Actuellement au chapitre 5, je cherche à m'échapper du très lugubre Riverside Hospital, et je fais face à un problème technique. Après m'être extirpé de ma cellule d'isolement (comme quoi je gigotais dans mon sommeil, en proie à mes habituels cauchemars…), il s'agit maintenant de trouver une diversion pour dégager le couloir principal de ses deux molosses en tuniques blanches. J'ai donné des somnifères à mon camarade du couloir B, en échange de quoi il a accepté de crier aux dindons (« des dindons, des dindons, des dindons dans ma chambre ! À l'aide ! »), attirant à lui le vigile censé protéger l'accès au boîtier électrique. Mon idée était alors de faire sauter le courant, et, dans la panique occasionnée, de prendre la sortie de secours ni vu ni connu. Mais voilà le problème : chaque fois que je pousse le disjoncteur général, ma console affiche un message d'erreur et me déconnecte du jeu. J'ai essayé sans succès, encore et encore, m'amusant à force de l'ironie de la chose. On connaît en effet la théorie fameuse, selon laquelle H.P. Lovecraft (je remarque en l'écrivant qu'il a les initiales d’Hôpital Psychiatrique) réalisait occasionnellement des corrections pour d'autres auteurs, et en profitait pour inclure au sein des œuvres modifiées, par petites touches subtiles, sa propre mythologie ; générant de la sorte une intertextualité non-consentie des plus fascinantes, à mon avis, puisque l'œuvre de Lovecraft procède justement de créatures qui s'installent en souterrain dans le réel, insidieusement dans les rêves qui deviennent cauchemars, inéluctablement dans l’esprit des hommes, et notamment dans l'esprit d'artistes ainsi que dans leurs œuvres. Ce serait donc un coup intéressant des concepteurs du jeu (ou de Cthulhu lui-même, qu'il me foudroie si j'écorche son nom) si ce sabotage technique qui se répercute sur le fonctionnement réelle de ma console était délibéré, référence à la démarche méta de Lovecraft lui-même, obligeant par ailleurs le joueur à apprécier la pluralité des solutions qu'offre le jeu à certaines énigmes.
Abandonnant le sabotage électrique de l'institut, je suis actuellement à la recherche des vannes qui me permettront d’en faire sauter la chaudière. Étant par ailleurs moi-même actuellement hospitalisé (pour une opération sans gravité, rassurez-vous), je me dis que les infirmières auraient à tort de quoi s'inquiéter, à l'éventuelle lecture de cette critique, peut-être un peu trop complaisante avec ces histoires d’ingérence métalittéraire et vidéoludique.
Je joue assidûment, dans mon lit, depuis trois jours et surtout le soir : casque sur les oreilles, console portable posée sur les genoux, je me mets en complète immersion tandis que de derrière les rideaux l'obscurité tombe, que la discussion des équipes s’éloigne sous la porte, emporte avec elle la convivialité de l'après-midi, et qu'il ne reste plus que le petit bruit électrique des machines, tchiiii bip sqouik sqouik sqouik bip tchiii, qui se mêlent aux baragouinages, aux marchandages, aux cris de détresse des fous de Riverside.