Dark Souls III
8.4
Dark Souls III

Jeu de FromSoftware, Hidetaka Miyazaki et Bandai Namco (2016PlayStation 4)

Mélodie d'un opéra sans bruit, écho d'une solitude infinie

Dark Souls III n’est pas simplement un jeu, c’est une œuvre d’art. C’est une aventure dans un monde où la souffrance et la beauté s’entrelacent, où chaque pierre, chaque silhouette, chaque éclair est empreint de signification. Dans ce tableau vivant qu’est le royaume de Lothric, FromSoftware a créé bien plus qu’un simple jeu vidéo : ils ont forgé un univers qui, loin d’être une simple toile de fond, devient un personnage à part entière. Loin de l’action frénétique ou de la satisfaction immédiate des jeux modernes, Dark Souls III nous invite à pénétrer dans un monde où la vérité ne se donne pas mais se cherche, et où chaque rencontre, chaque geste, chaque défaite participe à la grande quête du sens.

Ce monde, ce n’est pas juste une succession de niveaux ou de zones à explorer : c’est un royaume en ruine, une grande fresque d’une époque mourante, une histoire racontée dans ses décombres et ses silences. Le jeu n'est pas seulement un challenge mécanique, c'est une expérience sensorielle, où l’atmosphère se tisse à chaque pas que l'on fait dans les ombres. Chaque coin de ce monde brisé raconte une histoire que le joueur doit reconstruire pièce par pièce, comme un puzzle fragmenté d’une époque révolue. Il n’y a pas de vérités absolues, seulement des fragments d’histoires, des personnages égarés dans le temps, des quêtes inachevées. Et c'est là que réside toute la profondeur du jeu : dans sa capacité à transformer chaque élément en symbole, chaque objet en clé de lecture d’un monde complexe et mystérieux.

Le lore de Dark Souls III est tout sauf anecdotique. Chaque détail du jeu, du nom des personnages aux petites descriptions d’objets, nous invite à nous immerger dans une mythologie vaste et ambitieuse, qui n’a rien à envier à celles des plus grands romans de fantasy. Dark Souls est une épopée où chaque geste et chaque mot ont un poids. Les personnages, qu’ils soient alliés ou ennemis, ne sont jamais là par hasard. Ils incarnent tous des métaphores, des fragments d’un tout qui se meurt. Yhorm le Géant, le Prince Lothric, ou même Pontiff Sulyvahn, sont autant de figures tragiques dont les destins se croisent dans une danse macabre, donnant au jeu un air de tragédie grecque où le personnage principal n’est pas un héros, mais un être errant à la recherche d’une vérité qu’il sait inaccessible. C’est une quête de sens dans un monde qui a déjà perdu le sien.

Le jeu nous place face à une solitude écrasante, une solitude non pas parce que l’on est isolé dans un monde désert, mais parce que ce monde lui-même est trop vaste pour nous. Ce n’est pas seulement un environnement grandiose et impitoyable ; c’est une immersion dans une réalité où l’être humain, aussi courageux soit-il, reste insignifiant face à la grandeur d’un univers qui nous dépasse. Dark Souls III nous impose de faire face à cette immensité et de trouver notre place dans ce monde qui semble nous exclure à chaque instant. Mais c’est justement cette solitude, loin d’être un fardeau, devient une invitation à la réflexion. Car, paradoxalement, c’est dans cette immensité et dans cette frénésie que le joueur trouve la clé de sa propre réussite. Chaque victoire, chaque petite avancée est une victoire personnelle contre la réalité, une réponse silencieuse à un monde qui ne se soucie pas de nous.

C’est là que Dark Souls III se distingue des autres jeux de fantasy : ce n’est pas une histoire de héros qui se relève pour sauver le monde. Ce n’est pas une épopée où la lumière triomphe sur les ténèbres. C’est une lutte intime contre soi-même, un face-à-face avec ses propres limites et une acceptation de l’impermanence. Chaque combat, chaque boss, chaque adversaire que l’on affronte devient une partie de ce processus de transformation. Et c’est là que réside la beauté ultime du jeu : ce n’est pas l’histoire d’un personnage qui sauve le monde, mais celle d’un individu qui trouve sa place dans un monde déjà condamné. Dark Souls III nous demande de chercher une signification là où il n’y en a peut-être plus, et de célébrer la victoire, non pas sur un ennemi extérieur, mais sur notre propre résignation.

Le jeu est une contemplation. Une contemplation de la décadence, du déclin, de l’inévitabilité de la fin. Et pourtant, malgré cette noirceur, il y a dans cette finitude une forme de beauté indéniable. Le tableau vivant de Dark Souls III est à la fois magnifique et désespéré, comme une œuvre d’art qui nous fait face à la fin des temps, sans jamais nous offrir la consolation d’un « happy end ». Mais cette quête sans fin, cette marche solitaire à travers un monde trop grand pour nous, est paradoxalement ce qui nous pousse à avancer, à continuer. Il n’y a pas de salut facile ici, et c’est peut-être pour cela que, paradoxalement, Dark Souls III nous touche autant : il nous montre la grandeur de l’effort solitaire, la beauté de la lutte personnelle dans un monde voué à la ruine.

