Numéro 8 de mon Top 10
Cet été ma moitié et moi sommes allés en Chine, dans le Sichuan plus précisément. Nous avons voulu entamer notre périple par l’ascension d’une montagne sacrée bouddhiste, le Mont Emei. N’étant pas de grands sportifs (plutôt des vacanciers actifs), la grimpette s’annonçait difficile : 60 000 marches à monter en deux jours. Ca fait grosso modo 40 fois la tour Eiffel... Et il fait entre 10 et 35° selon l’altitude... C’est également la saison des pluies… Et puis y’a des singes qui volent tes affaires…
Les randos qui te pètent les genoux j’en ai fait quelques-unes, mais mon alter ego… Disons que si je ne suis pas un sportif régulier, elle n’est pas une sportive tout court. Alors j’avais beaucoup d’appréhension quant à sa capacité à affronter le périple, l’abandon étant impossible, la seule voie étant celle qui monte à flanc de montagne.
9h30, pied de la montagne. Un bol de nouilles et c’est parti.
1er Niveau : Pied de la montagne
La marche est agréable, on apprend à connaître son matériel : poids du sac, formage des chaussures et appui sur le bout de bambou vendu par une mémé au petit déj. Il fait grand soleil, l’été se fait ressentir par le crissement des insectes dans les arbres et la chaleur pesante et humide dans laquelle nous avançons. Les marches sont plates, juste quelques volées plus pentues disséminées de-ci de-là pour se mettre en jambe. Seul véritable obstacle : les hordes de touristes qui arpentent le pied de la montagne pour une promenade au bord de la rivière ou pour les temples présents de façon concentrée.
2ème Niveau : Le territoire des singes
Cela fait une heure et demie que nous marchons, aucun soucis, les hordes de touristes sont toujours là, mais plus éparses. Ceux qui ont dépassé le point à partir duquel les porteurs de chaise longue n’existent plus ne sont plus si nombreux, mais ils sont là pour une raison : les singes du Mont Emei ! Ces singes, qui font la taille d’un labrador, sont habitués aux foules qui viennent les nourrir. Cela les a rendus trop confiants, et ils n’hésitent pas à sauter sur les badauds pour leur soutirer quelques paquets de chips et autres bouteilles de soda. Nous évitons tant bien que mal de nous approcher de trop près, poussant l’occasionnel gamin séparé de sa famille vers eux pour faire diversion. On voit un chinois trop présomptueux se faire mordre pour avoir osé résister au racket d’un gros simien.
3ème Niveau : L’ascension commence
Le danger des féroces autochtones derrière nous (tant les humains que les animaux), la balade s’arrête pour laisser place au début du challenge. On entame ici ce qu’ils appellent les 99 virages : des volées de marches longues et raides, avec de temps en temps un palier ou un faux plat pour que les jambes ne cèdent pas. Quelques rencontres de personnes errantes ou ayant le même objectif que nous, mais pas plus. Le soleil a disparu, nous sommes dans les nuages. La chaleur persiste, elle, et les pauses commencent à devenir nécessaires pour se réhydrater ou manger une boule de riz au thé vert. Le cœur y est toujours, mais on sait que l’aventure commence vraiment et que ce qui nous attend ne sera pas de tout repos.
Interlude 1 : Restez donc dormir !
Il est 16h30, et nous avons fini les 99 virages. Nous voici face à un temple qui nous permet de dormir. Nous avons approximativement deux heures devant nous avant la tombée de la nuit, le ciel est toujours gris. Un choix doit s’opérer : dormir ici et perdre du temps sur le chemin du lendemain, ou pousser et tenter de faire les 9km qui nous séparent du prochain temple avant d’être dans le noir. Une rapide discussion nous voit tomber d’accord : nous poussons.
