Épicentre de toutes les crispations vidéoludiques de cette fin d’année, Cyberpunk 2077 est la cathédrale de tous les rendez-vous manqués. Bienvenue à Night City, agglomérat sans inspiration de tout ce que le cyberpunk a toujours su offrir : cimetière d’obélisques bétonnés aux néons criards, Vegas du stupre et de la violence, enfer libertarien du futur des années 80. C’est un jeu qui échoue tout en ne tentant rien, l’ambition mégalomaniaque d’une immersion filmique qui se fracasse contre le mur de ses mécaniques vidéoludiques.
Car Cyberpunk 2077 reprend ce qu’il y a de pire dans le RPG : des barres de vie et des statistiques aberrantes qui encouragent une optimisation dénuée de sens. C’est un jeu de rôle sans personnage, où la promesse d’incarnation déraille dès les premiers dialogues : V est un héros pré-écrit, plat et vaguement cynique, déchiré entre une absence de personnalité et des choix qui sont tous des nuances de la même réponse. Et c’est tout le réalisme plastique qui s’effondre à chaque pop-up de dégâts et autres min-max burlesques.
Prouesse technique d’un open world ultra-urbain que personne n’a jamais demandé, Night City est un terrain de jeu dont la verticalité dissimule mal la platitude. Ville-morte avec ses foules de zombies aux comportements factices, c’est un désert urbex au contenu solipsiste, un hub géant où rien ne se passe sans vous. Des passants générés procéduralement escortent votre errance jusqu’à la prochaine quête, sans jamais interagir ni brusquer le joueur. Car Night City est la ville du crime où vous êtes le seul vrai malfrat, et la police aussi réactive qu’omnipotente.
C’est donc à vous de chercher vos quêtes dans ce parc d’attractions solitaire, aussi nombreuses que désespérément inconséquentes sur la ville, dussent-elles impliquer des élections municipales ou un tueur en série. Compartimentées à l’extrême, ce sont des micro-expériences qui auraient pu être instanciées tant l’absence de persistance les émancipe du reste du jeu. Rarement originales, la soigneuse mise en scène de leurs nombreux embranchements en demeure l’intérêt principal. Des embranchements hélas surtout déterminés par des choix de dialogue où, sans personnage et sans enjeux, toutes les options se valent.
Cyberpunk tient en effet souvent plus du visual novel que du FPS, tant l’interaction avec le jeu est limitée. Sorte de contre-Breath of the Wild, rien n’est systématisé : chaque embranchement de quête a été placé là, à la main, dans la douleur, à tenter de se parer contre toute errance du joueur, sans jamais y parvenir. C’est un jeu de couloir qui ne fait pas illusion malgré les prétentions du marketing. Tout le budget du monde ne saurait remplacer la combinatoire d’un gameplay systémique par des embranchements de scripts : c’est un monde ouvert de murs invisibles.
De son manque d’ambition vidéoludique à ses personnages punks de salon, Cyberpunk est une expérience superficielle, inhibée par l’investissement existentiel de son développeur. Limité dans tous ses aspects, il rate ses phases d’enquête, échoue à faire jouer le Net, loupe son mini-jeu de hacking : il ne parvient même pas à intégrer le cyberpunk de son titre dans ses mécaniques. Et pourtant, le titre propose une expérience fluide et plaisante, un long plan-séquence à la plastique irréprochable. II rate tout mais la concurrence fait encore pire : au moins possède-t-il ce supplément d’âme si désespérément absent dans cette industrie.
Cul-de-sac vidéoludique, son plus grand péché est de n’avoir rien su proposer. C’est une superproduction déjà anachronique, la démonstration de l’incohérence structurelle du RPG à plus de 300 millions de dollars. Rétro-futuriste jusqu’à son game design, Cyberpunk 2077 est un jeu aussi agréable à parcourir que décevant à explorer. Ni Red Dead Redemption 2, ni Breath of the Wild, il ne parvient pas à réinventer un open world à bout de souffle. GOTY de l’année 2012, aucune mise à jour ne pourra sauver ce titre déjà daté. La postérité en sera l’ultime juge : car dans dix ans, c’est The Witcher 3 dont on se souviendra.