Crymachina
Crymachina

Jeu de FuRyu et NIS America (2023PlayStation 5)

Les androïdes rêvent-ils de waïfu électriques ?

C'est la question qu'on est en droit de se poser dès les premières minutes de ce Crymachina au casting exclusivement féminin, qui fera à coup sûr le bonheur d'un certain public puisque les seules entités du jeu à être identifiées comme masculines sont difformes et à taper. "Prends ça, vil phallocrate de l'espace ! Vérifie tes privilèges d'accès au cyberespace!", s'entendra-t-on crier intérieurement, avec une intensité proportionnelle à notre engagement militant sur Twitix. Comme quoi, du fan-service ecchi au combat sociétal, il n'y a qu'un pas, lorsque les circonstances s'y prêtent. Et quelle belle perspective que d'imaginer les pervers modérés du net et les activistes progressistes se donner la main le temps d'un jeu vidéo, et plus si affinités ! Mais je digresse, pardon.

Dernier bébé du studio FuRyu, qui s'était fait remarquer il y a quelques années (et pas qu'en bien) avec Crystar, premier opus de ce qui s'annonce désormais comme une licence à part entière dont les larmes sont le dénominateur commun (celles des héroïnes ? Celles des critiques ? Celles des joueurs ? Qui sait ?). Car il faudra vraiment être un otaku weebo hikikomori aux fantasmes pas très N.E.E.T. (et pourtant si, c'est toute la magie de la chose) pour s'emballer sans retenue au contact de ces A-RPG minimalistes pétris de tropes nippo-nippons usés jusqu'à la corudu (comme on dit à Tokyo).

Et pour autant, Crystar était loin d'être parfait, certes, mais il compensait (en partie) son gameplay raide et limité par une direction artistique superbe, à une paire de fesses près dans la cinématique d'intro (censurée chez nous, l'honneur est sauf). L'ambiance y était déprimante, le scénario malsain et le gros chien blanc tout fluffy, de sorte que la pilule passait, pour peu qu'on n'ait pas été allergique aux couinements prépubères et aux yeux plein d'étoiles à la Candy.

Des traces dans lesquelles Crymachina marche en plateform boots (court, devrait-on dire, tant ses héroïnes virevoltent pour un oui ou pour un non), non sans retenir quelques leçons de l'expérience ni sans affiner cette formule brut de décoffrage. Plus dynamique, plus fluide, plus resserré, il invite toujours nos jolies protagonistes à arpenter des niveaux vides et plats comme un jour sans pain beurré au Nutella (jugez-moi, je m'en fous, chacun ses perversions), pour passer d'une arène à l'autre et vider les niveaux de leurs surplus d'ennemis avant d'atteindre les boss et discuter philo Kantienne dans des duels de QCM à la Telltale. Non, évidemment, c'est une mauvaise plaisanterie, vous leur meulerez juste la face jusqu'à ce qu'ils ne ressemblent plus à rien, ce qui ne devrait pas être trop difficile dans la mesure où dès le départ, ils ne ressemblent pas à grand chose et beaucoup de choses à la fois, c'est là le paradoxe, puisqu'on les a déjà poutrés à l'identique dans les Bayonetta, puis maravés gaiement dans Final Fantasy XVI, sans que ça ne semble tracasser outre mesure les experts de la propriété intellectuelle. Et voilà qu'ils rempilent sans honte dans ce nouveau titre, ces petits masos numériques ! De vrais intermittents de la castagne ! A croire que quelqu'un en haut lieu a malencontreusement oublié de faire breveter ses designs, et qu'il y avait des promos sur le papier calque chez Alliexpress.

Mais là où Crystar étirait des maps sans personnalité et multipliait les mobs jusqu'à ce que mal au pouce s'ensuive, Crymachina prend le parti inverse en réduisant l'espace à peau de chagrin (chaque niveau se boucle en cinq minutes, en moyenne), et le nombre d'adversaires à peau de balle ou presque. En contrepartie, il les rend plus endurants et plus techniques à dessouder (toutes proportions gardées. On n'est pas dans un Souls like). Ce qui constitue mine de rien un grand pas en avant dans la bonne direction.

