Bust’a Groove des pieds à la tête
Si aujourd’hui le rythm game s’est forgé une réputation tout à fait respectable, ce ne fut pas toujours le cas, activité souvent considérée comme une pratique mécaniste et antiludique – on n’avait pas encore réalisé que la plupart des jeux en temps réel s’apparentaient par essence à du rythm game déguisé. Alors si en plus un rhythm game flirtait avec le jeu de danse, là, c’était l’anathème chez les warriors et les hardcore gamers. Néanmoins, à l’abri des regards, une partie de ces warriors rageurs qui condamnaient la pratique – sans utiliser le terme « casual gaming », mais en le pensant très fort – se retrouvaient à groover en cachette, puis à pleurer sous la douche d’humiliation. Et c’est aujourd’hui sans préjugé que l’on va tester Bust’a Groove, un des deux précurseurs dinosaures du genre sur Playstation!
Parmi les mythes fondateurs du jeu musical, on trouve… Oui, ok, on trouve Simon, c’est vrai, je reformule. Parmi les mythes fondateurs du rhythm game on trouve deux titres qui ont marqué leur époque pour des raisons différentes, je parle évidemment de Bust’a Groove et de Parappa the Rapper, qui précèdent la vague de jeux rythmiques à interface comme les Guitar Heroes, les DX Mania et autres (excellents) Tatsujin, ainsi que leur arrivée sur la DS des portables (oula, attention, jeu de mots!), particulièrement adaptée à cette pratique. Si Parappa préfigure clairement le rhythm game au sens strict, Bust’a Groove danse dans les marges, et s’il a clairement une composante rythmique importante voire centrale, il pourrait être considéré comme l’ancêtre 32 bits du jeu de danse, car prévu pour être compatible avec le célèbre Tapis de Danse. Plein de promesses, magistralement réalisé, proposant un système apparemment ouvert ainsi qu’une variété de titres et de genres impressionnante, il ne parvient malheureusement à faire illusion qu’un temps, rattrapé par ses propres limites. Mais le prendre de haut serait une erreur, finalement assez commune – là où Parappa a réussi à asseoir une certaine respectabilité au fil des années. Mais plutôt que de blablater dans l’abstraction, voyons ça un peu plus en détail.
Bust’a Groove se prend en main intuitivement, on capte instantanément le mode de fonctionnement. Après avoir choisi son avatar parmi une dizaine de personnages hauts en couleurs, c’est parti! Pas de narration, d’intro moisie, de transition foireuse, on attaque dans le vif du sujet, et ça ne débande pas tout au long de la partie, on enchaîne les duels de danse sur des morceaux endiablés, entre funk, dance, proto techno, funk, pop, J-Pop, ça ratisse large, avec une liste de morceaux originaux qui ont la fâcheuse tendance à vous rentrer dans le crâne (et à y rester une paire d’années…). Niveau mécaniques de jeu, on est là encore dans l’instinctif, l’immédiat. Le beat est marqué par une ligne clignotante, et vous battez la mesure tous les quatre temps, avec la touche indiquée à l’écran. Puis des directives apparaissent, des enchaînements directionnels. A vous de les rentrer au cours des trois premiers temps, puis de valider la séquence au quatrième en appuyant sur la touche indiquée en rythme. La différence avec Parappa est sensible, puisque seul le beat final est soumis à la dictature rythmique, libre à vous de rentrer la séquence comme bon vous semble. Et c’est assez heureux, en particulier lorsqu’apparaissent les séquences à cinq mouvements à rentrer sur un beat assez rapide. Enfin dans un premier temps, car rapidement, le premier vrai défaut saute au visage : la facilité extrême du titre. Mais nous y reviendrons.
Très souvent, on ne vous proposera pas non pas une séquence, mais deux à l’écran. Si au départ les variantes sont négligeable, plus vous enchaînez les pas de danse dans le rythme, plus les séquences se complexifient et se distinguent l’une de l’autre. A vous de jongler entre les lignes, de prolonger les combos, de claquer les pas les plus acrobatiques possibles. Car sous votre avatar en train de se déhancher comme un diable se trouve une jauge, comme souvent dans les dance-games, qui se remplit en fonction de vos performances. Plus ces dernières sont bonnes, plus la caméra glisse lentement vers vous, finissant par laisser carrément votre concurrent hors-champ alors que vous brillez de mille feux, habité par le dieu du groove. Vous disposez d’une touche attribuée à une sorte de coup spécial qui déséquilibre l’adversaire. Ce dernier peut l’esquiver en appuyant sur la touche… bah d’esquive, quoi! L’effet est double, car d’une part, ça vous donne une chance de casser un combo, mais même au cas où l’autre esquive délicatement, ça vous permet de le ralentir dans son avancée, la mesure d’esquive comptant pour du beurre dans le combometer. A vous de jauger finement le moment de claquer votre coup car vous n’en avez que deux en stock par stage.
