des magasins qui se résument à une simple interface, de même pour les auberges à partir du second chapitre. Le jeu donne clairement envie d'en voir plus, alors pourquoi être contraint à des environnements aussi limités ? Les bases de chaque ville sont très intéressantes, et certains effets sont bien constitués, notamment les mouvements de l'eau. Mais si cette éloge pouvait tenir pour les villes, il n'en est rien pour les donjons. D'aspects ternes le plus souvent sinon répétitifs et déjà-vu, ils n'offrent rien à la construction de l'ambiance du jeu. Qui plus est, ils sont terriblement linéaires, l'interaction dans ces derniers est inexistante, il faut s'estimer heureux quand le jeu nous propose d'activer un levier ! Quel dommage pour un jeu qui cherche déjà dans son titre à montrer en avant un univers féerique de se retrouver dans des environnements qui ne proposent rien en terme d'ambiance !
Autre élément du style artistique, les personnages. Et si les quatre protagonistes sont plutôt corrects, que dire des secondaires ? Et bien plutôt que d'être construits pour correspondre à un univers, on a plus l'impression d'être tombés sur des stéréotypes tirés de plusieurs RPGs sortis depuis les deux dernières décennies. Ce qui pour la constitution d'un univers stable est une horreur : cela donne une grosse incohérence entre les différents personnages, on croirait par moment jouer à des jeux différents. C'est aussi dû au parti pris de la direction artistique d'avoir voulu faire des personnages des caricatures, contrastés par des doublages convaincants et sérieux. Si le choix de la caricature pour donner un aspect enfantin est honorable, on chute dans le déjà-vu puéril plutôt que dans un contraste subtil entre sérieux et enfantin. Adieu alors la féerie, et bonjour les clichés les plus lourds que possible à travers les différents chapitres confirmés également par les personnalités des personnages. Une fois encore, c'est pour les personnages secondaires, notamment amicaux, que le bât blesse. Encore une fois, de simples copies, des personnages uni-dimensionnels, les réactions de chacun sont prévisibles, le suspens et la tension que le jeu cherche à placer entre les différents protagonistes durant les premiers chapitres sont ridiculement forcés et traînés en longueur, sans que durant trois chapitres il n'y ait aucun progrès sur ce plan-là jusqu'à ce qu'un seul événement vienne tout résoudre. Les personnages ressemblent plus à des fonctions qu'à des véritables habitants d'un univers, certains ont des backstory plus développées, d'autres sont complètement aléatoires et semblent placés de façon à arranger le scénario, rendant le tout très inconsistant. Et forcément, à cause de cela, le scénario en pâtit.
Un univers bien mitigé donc, couplée à une histoire des plus classiques et mal menée... Pour un RPG, ce n'est pas négligeable, mais qu'en est-il du cœur du jeu ? Les combats en valent-ils la peine ? Et qu'en est-il de la personnalisation ?
Et bien le gameplay est ingénieux en vérité. Mêlant aux éléments classiques au genre de très bonnes idées, le jeu réussit bien sur ce plan le contraste entre classicisme et renouveau. La plus notable est le système Brave/Default. Il est en effet possible d'accumuler des tours en stock en se protégeant, nous permettant d'agir jusqu'à 4 fois dans un seul tour, permettant 16 actions au maximum avec ses personnages. S'il est possible d'employer cette méthode sans avoir de réserve, ce sera malheureusement aux dépends de nos personnages incapables de se défendre durant les tours consommés en avance. Cette technique sera au passage aussi utilisable par nos ennemis, augmentant considérablement la dimension stratégique : la balance entre risque et récompense est bien équilibrée, et la stratégie comme l'anticipation seront des éléments clés durant les affrontements contre les boss. Autre bon point, la capacité de stopper le temps à n'importe quel moment pour lancer une capacité de notre choix, permettant des remontées fulgurantes dans les moments les plus épiques des combats. Quel sentiment de jouissance que de retourner la situation par le biais d'un tel système ! Leur usage se rechargeant en temps réel (ou par le biais d'immondes DLC payants, mais heureusement facultatifs), ils seront conservés contre les boss, véritable pilier du jeu. Chacun disposant de sa propre stratégie et ses faiblesses, il nous faudra alors faire preuve en plein combat d'observation et surtout d'anticipation pour pouvoir prendre le devant des batailles et éviter le fatidique retour à l'écran titre. C'est notamment vrai durant les premiers chapitres, où nos adversaires s'avèrent bien planifiés. Dommage qu'ils semblent devenir plus aléatoires, ce qui d'habitude n'est pas un défaut mais cela les rend beaucoup moins justes dans leurs comportements. Il n'est pas étonnant par la suite de recevoir trois fois de suite la plus puissante de leurs attaques sans que nous ayons notre mot à dire, laissant alors ces fameux combats sous le signe de la chance. Malgré tout, ils restent le point fort de Bravely Default, à l'opposé des ennemis classiques. Ils ne sont bons qu'à vous faire perdre du temps dans vos expéditions, à vous forcer au grind massif en prévision du prochain véritable combat qui s'offrira à vous. Inintéressants au possible, ils ont au moins le mérite de mourir vite, le Bravely/Default nous permettant de raccourcir quatre tours en un seul. On peut alors se demander leur réel intérêt dans le jeu, car rarement le grind aura été aussi inintéressant (le grind consiste à répéter une action en boucle, ici combattre, dans le but d'accumuler les points d'expérience, de classe, ou autre). Les combats contre eux sont d'un profond ennui, et ce n'est pas l'histoire du jeu qui nous motivera à continuer, tant ses ficelles ont déjà été exploitées et usées. Un dernier mot sur le système de classes : déblocables le long de l'aventure, chaque personnage pourra en cumuler deux à la fois, changeables à tout moment, elles sont nombreuses, mais loin d'être toutes intéressantes. On est loin d'un Final Fantasy Tactics Advance, et leurs designs laissent parfois à désirer.
