Cuphead est intéressant à analyser en parallèle au phénomène qui l'accompagne. Dans sa conception et sa réception il y a une vague rétro assumée tant dans son design que son fonctionnement. De l'aveu même des créateurs, fans de dessins animés des années 30, il y a la volonté de rendre hommage à cette époque ainsi qu'à leur jeunesse en créant un jeu difficile à surpasser, ce qui renforcera le sentiment d'attachement du joueur.
Pour ce qui est de l'aspect graphique et sonore il n'y a pas besoin d'épiloguer sur la qualité des dessins et animations, il suffit de regarder 5 minutes de gameplay sur Youtube pour témoigner de la réussite à communiquer cette ambiance même à ceux qui ne sont pas réceptifs à la base aux dessins animés (vous aurez habilement compris de la personne dont je parle, vous êtes des génies), signe de l'oeuvre de passionnés ne se contentant pas d'une posture vintage. Là où ça se complique c'est quand on va s'attarder sur les principes du jeu.
Le drame de la nostalgie
Cuphead serait donc un retour salvateur à l'exigence des jeux d'antan. Sauf qu'à chaque fois que je lis ou j'entends ça j'ai l'impression qu'il y a une idéalisation de ce qu'était le jeu vidéo à cette époque et qu'on se trompe sur la nature de la difficulté. Parce que s'il y avait effectivement des jeux ardus à maîtriser leur finalité n'était pas cette difficulté. Le média était à un stage plus artisanal qui ne subissait pas toutes les phases de beta testing et d'équilibrage nécessaires, aujourd'hui on voit régulièrement des early access qui durent plusieurs mois (voire années) afin de peaufiner le software suivant les retours des joueurs. De fait on on se retrouvait avec des jeux de plates-formes où des sauts se jouaient au pixel près avec lesquels il fallait se battre contre la rigidité de leurs contrôles. Certains restés cultes (comme Teenage Mutant Ninja Turtles) étaient juste de mauvais jeux que personne ne finissait. Si dans votre entourage on vous dit le contraire, je suis au regret de vous apprendre que vous fréquentez des menteurs.
Il faut aussi dire que dans le modèle arcade dominant la difficulté résidait dans un nombre limité de continus, une fois les 3 vies/continus utilisés il fallait se retaper tout depuis le début. Jouez à Metal Slug, pour citer un Run and Gun arcade, son gameplay est jouissif. Et pour cause il fallait bien donner envie de remettre une pièce dans la machine. Tout l'inverse de Cuphead qui se base sur la frustration du joueur.
Facile à apprendre, chiant à maîtriser
Afin de mieux expliquer en quoi Cuphead n'est pas un bon Die and Retry il est temps d'avoir recours à une analogie à la con.
Retournons quelques instants à l'école pour suivre un parcours d'enseignement classique à travers le cours d'un professeur de mathématiques. En premier lieu vous allez apprendre de manière tout un tas de théorèmes, ensuite si le prof est est bon pédagogue il saura vous les faire comprendre à travers des exercices sélectionnés. Ainsi quand arrivera l'examen final vous devrez mobiliser vos conaissances pour savoir quelle loi mathématique utiliser puis la mettre en application. Vous pouvez foirer la réalisation, comprendre qu'il faille utiliser la mutiplication et calculer que 4x3=14, dans ce cas-là j'ai envie de dire à l'année prochaine, mais le cheminement incite à une élévation intellectuelle de l'élève.
Comme bon Die and Retry on pourrait citer Hotline Miami. Vous arrivez dans une nouvelle zone, vous analysez les rondes des ennemis, leurs armes, vos possibilités... il y a toute une partie de planification qui précède et se coordine avec une mise en action, très souvent suivie de la phase d'adaptation (plus connue sous l'appelation merde le plan a foiré je vais me réfugier dans la salle bain et les attendre un par un).
Maintenant imaginez un professeur qui vous attend à la porte d'entrée de la salle de classe:
- Racine carrée de 2476 ?
- Euh quoi?
- BAM ! Vous recevez une claque dans la gueule.
Bon ben ça c'est Cuphead. Vous êtes balancés dans un niveau où vous devrez avoir une réaction rapide sur des attaques dont vous n'avez aucun moyen de prévoir le timing ni la portée (dédicace à l'oeuf qui se casse sur le bord de l'écran, au rayon laser du bateau, aux pattes du diable et à tous les autres qui se reconnaitront). En gros vous commencez par la phase 3 citée précédemment. Si vous ajoutez les problèmes de lisibilité avec laquelle vous bataillez pour distinguer ce qui est un projectile, un résidu, un élément du décor ou une passerelle, cela rend les premières morts complètement gratuites. Alors vous allez "apprendre" dans le sens où vous allez mémoriser les attaques mais il ne s'agit pas d'un système de progression intelligente, c'est du conditionnement. En fait pour rendre leur jeu compliqué les frères Moldenhauer n'ont fait qu'appliquer deux préceptes relativement classiques: réduction de l'espace, réduction du temps, en forçant sur la moins élégante, à savoir la deuxième.
Le tout résulte que chaque victoire de boss tient plus du soulagement que de l'accomplissement. Alors s'il est si frustrant pourquoi tout le monde, y compris ses détracteurs, persévèrent pour en voir le bout ?Cette réplique de Jack Nicholson dans Wolf explique bien la chose.
Vous êtes très belle et vous pensez que les hommes ne s'intéressent à vous que parce que vous êtes belle, mais vous voulez qu'ils s'intéressent à vous pour ce que vous êtes. Le problème est que toute cette beauté mise à part vous n'êtes pas très intéressante. Vous êtes impolie, vous êtes hostile, vous êtes maussade et renfermée. Je sais que vous voulez que quelqu'un dépasse tout ça et découvre la vraie personne derrière mais la seule raison pour laquelle quiconque prenne la peine de dépasser tout cela est parce que vous êtes belle. Ironique n'est-ce pas? D'une manière étrange vous êtes votre propre problème.
Le principal moteur de Cuphead est d'ordre esthétique, on continue le jeu pour la beauté de ces animations, pour découvrir les prochains boss, leurs différentes phases (et à ce titre l'avant-dernier est particulirement réussi) en dépit d'un gameplay basé sur la répulsion de son joueur.