Et c’est à peu près tout en fait. Si vous vous plantez dans une séquence mais que vous validez en rythme, vous baissez seulement d’un rang dans l’enchaînement de pas de danse. Par contre, si vous cassez le rythme, vous trébuchez et reprenez le combo à la base. Mais libre à vous de vous risquer à claquer des pas audacieux de tête alors que ceux-ci ne sont pas affichés, bien que ce soit à double tranchant, car si les pas complexes valent plus de points, vous écourtez votre chaine, le pas le plus complexe concluant immanquablement celle-ci. Bref, question de choix, quoi! S’ajoute à ça bien évidemment un indispensable mode deux joueurs, et un mode free-style où les séquences ne sont plus suggérées. Et c’est tout…
Alors entendons nous bien, la réalisation est excellente, digne des bornes arcade de l’époque, mais le jeu souffre de plusieurs défauts. Un problème d’identité, déjà. A mi chemin entre le jeu de rythme et le jeu de danse, il est à la fois beaucoup trop facile pour les premiers et trop peu ergonomique pour les seconds. En effet, on préférera jouer à la manette plutôt qu’au tapis, un comble pour un jeu de danse. Mais à la manette, le jeu est tout simplement trop facile. Les grosses séquences ne vous résisterons que le temps de quelques parties, et vous aboutirez très rapidement à des duels ridicules où chacun des joueurs claque un perfect. Même en solo, on sent que les erreurs de la part de l’IA sont souvent introduites délibérément pour évider l’égalité rédhibitoire. Reste que le plaisir de jeu est vraiment présent, les morceaux entraînants et la réalisation parfaite, entre les pas de danse particulièrement inspirés et les personnages tous plus absurdes les uns que les autres, avec au programme une gamine avec souris qui réplique ses gestes, des aliens siamois qui ponctuent leurs combos par un pet, un robot géant, un breakdancer avec un masque à gaz, une cosplayeuse féline, un échappé d’un mélange entre Leisure Suit Larry et Saturday Night Fever, entre autres. Les animations sont excellentes, bien senties, et les dégradations de la piste ainsi que l’évolution de la caméra au gré de vos performances donne un dynamisme tout particulier à l’ensemble.
Reste que cette absence de difficulté est un réel problème, générant rapidement un sentiment de lassitude. Bien entendu, vous pouvez et devez terminer le jeu autant de fois qu’il y a de personnages, chacun ayant des petits moves bien à lui, afin de débloquer les personnages cachés, mais une fois fait le tour, le jeu sonne creux, et ne reste que le plaisir d’écouter un morceau tout en flattant son ego en claquant un perfect. D’autant plus que, pour un jeu de danse, le nombre de chansons (une par perso) est insuffisant en comparaison de standards de l’époque en salles d’arcade. Néanmoins, ne crachons pas dans la soupe, les feeling des bornes arcade qui nous faisaient rêver à l’époque lorsque l’on voyait des japonais fous groover comme des malades sur ces mêmes tapis de danse sont néanmoins bien là malgré tout.
Tout a été dit plus haut : réalisation aux petits oignons mais manque de contenu pour vraiment avoir une bonne durée de vie, et surtout difficulté virtuellement absente du titre, puant la volonté de séduire large à plein nez. Dommage de ne pas avoir pensé à intégrer deux modes, un pour la manette avec des combos plus violents, et un pour le tapis de danse plus ergonomique, car cet entre-deux ne convainc pas vraiment. Reste qu’à l’époque, le jeu a plu, m’a plu, et que j’y ai passé un bon nombre d’heures, dont des soirées duel amusantes, du moins tant qu’il reste une petite place pour l’erreur.
Mais il est surtout intéressant de voir la place du binôme Parappa / Bust’a Groove dans l’évolution des genres, la façon dont le rhythm game et le jeu de danse se désolidarisent pour devenir des genres séparés bien identifiables, la relation entre le jeu de danse de l’époque et le « casual gaming », l’évolution du jeu de rythme en frange particulièrement hardcore, avec les DX Mania et compagnie, bref, d’analyser le motif que tisse la relation entre deux genres voisins.