Le vaisseau tremble. A bord, les objets commencent à sentir la gravité impitoyable de la planète, à mesure le réacteur sensé la compenser artificiellement faiblit; des outils roulent sur le grillage au sol, de menus objets tombent lourdement et les dossiers que contenaient la mallette glissent au au gré des manœuvres. Monsieur Pervenche tambourine à la porte du poste de commandes. Il sait que son vaisseau traverse probablement une atmosphère très dense et qu'elle n'est certainement pas respirable. Il sait aussi que la personne qui a prit le contrôle de l'aéronef n'a aucune idée de ce à quoi elle s'expose en empêchant quelqu'un de son rang de faire son travail. Enfin, il sait que la vitesse de l'appareil est bien trop élevée pour éviter un crash.
Après quelques secondes d'infructueux appels, un projectile vint faire sauter le verrou et la porte s'ouvrit sur une arme encore fumante, ainsi que sur le regard, brun et furieux, de Monsieur Pervenche. L’intrus avait les cheveux longs, la taille et la corpulence d'une femme, qui ne se retourna pas. Par la vitre du poste, Monsieur Pervenche put voir la teinte verte de l'air ambiant à l'extérieur, ainsi que l'épaisse jungle qui était déjà visible, couverte de long nuages de spores aux allures pestilentielles. Ce fut alors qu'il remarqua, dans le reflet de la vitre blindée, que les yeux de l'inconnue étaient d'un jaune étrange, entre l'or et le cuivre.
Monsieur Pervenche comprit tout de suite. Il lui revint en tête la colonisation des premières planètes depuis la Terre, rendue inhabitable par ses habitants. Les pays terriens s'étaient regroupés en immenses alliances, unions, conglomérats industriels, qui chacun avaient financés une colonie. Une fois sur place, les survivants eurent fort à faire : redécouvrir toutes les technologies perdues, lutter contre les espèces insectoïdes qui les harcelaient, étendre leurs territoires. Les choses étaient rendues plus simples que dans l'histoire primitive des civilisations, heureusement aux vues des nécessités de cet environnement hostile.
Puis, rapidement, le naturel violent des humains était revenu. Certains avaient fait le choix de modifier leur ADN, y incluant des éléments d'espèces de la planète, dans l'idée de s'intégrer parfaitement à leur environnement. L’intruse est de ceux-là : ses yeux peuvent voir d'avantage de couleurs, sa peau chitineuse est plus résistante et sans doute d'autres modifications la rendent encore moins humaine. D'autres s'étaient mit à vénérer la "terre ancestrale", préservant coûte que coûte l'apparence humaine primitive. Enfin, ceux dont Monsieur Pervenche descendaient avaient choisis la voie de la modification par la technologie, l'Augmentation. Aucune de ces philosophies ne pouvait coexister pacifiquement avec les autres. Chacun de ses adeptes appelait monstre ses deux voisins.
Tout avait longtemps reposé sur les équilibres entre ces idéologies. La guerre et la paix évoluaient au gré de la course à l'armement, des avancées technologiques, des subtilités diplomatiques et de l'espionnage. Un œil aguerrit aurait vu dans cette époque d'innombrables influences, allant des travaux d'Asimov a certains films terriens comme Alien, en passant par des romans comme Dune ou H2G2. Les survivants s'étaient inspirés de tout ce qu'ils avaient pu.
La mémoire s'était diluée dans les siècles et plus personne ne pouvait dire comment les hommes avaient surmonté cette épreuve : par la conquête? Par la fusion des esprits avec les super-organismes de la planète? Par la construction d'un portail visant à ramener la population terrestre dans un foyer aménagé pour eux? Toujours était-il que d'innombrables planètes avaient, au cour des millénaires, accueilli les descendants de telle ou telle obédience. Et au vu de l'aspect de celle que Monsieur Pervenche voit par la vitre, l'inconnue l'a amenée dans un foyer des adeptes de l'harmonie.
Un foyer qui s'approche tellement vite que les alarmes du vaisseau se mettent à hurler. Monsieur Pervenche ne veut pas prendre le risque d'attaquer la jeune... chose qui pilote le vaisseau. A la place, il se précipite dans sa cabine, ramasse un dispositif de traitement des gaz toxiques qu'il s'applique sur le visage, puis se prépare à l'impact.