Jusque-là, tout me menait à donner une note correcte à Bravely Default. Malgré ses défauts, ce jeu méritait au moins la moyenne, mais c'était sans compter sur les derniers chapitres du jeu, véritable insulte à l'encontre du joueur. Non content de disposer d'une histoire bancale et d'une progression assez lente plombée par des séquences de grinds nécessaires, le jeu vous forcera dans les derniers chapitres à combattre quatre fois (oui, quatre) les mêmes boss que vous aviez déjà battus lors des chapitres 1 à 4. La seule différence notable au cours de cette très lassante série de combats seront les statistiques des adversaires, résultant en de nouvelles séances de grind forcé sans pour autant changer quoi que ce soit lors des combats. Paradoxalement, c'est aussi là que le jeu va tenter d'étoffer son scénario par le biais d'un twist qui sera malheureusement très prévisible dès le chapitre 6 et même avant avec un brin de logique. (Spoiler dans le reste du paragraphe) Qui plus est, ce twist repose sur l'aveuglement du joueur à accomplir un but déclaré au long de l'aventure sans s'interroger sur ses actions. Malheureusement, pas à un seul moment des premiers chapitres le jeu nous offre la possibilité de déroger de cette route : quand bien même vous vous interrogeriez, ou voudriez réfléchir un instant sur le bien fondé des actions des héros face à tant d'opposition, vos héros eux s'obstineront à suivre ce schéma typique ennuyeux au possible comprenant son interminable lot de clichés. Difficile alors d'avoir un impact sur le joueur par un tel procédé quand on ne donne aucun moyen au joueur de faire autrement ! Seuls les personnages pourraient en être choqués (et ils le seront, forcément), mais cela sera le seul impact. Ce qui nous fait 4 chapitres identiques pour un climax décevant. Oh joie...
Autre fait alarmant, alors que le message sur cet aveuglement collectif de faire le bien sans réfléchir de la part des protagonistes, la véritable fin du jeu sera acquise en restant borné dans la vision des héros, malgré le fait qu'ils soient tout à fait au courant à ce stade de la situation. Cela va à l'encontre de la morale du jeu, un comble !
J'ai déjà mentionné que ce jeu était correct sans être excellent le long de ce test. Malheureusement, ces honteux derniers chapitres font très clairement pencher ce jeu du côté du médiocre. Rarement des procédés pour rallonger le jeu n'ont semblés aussi pompeux, rendant la sensation de progression inexistante, puisque tous nos efforts sont balayés d'un revers de la main durant les chapitres 4 à 7. La plutôt bonne qualité du système de combat ne rattrape en rien une histoire inintéressante et ces copier/coller de chapitres.
Bravely Default n'est pas la renaissance du JRPG. Déjà car le JRPG n'est pas mort. Des développeurs très talentueux sortent encore de très bon titres du genre, à commencer par Atlus et son intemporel saga Shin Megami Tensei. Bravely Default n'est qu'un pot pourri des bons RPGs des années 90 disposant certes de bonnes idées mais insuffisantes pour faire la différence. Le scénario, malgré quelques idées, s’enlise dans des personnages mollassons, le système de combat allie le meilleur et le médiocre convenu, bref, ce RPG a décidément 10 ans de retard au moins. Il y a tant de RPGs jouant la carte du design old-school et pourtant si intéressants à côté, à commencer par Yggdra Union. Quiconque voulant retrouver l'ambiance des "Final Fantasy qui étaient mieux avant" sera aux anges, les autres risqueront d'avoir un goût amer en bouche.