Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr
Episode tout neuf malgré son titre repris à l’épisode de 2007, Call of Duty Modern Warfare version 2019 cristallise tout ce que la série porte de meilleur et de pire depuis sa conception : des sensations de jeux légères, immédiatement gratifiantes ; un sens du spectacle qui place le joueur au cœur d’une action portée par un savant usage des scripts ; et un fond de propagande pro-militaire US qui a de quoi retourner le ventre, dès qu’on se pose deux secondes pour réfléchir à ce que l’on nous fait jouer. Saisissons l’occasion de mettre enfin le doigt sur le problème « Call of » (versant solo) une fois pour toute – notez qu’on ne parlera pas ici du multi -.
LE SCRIPT COMME UNE CHORÉGRAPHIE
Nous passerons rapidement sur les nombreuses phases de shoot, qui ne sont jamais qu’une reprise d’un modèle popularisé par Medal of Honor (le père génétique des Call of) : une sorte de tape-taupe où le joueur entre et sort de couverture pour dézinguer un à un ses ennemis dès qu’ils se montrent : on se sent bien dans une giga-production en prise de risque minimale sur le gameplay, calibré sur les prétendues attentes d’un public, qui serait désireux de retrouver pour la quinze millième fois les mêmes phases de jeu. Soit (unité d’élite).
A ces fusillades qui nous ennuient rapidement, on préfère finalement les moments de semi-liberté où le joueur participe à une action scriptée. Ces scripts qui s’apparentent à de la mise en scène brillent surtout dans les « mises en places » des missions, phases d’approches où le héros du moment (il y en a plusieurs) pénètre dans un niveau par la petite porte : une étroite ruelle en plein Camden, par exemple, où de jardinet en fenêtre, le joueur progresse à pas de loup jusqu’au premier étage d’une maison puis assiste à la neutralisation des terroristes qui y résident, reprend la main pour quelques headshots puis redevient spectateur le temps de mini-scripts qui emballent la scène avec une fluidité impressionnante. Ce sont ces scénographies de l’action, portées par une sens de l’atmosphère et du détail décoratif, qui font les meilleurs moments du jeu.
REFLET D’UN ÉTAT D’ESPRIT PARTISAN
Mais au-delà de ces satisfactions de surface, Call of Duty Modern Warfare reste un jeu problématique sur le fond, à commencer par celui de son scénario qui adhère totalement à la rhétorique guerrière américaine. Certes, le jeu prend le soin de se cacher derrière une couche fictive, mais on reconnait vite le réel sous les faux-noms : Al-Qaïda devient Al Qatala, l’Afghanistan ou la Libye deviennent l’Urzikstan, quand ce ne sont pas de célèbres séquences médiatiques de la guerre contre le terrorisme que l’on nous donne à rejouer, comme cet assaut nocturne d’un village montagnard conclu par la mort d’un ersatz de Ben Laden. Le problème, c’est que cette proximité au réel est présentée comme une juste représentation, alors qu’elle est totalement partisane : elle part du postulat que les armées américaines et britanniques sont, forcément, bien intentionnées, que leurs interventions militaires à l’étranger sont motivées par la seule défense des peuples opprimés. Certes, une ligne de dialogue fait bien entendre l’argument d’un terrorisme en réaction à la politique étrangère agressive des U.S. ; mais la façon dont elle est dite – par un terroriste caricatural, tenant un enfant en joue – neutralise le message. D’ailleurs, l’enfant est tué la seconde d’après et nous voilà « dans notre bon droit » de vouloir sa peau.
Cette propagande pour la bonne violence, la violence juste, la violence pro (comme son capitaine John Price, tout en barbe et sourire paternels) a un autre pilier : les morts y sont globalement légères et sans impact, sauf quand le jeu veut faire un effet. Quand l’ennemi meurt, c’est léger, sans animation insupportable, sans râle d’agonie. Quand c’est un gentil civil qui meurt, alors la mise en scène met les petits plats dans les grands pour insister sur l’ultra-violence, le scandale, l’injustice, et ce, toujours dans le même objectif : justifier sans l’ombre d’un doute le bien-fondé de notre croisade anti-terroriste. Le meilleur exemple de cette manipulation reste le personnage jouable de Farah, combattante héroïque devenue « super-victime » lors d’une séquence traumatisante de son enfance, que l’on rejoue dans un chapitre dont le seul but est de fabriquer son (et notre) ressentiment à l’encontre des « méchants ».
L’ENNEMI À PEINE HUMAIN
Dans cette réthorique guerrière, l’ennemi n’a évidemment pas droit au même traitement que l’allié : sa mort à lui est sans poids, joliment chorégraphiée, tout à fait supportable, d’autant que l’on voit rarement son visage, caché sous un casque ou bonnet, qu’il est d’une certaine manière déshumanisé (astuce ultra-classique du genre « FPS », pour que la tuerie reste « fun »). L’ennemi est un anonyme dont on ne connait pas l’histoire ; on ne sait pas ce qui fonde son ressentiment à lui, ce qui fait qu’il est devenu soldat. On l’essentialise terroriste : pour ce qu’on en sait, il l’a toujours été. Le jeu n’ayant aucun souci pour lui, il peut bien mourir. Sa mort par dizaine peut même être un moment « cool », comme lorsque l’on franchit les défenses ennemies appuyé par des véhicules lourds, ou par des frappes de drone qui mettent encore plus à distance l’acte de tuer, qui le virtualise encore plus. C’est ce qui permet à l’un de nos acolytes de ponctuer un bombardement par un « C’était un plaisir, sergent ! » assez hallucinant.
Puisqu’on parle de plaisir, ou plutôt de satisfaction ludique, ce Modern Warfare n’en est pas dénué : ces missions font souvent montre d’une utilisation intéressante de leurs espaces, comme celle du flashback de la jeune Farah, où la fuite en avant s’arrête d’un coup dans une maison, pour laisser la place à un jeu de cache-cache assez flippant rappelant les boss fights de Resident Evil 7. On pense aussi à cette mission de l’Ambassade, où l’on dirige une civile fuyant les terroristes par caméras interposées. Certes, le jeu est agréable à regarder, certes, ses décors sont composés avec une grande précision de détails, certes, ses visages sont parmi les plus réussis et les mieux animés dans un jeu : mais aucun de ces arguments ne le rachète de l’idiotie politique dans lequel il nous plonge, à grand renfort de scripts et de boucles de gameplay jouissives, comme pour mieux nous empêcher de ressentir et de penser.
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