En fin de compte, Dark Souls III est un culte de la Dark Fantasy, une symphonie tragique où chaque élément se lie parfaitement à l’autre pour former une expérience inoubliable. La musique, subtile mais omniprésente, accompagne cette solitude perpétuelle, devenue le cœur du jeu. Les leitmotivs de chaque personnage ne sont pas seulement des mélodies ; elles sont des extensions de leur existence, de leurs luttes internes, de leurs failles. La musique est une brise persistante qui nous suit tout au long du jeu, une mélodie douce et monotone, presque imperceptible, mais pourtant toujours présente, comme un écho de la douleur silencieuse du monde dans lequel nous évoluons. Nous en venons à l’accepter, à nous y habituer, malgré son caractère oppressant. Cette petite mélodie semble presque vouloir nous fuir, et pourtant, c’est elle qui reste, comme la trace indélébile de nos pas solitaires à travers les ruines de Lothric.

À côté de cette constante, il y a ces grands opéras majestueusement orchestrés qui accompagnent les affrontements avec les boss, des compositions grandioses, dont l’intensité ne fait qu'annoncer notre défaite inévitable. Chaque boss, à sa manière, a sa propre partition, une musique qui semble surgir de l’âme même de la créature qu’il incarne. Ces opéras ne sont pas là pour annoncer l’arrivée d’un ennemi, mais pour marquer notre propre déclin. La musique douce et mesurée d’un boss raffiné, méticuleux dans sa manière de nous détruire, contraste avec la brutalité sans compromis des combats contre des adversaires plus féroces, où les instruments à cordes, à vent et à percussion s’unissent dans une violence sonore, comme l’annonce d’une bataille où la beauté et la brutalité coexistent. Ces morceaux ne sont pas seulement des musiques de fond : elles sont le reflet de l'âme des ennemis, une forme de prémonition de la manière dont ils vont nous anéantir, mais aussi un miroir de notre propre vulnérabilité face à la grandeur de ce monde.

Mais c’est dans l’histoire de ces personnages, à la fois uniques et interdépendants, que réside toute la profondeur de Dark Souls III. Chacun d’entre eux porte en lui une quête de tranquillité, un désir de fuir un devoir qu’il n’a pas pu accomplir. Les personnages ne sont pas là simplement pour remplir un rôle ou pour servir de palliatif aux mécaniques du jeu. Ils sont des êtres profondément marqués par leur passé, leur solitude, et leur échec. Dans cette quête de paix, ces personnages ont fuit leur responsabilité et sont devenus des âmes perdues, hantées par leur propre intransigeance, leur propre échec. Et nous, le joueur, nous sommes leur bourreau. Ce n’est pas par vengeance ou par intérêt que nous les affrontons, mais parce que nous sommes l’incarnation de l’inexorable. Nous sommes leur rédemption, leur jugement, et leur punition, dans cette quête sacrée de faire face à ce qu'ils ont fui.

Les boss ne sont pas simplement des obstacles à surmonter pour avancer dans l’histoire. Ils sont l’incarnation de cette quête du sens, de cette fuite, et de cette solitude que nous partageons avec eux. Ils ne nous attendent pas dans une position passive. Nous ne sommes pas seulement des aventuriers cherchant à les vaincre pour passer à la suite. Nous sommes les intrus, les visiteurs indésirables, qui viennent défier une tranquillité que nous ne comprenons pas. Et dans cette confrontation, le fil du lore, aussi imperceptible soit-il, reste solidement ancré. Il traverse le jeu, et tout comme ces personnages qui fuient leur propre destinée, ce fil ne se rompt jamais, même si nous l’ignorons parfois. Le monde, bien que fragmenté et désintégré, continue de nous guider dans l’ombre. Nous comprenons rarement les vérités qu’il nous révèle, mais elles sont là, toujours présentes, comme un souvenir douloureux qui ne cesse de ressurgir. Ce fil, silencieux mais indestructible, est la trame qui maintient ce monde en vie, qui le relie à nous, à nos épreuves, à nos erreurs. Il est la continuité d’un destin que nous n’avons jamais demandé, et pourtant, nous ne pouvons nous empêcher de le suivre.

Ainsi, dans Dark Souls III, nous devenons, sans le vouloir, les gardiens d’une histoire trop grande pour nous. Nous ne comprenons pas tout, et pourtant, c’est nous qui avançons à travers ces brèches du temps, confrontés à des histoires qui nous échappent, mais qui, en même temps, nous appartiennent. Nous sommes l'intransigeant de ce jeu, et nos ennemis sont les victimes de cette intransigeance, une intransigeance qui vient de ce fil imperceptible, mais indestructible, qui nous pousse à avancer, à comprendre, et surtout, à continuer. Dans ce monde magnifique et cruel, dans ce tableau vivant d’une beauté à la fois sublime et désespérée, Dark Souls III ne nous offre pas de réponse facile. Il ne nous dit pas si le monde a un sens, mais il nous montre, par la musique, par les combats, par les personnages, que dans cette quête solitaire, il y a une forme de grandeur : la beauté d'une lutte personnelle contre un monde qui nous dépasse. Et c’est peut-être là que réside toute la profondeur de ce chef-d'œuvre : dans cette quête d’une vérité impossible, dans cette expérience de la solitude, et dans cette éternelle danse entre la lumière et l’obscurité.

LIAMUNIX
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le 23 déc. 2024

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