À l'origine publié sous la forme d'un mod pour Half-Life 2 en 2008, Dear Esther est très souvent considéré comme LE premier walking simulator. Je précise cela parce que ce détail à son importance. En effet, depuis 2008, si le genre n'a pas grandement évolué (sommairement, on reste sur de la marche associée à de la narration), il n'y a pas eu non plus pléthore de titres pouvant être intégrés à cette catégorie : Journey, Gone Home, The Beginner's Guide, The Vanishing of Ethan Carter, Virgnia, pour ne citer que quelques-uns des jeux du genre auxquels j'ai pu jouer. Dear Esther Landmark Edition a donc beau avoir été publié en 2017, il ne faut pas oublier qu'il se positionne comme une sorte de précurseur face aux titres sus-cités.
Encore une fois, je pense que c'est important de prendre en compte cette précision, car malheureusement, Dear Esther n'est peut-être pas aussi impactant aujourd'hui qu'il ne pouvait l'être à l'époque de sa sortie. En tous cas, pour ma part, j'ai été déçu par l'orientation du jeu, par les choix effectués par les développeurs. L'un des plus problématiques, selon moi, est la volonté de perdre le joueur. En effet, l'un des objectifs souhaités par les développeurs était de brouiller le joueur, faire en sorte qu'il n'y ait pas de réponses précises aux questions qu'il pouvait se poser. C'est un procédé que je n'appréciais déjà pas trop dans Her Story et que j'apprécie encore moins ici. Je ne suis pas contre une part de mystère, mais si c'est juste pour perdre le joueur face à une multitude de questions auxquelles même les développeurs ne peuvent pas répondre, alors je n'en vois pas l'intérêt.
Du coup, à partir de là, je n'ai pas prêté autant attention aux mystères entourant l'île que ça : par exemple, les nombreuses inscriptions murales renvoyant à des formules chimiques ont finies par me passer complètement au-dessus de la tête. En fait, n'ayant aucun véritable puzzle à assembler, je n'ai à aucun moment souhaiter rassembler les pièces difformes entre elles.
Ça ne veut pas pour autant dire que tout est à jeter, loin de là. Déjà, les développeurs ont conçu l'île comme un personnage du jeu. Pour le coup, sur le papier, il n'y a pas grand-chose à leur reprocher tant elle arrive à nous rejeter malgré l'émerveillement qui peut émerger lors des premières minutes de jeu : l'île semble morte et est très polluée, presque corrompue… mais paradoxalement, il y a des moments où je voulais être sur cette île, la foulée de mes propres pieds, vivre là-bas. C'est très simple, Dear Esther est typiquement le genre de jeu "carte postale" dans lequel vous allez prendre une capture d'écran toutes les deux minutes.
Les musiques, même si elles ne me marqueront pas, restent toutes agréables à écouter, elles savent rester discrètes et faire plus de bruits lors des moments opportuns : l'un des points forts du titre.
En jeu, c'est déjà plus critiquable. Outre le fait que les inscriptions murales ne soient pas traduites en français, il y a de nombreux murs invisibles pas forcément très clairs à délimiter (une pierre de 30 centimètres de hauteur pouvant nous bloquer) : ce qui est paradoxal quand on sait que les développeurs souhaitaient donner le sentiment inverse. Par corollaire, on est face à quelque chose de très linéaire, très balisé, avec peu "d'à-côtés". C'est difficile à dire, mais il manque quand même un petit quelque chose à la direction artistique pour que ce soit vraiment parfait. De toute façon, certaines parties de l'île paraissent plus vides que d'autres, se révèlent moins intéressantes à explorer.
Enfin, "exclusivité" de cette Landmark Edition : le troisième chapitre est bogué. En effet, dans ce chapitre-là, l'avatar se met en mode speedrun et traverse les niveaux à la vitesse de la lumière… pas vraiment raccord avec le côté WALKING simulator tout ça.
N'ayant pas joué aux précédents versions de Dear Esther, je ne vais pas pouvoir établir une comparaison précise entre les différentes versions. En tous cas, cette Landmark Edition laisse au joueur la possibilité de faire l'intégralité du jeu avec les commentaires des développeurs : une excellente chose, malheureusement encore trop peu présentes dans le monde du jeu vidéo. Outre les commentaires pertinents des développeurs, cette Landmark Edition rajoute quelques lignes de dialogues pour le doubleur du personnage principal, Nigel Carrington, qui fait, au passage, un travail formidable. À noter aussi que, contrairement à un jeu tel que Les Chevaliers de Baphomet, les dialogues rajoutés avec cette version ne jurent pas avec l'ancien doublage : on pourrait croire que tout a été doublé en même temps.
Les walking simulator étant relativement peu nombreux, en plus d'être plutôt courts, il m'est impossible de déconseiller Dear Esther. Cependant, je dois bien avouer que j'aurai du mal à le conseiller pour autant. En fait, on pourrait ranger les jeux du genre en deux catégories : ceux dont la narration est ce qui marque le plus d'un côté, ceux dont l'ambiance est ce qui marque le plus de l'autre. Pour le coup, Dear Esther a beau tenter de jouer sur les deux tableaux, je trouve qu'il ne ressort réellement dans aucun d'entre eux. En termes de narration, Gone Home ou les titres développés par William Pugh et Davey Wreden s'en sortent bien mieux, se révèlent plus subtils et plus complets. En terme d'ambiance, un Vanishing of Ethan Carter explose le titre dont il est question ici tant l'exploration de sa carte est d'une jouissance de tous les instants (oui !).
J'ai beau saluer l'initiative, j'ai l'impression que Dear Esther ne restera pas dans les annales (quoiqu'à 80 € et avec des DLC, il aurait pu)… mais n'est-ce déjà pas le cas ? Déjà aujourd'hui, j'ai l'impression que le titre a tendance à être oublié, y compris par les fans du genre. Et puis, j'ai beau ne pas encore avoir joué aux autres titres du studio, je n'ai pas l'impression qu'ils ont vraiment réussi à progresser, à transcender le genre qu'ils avaient pourtant créé… j'ose tout de même espérer que l'avenir me donnera tort.