4ème Niveau : La première heure du reste de ta marche
Cela fait une demi-heure que nous avons quitté le dernier temple, les marches nous font descendre pour mieux remonter derrière. Dans ces trente dernières minutes, les nuages dans lesquels nous marchons se sont sinistrement assombris, et ce qui devait arriver arriva : une pluie torrentielle. Une fois les ponchos sortis, l’ascension reprend sans communication possible, le vacarme des trombes d’eau déferlant sur nous emportant nos paroles. Au bout d’une autre trentaine de minutes à avancer tête baissée, évitant de glisser sur les marches et rochers, nous sommes trempés jusqu’à l’os, nos pieds pataugent dans nos chaussures de randonnée (nb : la bombe imperméabilisante vendue chez Décathlon ne convient pas aux pluies tropicales). Devant nous une partie du chemin s’est effondrée, il faut passer par le bas-côté en s’agrippant à des racines bienvenues. La pression de la tombée de la nuit se fait sentir d’autant plus que notre marche est ralentie par le climat, et que celle-ci sera sombre.
Interlude 2 : Le radiateur est en supplément
Nous avons réussi à atteindre le temple suivant juste à temps, ou une demi-douzaine des randonneurs que nous avons croisé jusqu’alors ont prévu de passer la nuit également. Nous sommes imbibés d’eau, les ponchos collant à la peau et les pieds flétris par l’humidité, comme si nous avions passé deux heures dans une baignoire. Les tarifs sont abordables, mais pour avoir du chauffage (et donc l’opportunité de repartir avec des chaussures sèches au petit matin) il faut y mettre le prix. Qu’importe, ce qui s’apparente pour cher ici ne l’est pas en comparaison de l’hexagone. Discussion avec les autres marcheurs autour d’un dîner et sommeil auprès d’un radiateur poussé à fond ne se font pas attendre. Je félicite ma moitié : sans elle j’aurais forcé l’allure et me serait fatigué davantage, sans moi elle n’aurait pas réussi à pousser. Nous sommes complémentaires
5ème niveau : Automatisme
6h du matin, le soleil pointe le bout de son nez. Nos affaires sont aussi sèche qu’elles peuvent l’être, mais l’utilité de fait reste à démontrer. En effet, il pleut toujours autant. Je demande à la tenancière de me fournir des sacs plastiques, dans l’espoir vain de pouvoir de pouvoir y mettre mes pieds afin de les laisser au sec. Ca aura tenu une heure. La fatigue est en nous, couplée à la morsure d’une fraîcheur de plus en plus présente du fait de l’altitude et de la pluie. Il n’y a plus de pensée, la marche se fait dans l’automatisme le plus total. Zombies exténués et frigorifiés nous forçons la marche : s’arrêter signifie se refroidir, se refroidir signifie… avoir plus froid. Nous passons un magnifique temple, dit « de l’éléphant », sans même prendre la peine de le visiter. Il faut continuer. Nous sommes partis plus tôt que les personnes ayant dormi avec nous, nous sommes donc bel et bien seuls. La pluie ne faiblit pas, nous sommes à bout.
Finalement il est midi, et nous arrivons ankylosés à la dernière étape avant le sommet : la station de télécabine à laquelle 95% des gens viennent en bus depuis le bas de la montagne. C’est une victoire, à nous de choisir notre épilogue.
S’offre à nous trois choix :
1- Marcher deux heures de plus sous la pluie battante pour arriver au sommet. (Face C)
2- Prendre la télécabine pour éviter ces deux heures de marches, tout en faisant une demi-heure de queue et en payant une jolie somme. (Face B)
3- Se poser dans un resto et prendre une bière et un repas chaud puis redescendre en navette parce que de toute façon là-haut y’a rien à voir vu le temps qu’il fait et qu’en plus on a beaucoup trop froid. (Face A)
Contrairement à Céleste, il n’y a pas de mode assist dans la vie. Quel choix pensez-vous que nous ayons fait ?
Epilogue – Niveau secret
La navette ne pouvait pas descendre jusqu’au bas de la montagne car il y a eu un éboulement sur la route. Pour rejoindre notre destination depuis l’endroit où nous fûmes lâchés, il nous fallut marcher 3h de plus, mais sur du plat et sous un grand soleil, au milieu de villages perdus dans la forêt des contreforts montagneux. Bien aisés nous voici d’avoir choisi l’option 3 dans le niveau précédent. De retour en ville, nous nous fîmes masser.