Quand Infinity Ward négligea son solo pour moderniser son multi

Alors que le succès commercial et critique de la saga Call of Duty déclinait légèrement à la suite notamment des décriés épisodes de Treyarch et de leur Call of Duty 3 venant s’introduire dans la franchise principale jusqu’ici entre les seules mains d’Infinity Ward, ces derniers entendent reprendre la main avec Call of Duty Modern Warfare. C’est une nouvelle sous-franchise par les créateurs historiques de la série qui va rabattre les cartes et offrir un nouveau souffle à la saga, quittant le contexte de la seconde guerre mondiale pour un conflit fictif aux alentours de 2010 avec flashbacks dans les années 90. Voyons si ce renouveau m’a séduit ou me conforte dans ma position personnelle préférant jusqu’ici le tout premier épisode et son extension à ses suites.


GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★☆☆☆☆


La campagne solo s’ouvre sur un tutoriel assez intéressant qui te fait exécuter des commandes simples mais chronométrées de manière à suggérer un mode de difficulté en fonction de ta performance. C’est plutôt bien vu car ça permet de donner une vraie idée du niveau d’apprentissage par cœur et de dynamisme attendus dans les modes de difficulté les plus élevées. Pour ma part, à la vue du tutoriel je me suis dit que le premier niveau de difficulté était trop bas pour m’intéresser, que le deuxième m’allait plutôt bien tant il me challengeait un minimum sans trop exiger, que le troisième était atteignable mais au prix de nombreux essais que je ne voulais pas consentir, et que le quatrième était tout simplement hors d’atteinte. Et c’est très exactement ce que j’ai retrouvé dans la campagne.


Cette dernière propose une aventure rythmée à la difficulté progressive avec quelques séquences d’infiltration et de rail-shooters qui viendront apporter les séquences de jeu diversifiées attendues. A cet effet, les développeurs profitent bien des technologies de ce contexte moderne avec appui aérien depuis hélicoptère de combat et avion lourdement armé pour proposer de toutes nouvelles phases plutôt que de simples évolutions de phases déjà vues dans les précédents épisodes. Même si je n’aurais pas été contre le pilotage d’un char d’assaut.


Néanmoins, cette campagne se terminant en moins de 6 heures, ça me rend exigeant et il y a beaucoup de soucis persistants ou s’aggravant des précédents opus : le level-design est beaucoup trop étriqué constamment, l’IA alliée comme ennemie est très limitée, les scripts peuvent être assez grossiers, les tonneaux et voitures pouvant exploser ne sont pas toujours bien répartis… Et j’attendais bien mieux d’un jeu avec une telle réputation et une telle ambition. La vérité est que la campagne solo est désormais moins travaillée car le mode multijoueur prend désormais plus d’importance.


Ce dernier est toujours plus complet avec 6 modes et 16 cartes, toujours plus addictif avec le système de points d’expérience pour débloquer une tonne de récompenses à n’en plus finir, toujours plus compétitif avec les récompenses pour tuer des ennemis d’affilée. Il faut reconnaître que le choix se tient parfaitement, Infinity Ward a su saisir le moment parfait pour développer un mode multijoueur compétitif d’envergure alors que la connexion internet stable se démocratise sur console et que peu de jeux AAA occupent encore ce créneau naissant. Mais pour ma part, ce mode multijoueur ne m’intéresse pas, donc il vient plutôt abaisser ma note que la renforcer, nul doute que pour un autre joueur ça sera l’inverse.


Je comprends qu’on apprécie grandement ce multi, qu’on n’y a passé beaucoup de temps à l’époque avec beaucoup de souvenirs à la clef mais je ne vois aujourd’hui que du temps et des moyens dont la campagne solo avaient besoin. Et à partir du moment où le titre en a une et axe sa communication dessus, je considère que je peux juger le titre sur cette campagne principalement. Et malheureusement, ce n’est pas le seul problème qui se pose avec cette campagne solo car si elle m’a déçu sur le plan ludique, elle pouvait encore se rattraper sur un plan scénaristique et narratif.


SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★☆☆☆☆


Si l’intro du jeu nous pose un contexte géopolitique, ce dernier est volontairement très simpliste avec une guerre civile russe opposant le gouvernement à des ultra-nationalistes et une montée en puissance d’un mouvement islamiste au Moyen-Orient. C’est à travers les yeux d’une jeune recrue des commandos britanniques qui fait ses premières armes et un sergent américain des Marines que nous allons découvrir et affronter tout ça. Cette simplicité me semble appropriée pour pleinement rentrer dans l’histoire sans difficulté, mais encore faut-il que la trame soit bien menée par la suite.


Il y a des qualités à faire valoir, comme le choix de ces campagnes entremêlées qui renforce une évolution dans la franchise qui y recourrait jusqu’ici sans que ces campagnes soient autant mêlées l’une à l’autre. Il y manque seulement un point de vue que j’aurais bien aimé, celui d’un loyaliste russe. Ça aurait en plus permit un clin d’œil aux anciennes campagnes qui alternaient entre ces 3 nationalités. Mais concentrons-nous ici sur le positif, les 2 campagnes et comment elles se découpent en se répondant l’une à l’autre avant de se rejoindre révèle une structure maîtrisée et a minima ambitieuse.


Une autre qualité du scénario requiert un spoil assez important :

La mort de Paul Jackson, le personnage jouable de la campagne américaine, fut une sacrée surprise pour moi, d’autant qu’ils font assez bien croire qu’il va survivre par miracle alors que non. Donner finalement le premier rôle au SAS, et donc aux britanniques, allait plutôt à l’encontre de ce que l’on pouvait attendre d’un studio américain faisant autant de propagande Nord-Américaine. Et le fait de sacrifier le personnage jouable américain renforce d’autant plus l’impact dramatique des pertes américaines par l’explosion de la ville.


Par ailleurs, le doublage français est très efficace grâce à un Marc Alfos parfait pour le capitaine Price très présent, même s’il est peut-être un peu trop seul à justement se démarquer. La plupart des personnages alliés manquent de personnalité avec trop peu de dialogues entre eux pour les humaniser tandis que les antagonistes n’ont que très peu d’occasions de montrer leur cruauté et leur dangerosité, comme c’était déjà le cas dans Call of Duty 2 qui se reposait beaucoup trop sur les acquis datant de Call of Duty 1 à ce sujet. Encore une fois, les développeurs n’ont pas voulu travailler davantage cet aspect parce qu’ils préféraient concentrer leurs efforts ailleurs.


Il y a également beaucoup de choix scénaristiques qui me posent de sérieux problèmes au-delà du traitement de ces personnages. On peut voir un membre du SAS torturer et exécuter un prisonnier sans défense sans que ça ne choque personne dans l’équipe. Les loyalistes russes ne sont gentils que parce qu’ils sont alliés aux occidentaux, c’est tout ce qui les distingue des ultranationalistes russes ennemis. On dégomme des villes dans lesquelles il y a forcément des civils mais que le jeu refusera de nous montrer ou même de mentionner. Ne pas spécifier le pays du Moyen-Orient où se déroule l’action laisse planer un sous-entendu que la géopolitique complexe de la région n’a pas grande importance.


Et de manière plus générale, on dirait du sous Tom Clancy qui ne retient que la convergence d’ennemis de l’Occident autour de cette lutte commune et la menace nucléaire pour faire monter les enjeux brusquement. Au moins, l’intrigue est bien et bien finie en fin de campagne plutôt que de se terminer en queue de poisson, c’est toujours ça de pris. En 2007, face à des FPS scénarisés ambitieux, c’est tout de même très léger et je suis convaincu qu’on pouvait faire mieux sans perturber le rythme du récit ni dénaturer le propos central du film qui veut montrer un brave Occident faire face à des mouvements radicaux n’apportant que du malheur aux populations qu’ils fanatisent. Voyons si réalisation et esthétisme sauront enfin répondre à mes attentes.


RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★☆☆☆


Si la franchise avait posé un premier pas sur la septième génération dès son premier jour avec la version Xbox 360 de Call of Duty disponible au lancement de la machine, ce Modern Warfare était attendu comme une nouvelle évolution technique capable de rivaliser avec les FPS concurrents de la même année, et entre Bioshock, Crysis, S.T.A.L.K.E.R. et Halo 3 il y a de quoi faire. Et plutôt que de concentrer les efforts sur un niveau de détails visuels maximal, le choix a été fait de prioriser les 60 FPS et la mise en scène, ce qui est très cohérent pour un FPS à la fois compétitif et visant le grand public.


Pour les 60 FPS, ils ne sont évidemment pas constants sur Xbox 360 et Playstation 3, comment auraient-ils pu l’être, mais les baisses de framerate ne sont ni nombreuses, ni très ressenties, le pari est donc largement relevé. Pour la mise en scène, de grandes libertés sont prises pour un rendu très cinégénique au risque d’être très invraisemblable avec l’abordage d’un navire en pleine tempête déchaînée depuis un hélicoptère sans se faire repérer, des hélicoptères de transport qui viennent nous récupérer en pleine zone de combat sans être pris pour cibles…


Ce n’est franchement pas un souci du tout, le jeu se vend comme une production de divertissement et cette exagération fait même partie du plaisir à regarder ce grand spectacle au rythme effréné. Et bien sûr plusieurs de ces séquences impressionnantes seront jouables avec descente en rappel d’un toit en feu, saut au dernier moment dans un hélicoptère en plein vol… Même pendant les briefings, l’imagerie est très dynamique pour nous maintenir dans cette frénésie. De plus, plusieurs séquences choquent grâce à la mise en scène à la première personne, comme lorsque l’on incarne une victime exécutée alors que l’on voit la mort arriver en face.


Néanmoins, des progrès auraient pu être attendus sur la destructibilité des décors, l’éclairage dynamique ou encore les animations avec du full body awareness ou une posture démontrant clairement quand on porte un humain sur les épaules. Et les bugs d’affichage ne sont pas si rares. Artistiquement, la péninsule Arabique et l’Europe de l’Est sont les principaux environnements parcourus, le premier puisant clairement ses inspirations du côté du film la chute du faucon noir par Ridley Scott, mais je ne trouve pas cette proposition si marquante que ça, simplement très correct, bien loin de la claque par Call of Duty 1 en son temps.


L’OST, composée par Stephen Barton dont c’était le premier travail dans le milieu du jeu vidéo, appuie très correctement les scènes de tension et d’action mais sans être suffisamment brillant, sans dégager une identité sonore particulière, et j’en suis un peu déçu. En revanche, la chanson de rap sur le générique de fin qui brise le quatrième mur, s’il y a plein de citations du jeu qui sont balancés dans un ordre aléatoire quant à leur sens dans la chanson, elle m’a bien fait rire avec ce discours vulgaire mais complètement assumé d’Infinity Ward qui revendique ouvertement leur réussite, que je ne partage pas vraiment.


CONCLUSION : ★★★★★★☆☆☆☆


Premier épisode à dépasser les 20 millions de ventes, presque 5 fois plus que le premier épisode de la franchise, Modern Warfare fait rentrer la saga dans une nouvelle ère, celle d’un phénomène générationnel, malgré sa campagne de courte durée handicapée par son level-design étriqué, ses scripts grossiers, son IA limitée, son scénario assez pauvre et ses propos discutables. L’efficacité de sa mise en scène, la fraicheur apportée par son changement d’univers dans la franchise et surtout son mode multijoueur complet, addictif et compétitif en ont fait un incontournable de sa génération mais une déception pour moi.

damon8671
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le 28 déc. 2024

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