Guerre, paix et autres jeux
Au pays belliqueux si il en est du jeu de stratégie/gestion, la série Civilization a toujours été un peu à part. Mégalomanie ludique de son créateur Sid Meier seulement dépassée par le mitigé (car, justement trop ambitieux) Spore, Civilization ne vous propose rien de moins que de vous mettre à la tête d'une civilisation, incarnée par son dirigeant, dont vous devrez assurer la destinée au cours du temps, de l'aube de l'humanité à la conquête de l'espace. Pour cela, chaque civilisation et dirigeant possède ses bonus, favorisants une ou plusieurs des cinq types de victoires possibles dans le jeu: Par le temps, culturelle, scientifique, militaire et diplomatique.
Le premier type n'est rien de plus qu'un pur mécanisme de game design, diégétiquement aberrant, visant à créer, à forcer artificiellement, une "fin" programmée au jeu. Construit autour d'un système de points, il est ici le vestige le plus évident des origines archaïques (l'arcade, archaïsme vidéo-ludique) du jeu vidéo. Personnellement vécu comme une solution résolument pauvre à un problème mécanique lié au médium (le "jeu" entend un "but" et donc une "fin"), je l'évoquerais peu ici.
Les quatre autres types de victoires sont autant de pistes de réflexions possibles à la problématique posée implicitement par le jeu: Comment "finir" l'Histoire? Et surtout, comment la "gagner"? Si une analyse cynique pourrait y voir une légitimation honteuse de la suprématie américaine, la superpuissance étant élevée au rang de "gagnante du grand jeu de l'histoire", j'aime à croire que c'est un peu plus compliqué que ça.
Civilization se base sur le vieux principe philosophique du "sens de l'Histoire". Héritage humaniste absolu, il est la conviction que, dans sa capacité à l'évolution et à la vertu, l'homme est déterminé à donner un sens à son Histoire. Ainsi, même les pires actes d'atrocités ne seraient qu'une étape malheureuse vers la fondation en finalité d'une utopie de fait permis par les avancées économiques, sociologiques, philosophiques, scientifiques,... Bref, que la pensée humaine libre est la voie du salut.
Analysée ainsi, la transposition de l'Histoire en jeu vidéo est légitime: l'Histoire à une fin, donc un but présent dans les mécanismes de jeu et en limitant de fait la durée. C'est ce qui rend précisément maladroite la présence de cette "limite de temps" déjà critiquée plus haut.
Maintenant que nous avons analysés la "durée" du jeu, attardons nous sur ce qui le constitue en substance: les règles (donc, le gameplay). Comme dit plus haut, Civilization part du principe de l'opposition entre les civilisations, figures de joueurs et d'ordinateurs opposés les uns aux autres dans un objectif de domination, car chaque type de victoire est une autre vision de la domination. Là encore, plus que la vision de l'auteur, c'est la volonté de faire "jeu" qui prime, d'où l'idéologie douteuse qui en ressort. En effet, depuis ses origines les plus primitives, le jeu vidéo n'est qu'opposition: opposition à la machine ou à l'autre joueur, dans sa forme absolue le jeu vidéo n'est qu'autant d'enrobages possibles de son essence pure: Pong.
Civilization manque d'ambition et reste un jeu quand il pourrait prétendre à bien plus. Cependant, il existe ici une grande innovation de gameplay, une véritable idée de genre: La domination PEUT être autre que seulement militaire.