Avant de rentrer dans le vif du sujet, une précision sur ce qui n'est pas abordé dans cet article. Soit tout ce qui se rapporte au jeu (le gameplay, les bugs, l'intelligence artificielle vraiment artificielle...) ou à sa commercialisation (la campagne marketing, les promesses non tenues...)
Beaucoup de jeux proposent une histoire pour soutenir la progression, ici à mon sens, il s'agit plutôt d'une histoire avec un jeu comme support. Le récit m'a suffisamment marqué pour me donner envie d'en parler avec, je l'espère, un regard différent de ce que vous pourrez lire ailleurs.
Attention, ce texte révèle énormément du scénario, passage obligatoire pour explorer son approche symbolique.


Le jeu commence, indépendamment d'une des trois origines choisies, dans la peau d'un mercenaire, dénommé "V", caressant l'espoir de devenir une légende de Night City, impitoyable jungle, terrain de jeu des mega-corporations. Dans ce train d'enfer, gravissant péniblement les échelons de la "street cred", un coup d'envergure qu'il ne pourra pas refuser, va enfin lui donner l'occasion tant espérée de "rentrer dans la cour des grands" Dérober une "bio-puce" créée par la toute-puissante société Arasaka. Sans surprise, la mission déraille et V perd son meilleur ami et partenaire "Jackie" ainsi que sa propre vie dans l'anonymat d'une décharge publique. Sa mort active la puce à laquelle il s'était connecté avant le moment fatidique, et ce, dans le but de préserver l'intégrité de l'appareil. Cette dernière contient l'engramme du défunt Johnny Silverhand, rocker légendaire dont l'attaque menée sur la tour Arasaka quelques 50 ans plus tôt a laissé une trace indélébile. Ce programme va irrémédiablement installer la mémoire de Johnny dans la psyché de V jusqu'à faire le disparaître. Commence dès lors un écumage de la ville à la recherche de solutions pour sauver non pas sa peau, mais son esprit. Une quête qui questionnera notre position subjective et le sens que l'on peut donner à une vie. À ce titre vous pourrez lorgner du côté de "collateral" de Michael Mann; voyage initiatique où un taxi biberonné au rêve américain de bas étage se retrouve malgré lui chauffeur d'un tueur professionnel. Cette irruption divine aux côtés d'un esprit étriqué forcera le héros à sortir de son carcan idéologique et prendre son destin en main.


Dans Cyberpunk 2077 la mort de V fait office d'éveil. Le personnage était-il vraiment vivant auparavant ? À l'instar de "Collateral", on pourrait pencher pour un vivant-mort, dans le sens où son corps est vivant, mais son esprit mort; guidé uniquement par l'instinct de survie et les fantasmes de gloire. Ce sont ces pistes que le jeu va explorer et nous amener à clore le récit en choisissant parmi les modalités d'existence suivantes : vivant-mort, mort-vivant, mort-mort ou vivant-vivant. C'est le cœur même du voyage que propose cyberpunk. Le punk n'a pas été oublié et le joueur n'est pas brossé dans le sens du poil, il doit composer avec Johnny qui l'insulte, le met face à ce qu'il est. Les premiers contacts avec l'esprit de Silverhand sont d'ailleurs pour le moins houleux et le héros tente de supprimer cette présence extérieure à l'aide de médicaments, tout comme nous nous abreuvons de divertissements propres à nous anesthésier en enfilant les jours jusqu'au bout du fil. Ce n'est pas avec le monde extérieur qu'il doit se battre, mais bien avec son rapport au monde.
Cet engramme n'a pas d'existence propre, ce n'est que la copie d'une mémoire. Dans le cas présent une idée sous la forme d'un "Jiminy criquet" nourrit à la sauce Nietzschéenne enjoignant d'arrêter de convoiter la grandeur et d'être la grandeur. Aucune position morale, plutôt un questionnement éthique. Le rocker représente le surgissement de l'inconscient dans un éclairage pleins phares, telle une sortie de caverne platonicienne aux airs de gueule de bois. Une secousse existentielle ("Rocking"). En témoigne la phrase récurrente du héros "i'm gonna puke" quand la puce s'emballe, la vision se trouble, l'écran tremble. Est-ce le programme qui rend malade ? Ou le malaise d'une vérité à laquelle nous n'aurions pas été préparés ?


Le paradoxe de Cyberpunk 2077, est de mettre le joueur face à sa propre existence dans le parangon du divertissement contemporain, ce qui n'est pas sans rappeler le jeu vidéo qui élève les consciences des "Technopères", tel un virus qui viendrait réveiller les neurones fatigués de notre cerveau. Au sein de ce théatre intérieur, vivre ou mourir deviendra secondaire; d'ailleurs V mourra à court terme quoi qu'il arrive, bien qu'une des issues laisse planer plus de doutes que les autres. Je passerai sous silence les quêtes secondaires, elles servent avant tout d'approfondissement du thème principal.
Au fil de l'histoire, se développera ce dialogue intérieur, jusqu'à travailler d'un commun accord ou s'antagoniser dans une détestation mutuelle. Dans l'espoir de se sauver, le joueur devra à faire face à Arasaka, incarnation de l'ennemi de l'esprit. La société détruit les corps et duplique leurs esprits en les stockant à l'intérieur de Mikoshi, la prison des âmes. Avant l'inévitable affrontement final, s'offrent plusieurs choix en partie conditionnés par l'évolution de la relation avec Johnny et certaines quêtes annexes. Indépendamment de la progression, les possibilités resteront peu ou prou les mêmes. Ne rien faire et finir mort-mort, opter pour le suicide, disparaître sans combattre. Vivant-mort en coopérant avec la mega-corporation d'Arasaka afin de trouver un soin et au passage renforcer son hégémonie. Pire encore une des sous-branches propose d'être numérisé indéfiniment et de renoncer à tous ses droits avant de trouver un nouveau corps. Mort-vivant en laissant Johnny prendre notre place et faire ressusciter la copie numérique d'un défunt. Vivant-vivant en acceptant la condition fragile et incertaine de notre existence; humain avant tout. Ce qui soulève la dernière question. Et nous dernière notre manette, où est notre esprit ?

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le 4 janv. 2021

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