Pour autant, qu'on ne s'y trompe pas : on reste dans du produit vidéoludique de seconde zone, qui a grande envie de bien faire mais n'en a pas nécessairement les moyens (que ce soit financiers ou créatifs, le manque d'argent ne justifiant pas tout).

Et pourtant, pour peu qu'on soit sensible à sa direction artistique (sublime, qu'on aime ou qu'on n'aime pas), on passera un bon moment sur ce button masher qui a le bon goût d'être court (peut-être même un peu trop) et de savoir s'arrêter à temps. Car si le parallèle avec Final Fantasy XVI (et désormais aussi : Goldorak le Festin des loups !) s'impose, tant ils se reposent sur des mécaniques semblables dans leurs atouts autant que dans leurs limites (pauvre bouton carré, ce n'est pas son année), Crymachina se révèle plus agréable à jouer, parce que beaucoup moins pédant. Là où le RPG de Square Enix cherche désespérément à nous convaincre d'une profondeur qu'il n'a pas, à grands renforts d'artifices au rabais, le jeu de FuRyu s'assume pour ce qu'il est, et même se revendique : plutôt que de chercher à se fuir, ou à paraître ce qu'il n'est pas, tel un Iago de 1 et de 0, il fait peu, mais s'efforce de le faire au mieux, sans tricher ni s’embarrasser d'ambitions auxquelles il ne saurait se tenir. Si bien qu'en dépit d'un gameplay quasi copié-collé (carré pour les coups standard, triangle pour les coups forts, triangle maintenu pour les coups chargés, croix pour les attaques sautées, rond pour parer, les gâchettes supérieures pour les combos à base de funnels - comme disent les spécialistes dans les soirées Gunpla, avec le petit doigt en l'air -, gâchettes inférieures pour l'esquive et le tir à distance en vue rapprochée, avec en face des jauges d'armures à faire baisser sur des sacs à PV, Crymachina n'invente rien, comme FF XVI n'inventait rien non plus lui-même), le titre apparaît plus nerveux, plus fun et plus prenant. Ne serait-ce que parce que les affrontements ne sont pas joués d'avance, sans être trop difficiles non plus, il faudra être vif, attentif, réactif et tout plein d'autres mots en ifs pour survivre au challenge (même si l'onglet options propose un mode casu - sic -, au détriment de la fierté du joueur en difficulté).

C'est un des atouts majeurs de ce titre, d'ailleurs, autant qu'une faiblesse par certains aspects : il ne fait pas semblant. Vous aurez d'un côté la baston, stylée, rapide, brouillonne, sans fioritures mais plaisante manette à la main. De l'autre : le hub du jeu, dans lequel vous reviendrez entre chaque mission et où vous optimiserez vos héroïnes en bonne et due forme, étudierez les documents découverts sur le terrain, écouterez les musiques que vous avez débloquées (des fois que le code de téléchargement de la B.O. de l'édition physique ne vous suffirait pas), consulterez vos objectifs (ici, les trophées obtenus peuvent vous valoir des récompenses ingame), et papoterez entre filles autour d'un bon thé, via de courtes cutscenes statiques (trop) pour faire avancer le scénar' et développer les caractères (certaines obligatoires, d'autres optionnelles). Pas de déplacements superflus, pas d'enrobage de quêtes annexes dans du papier brillant (lesquelles consistent juste à dézinguer des mid-boss à la chaîne, ce qui dans les faits revient au même mais nous épargne les discussions interminables et insipides avec des PNJ random écrits par des stagiaires), pas de blabla (à part celui des filles elles-mêmes, qui peut vite taper sur les nerfs des moins férus de japanim', mais a le bon goût de rester relativement concis), tout passe par des menus clairs et bien conçus, même si les mécaniques de leveling et la gestion des funnels paraîtront bien obscures à quiconque n'aura pas la patience d'aller lire le tuto. Parce qu'entre les niveaux qu'on peut augmenter à l'ancienne, les stats qu'on peut faire grimper individuellement, les capacités de soutien qu'on peut optimiser, l'équipement qu'on peut modifier, lesdits funnels qu'on peut améliorer à l'aide de "sentiments" pour créer des combos ou déclencher des effets de soutien, il y a largement de quoi faire. Même si au final ceux qui voudront tracer leur chemin en fracassant les touches y arriveront aussi, au prix d'un peu de farm (et peut-être d'une nouvelle manette, pour les plus excités).

