De l'autre côté du miroir...
Un jeu "indépendant". Mouais. C'est comme ça qu'ubisoft a vendu "Child of light" et pourtant on sent bien, dès le départ, qu'il n'est ni le fruit d'un travail amateur, ni programmé avec peu de moyen. Passons donc sur le côté faussement "petite production" supposée vendeuse. "Child of Light" n'est pas un jeu indé, c'est surtout un jeu qui sort un peu des sempiternels schéma action/QTE/Suites à rallonge dans lesquels s'enfoncent le monde vidéo-ludique depuis des années. Voilà pour la partie "vieux con", passons donc à la bête.
Ce qui frappe tout d'abord, c'est le soin apporté à chaque détail : les premiers pas dans "Child of light" sont parfaits : on évolue dans un livre d'enfant, au son du piano (magnifique BO signée Cœur de pirate), dans la peau d'une petite princesse se déplaçant au rythme de cette même musique. Tout est onirique, posé, lent, contemplatif. On se demande même s'il y a réellement des combats dans ce jeu. Personnellement, les premières minutes m'ont évoqué l'OVNI "Ico", dans son atmosphère brumeuse et poétique et paradoxalement légèrement anxiogène (un monde inconnu, vide, où la moindre silhouette peut être alliée comme ennemie, un personnage clairement à la merci de ce qui passe...)
Nous incarnons donc la princesse Aurora, qui après s'être mise au lit, ne s'est jamais réveillée et reprend donc ses esprits dans ce monde parallèle, dont on ne sait pas très bien s'il s'agit d'un rêve, d'un monde réel ou d'une autre dimension. Elle croisera sur sa route plusieurs compagnons pour la soutenir dans les combats (Bouffonne, nain magicien, souris archère...) et devra traverser plusieurs contrées qu'elle contribuera à soulager des maux infligés par la reine des ombres. Le plot peut sembler mille fois vu et prévisible, ne vous y trompez pas, il est utilisé avec beaucoup de finesse : si la "méthode" consiste presque toujours à avoiner les créatures de l'ombre, les conséquences sont propres à chaque ville, chaque microcosme qu'Aurora rencontre (Les nains dont l'eau du puits a été empoisonnée, les souris dont l'accès aux coffres d'or, au sein de leur divinité, est bloqué par des araignées géantes...). L'univers a été ingénieusement pensé pour ne pas donner la sensation d'une énième quête du "bien contre le mal".
Visuellement, "Child of Light" est une tuerie. On garde une impression de légèreté, de poésie et de magie dans les moindres déplacements, l'immersion est parfaite : qu'on traverse le ciel entre les montgolfières ou qu'on se faufile dans les boyaux d'un volcan, on a réellement la sensation de liberté/de claustrophobie, le tout dans de jolies aquarelles (on chercherait presque où tourner la page). La musique est à l'avenant, comme je le disais au début.
Côté combat - oui, il y en a, nous sommes quand même dans un RPG - c'est un classique tour par tour, dont le système est simple mais bien pensé : chaque combattant a un temps d'action représenté par une jauge sur laquelle les icônes bougent. Arrivé au bout de cette jauge, le personnage peut agir, sachant que chaque action demandera un temps d'incantation plus ou moins long, avec le risque qu'un combattant quasiment au même emplacement sur la jauge puisse agir le premier et surtout interrompe l'incantation en attaquant. On peut utiliser Igniculus, l'esprit de lumière qui nous accompagne, pour ralentir les ennemis et ainsi tâcher de leur passer devant. Simple certes mais offrant un potentiel intéressant en terme de stratégie : vaut-il mieux frapper rapidement ou laisser le premier coup à l'ennemi pour frapper plus fort ensuite ? Si deux personnages sont utilisables en combat, on peut facilement utiliser le reste du groupe en remplaçant instantanément un combattant. Virtuellement, on peut donc faire combattre tout le monde.
En terme de niveau et d'évolution, on trouve un système un peu similaire au sphérier de FF10 : lorsque le personnage gagne un niveau, il a la possibilité de délocker une case de son "damier" personnel, qui lui offre nouvelles compétences, hausse d'une caractéristique, etc...Là encore, rien de très complexe mais il est laissé une relative liberté au joueur, qui encore une fois doit se décider entre long terme - atteindre une capacité précise sur le damier en débloquant les cases qui la précédent - ou le court terme - booster le personnage le plus rapidement possible quitte à débloquer les pouvoirs plus tard.
Bref, graphiques magnifiques, atmosphère réussie, histoire prenante, système de jeu bien pensé, c'est donc un sans-faute ?
Le sans-faute n'existe pas, même si "Child of Light" passe très près.
Tout d'abord et bien qu'elles soient superbes, les musiques sont assez peu nombreuses et paraissent du coup légèrement redondantes. Ça n'est pas un défaut rédhibitoire mais les FF, Shadow hearts et autres RPG japonais comportent facilement le double de morceaux, ce n'est pas pour rien. J'ai eu cette sensation de redondance bien avant de faire l'acquisition de la BO, je précise.
Ensuite, le jeu est lent. En soi ce n'est pas réellement un défaut mais un parti-pris : les déplacements d'Aurora sont lents, le défilement des dialogues, la mise en scène, tout est lent. Si cela est totalement cohérent avec l'atmosphère du jeu et qu'on s'y fait, reste que par moment, c'est extrêmement EXTRÊMEMENT pénible. En combat, par exemple, où chaque animation prend énormément de temps (le combattant charge son coup, le délivre, la cible encaisse, les dégâts s'affichent, puis la cible se relève. J'ai chronométré, cela prend pas loin de dix secondes et croyez-moi, c'est long en pleine action) et rallonge artificiellement les combats. Sachant qu'il est impératif de combattre pour gagner des niveaux, cela peut devenir réellement crispant et on a envie d'appuyer sur "avance rapide". Ok, c'est le jeu qui veut ça mais n'y aurait-il pas eu une possibilité de raccourcir les animations de combat pour éviter de perdre vingt minutes à regarder Aurora reculer sous l'impact, faire tomber sa couronne, revenir à sa position initiale, récupérer sa couronne et la remettre sur sa tête DIX FOIS ? Même remarque pour certains dialogues, quand on lit relativement vite, les voir s'enchaîner aussi lentement casse totalement le rythme de lecture. Bref, un poil de nervosité en plus n'aurait pas été un mal.
Enfin, les ennemis, dont le chara design se renouvelle assez peu (je sais que les japonais en usent et en abusent dans leurs RPG mais non, messieurs d'ubi-soft, changer la couleur d'un ennemi ça n'est pas du chara design, c'est de la grosse fainéantise/de l'économie.). Pas dramatique mais un peu dommage quand on voit combien l'univers a fait l'objet de recherches et de travail.
Nonobstant ces défauts, Child of light reste une expérience vidéo-ludique de grande qualité, un bel hommage aux RPG nippons et une petite perle de poésie et de magie à côté de laquelle il ne faut pas passer. Si vous aimez les RPG, foncez. Pour ma part, j'ai encore pas mal d'étoiles coincées dans les yeux.