A noter également que l'équipe de développement s'est efforcée de casser (un peu) la monotonie en proposant de timides passages de plate-formes, aussi rares que vite expédiés (un peu de tir, aussi), lesquels ajoutent un soupçon de diversité à la routine, ménageant une (petite) respiration dans ces boucles de gameplay claustrophobiques.

Le scénario lui-même ne s'embarrasse pas de dilutions pour gonfler artificiellement la durée de vie : il progresse et évolue au rythme du jeu, c'est-à-dire vite, mais pas trop, suffisamment dense et complexe pour réserver son lot de twists, d'arcs, de contre-twists, fort d'un background solide et passionnant, nourri de hard SF aux influences illustres, mais qui revient à quelque chose de plus conventionnel et prévisible en fin de parcours, hélas, tout en éludant trop de belles pistes et de prémices originales en cours de route, faute de savoir qu'en faire. Ceci, jusque dans son dénouement, trop intimiste pour être pleinement satisfaisant. On pensera inévitablement à Blame! tant la parenté paraît manifeste, au point que Crymachina en constitue presque la transposition girly au filtre Instagram. A l'instar du détective Killy, nos héroïnes synthétiques arpentent un univers virtuel corrompu à la recherche de données qui leur permettront, peut-être, de devenir des "humains authentiques", seul moyen pour elles de reprendre le contrôle d'un système devenu fou.

Dommage que cet ensemble de haute volée soit tiré vers le bas par le traditionnel pot pourri de clichés propres aux mangasses, que ce soit du côté de nos combattantes Puellamagimadokiennes aux névroses unilatérales et quasi-marketées, ou de leurs relations ouvertement yuri dénuées de nuance. Pour peu qu'on ne soit pas, ou plus, client de ce type de produits, on serrera les dents à plus d'une reprise en se disant qu'on est trop vieux pour ces conneries, avant de s'y faire à l'usure et d'accepter ces demoiselles pour ce qu'elles sont (doublement) : des simulacres d'humanité, programmes informatiques incarnés en poupées fantasmatiques à l'anthropomorphie troublante parce qu'inutile (gloire au mode photo, particulièrement impressionnant dans le détail de ses modèles 3D, même au coeur de l'action, et qui vous permettra de réaliser vos propres plans culottes, pour le plus grand plaisir de vos amis et de vos proches). Rien que des pantins vocaloids voués à gagner progressivement en coeur et en raison, non pas par leur quête insensée mais par les interactions auxquelles elle donne lieu (ce que Lies of P faisait également, mais mieux). Pile dans le thème.

Malgré un gameplay répétitif jusqu'à l'euphémisme et des avalanches de dialogues pas toujours très inspirés, voire parfois franchement cringe (comme disent les jeunes - et j'aime beaucoup, ça évoque le son strident d'une craie sur le tableau noir), on n'a pas le temps de s'ennuyer, même si le dernier tiers du jeu alourdit l'aventure en imposant un grind abusif : une quinzaine d'heures en ligne droite, un peu plus d'une vingtaine pour le platine, on est presque frustré de devoir lâcher l'affaire si tôt. Et ma foi, mieux vaut ça que le contraire. N'est-ce pas, Final Fantasy XVI ?!

Aussi la question se pose-t-elle, au moment du bilan : est-on ou non sensible à l'esthétique du titre, comme à son univers ? Tout se joue là : en tant que jeu, l'ensemble se tient mais n'apporte pas grand chose à un genre archaïque, passé de mode, qui a perdu depuis longtemps ce qu'il avait de sex-appeal. Il faudra pour sauter le pas goûter aux jambes de sauterelles et aux tatouages mécaniques de ces déesses in machina, la froide altérité des environnements, l'opacité technique d'un techno-jargon foisonnant (mieux vaut lire l'anglais couramment, vous êtes prévenus), le soundtrack décalé de Sakuzyo façon doujin circle, les dessins raffinés de Rolua, le joli collector de l'éditeur anglo-saxon, peut-être.

Ce qui n'est déjà pas si mal, au fond, pour un jeu qui se veut de niche.

Une étoile d'or pour Crymachina, alors - et tant pis si ça passe moins bien en traduction.

Créée

le 14 nov. 2023

Critique lue 135 fois

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Liehd

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