Artificial Neural Network
Notre façon d'expérimenter la réalité est une conséquence directe de la structure de notre réseau neuronal. En lieu et place d'une expérience mémorielle et réflexive factuelle, listée et structurée, la sélection naturelle a opté pour le modèle plus hasardeux, imprévisible, encore bien incompris et indiscutablement plus efficace, d'un système de liaisons en continuelle relecture et réécriture. Plus ou moins conscients de son fonctionnement, il est à l'origine de notre constante création de parallèles entre la réalité ressentie et différents niveaux plus ou moins complexes de notre interprétation de celle-ci.
Toute conception artistique ou travail de fiction emprunte à ce système, en étant discutablement la conséquence ou la cause, et fonctionne avec une apparence, un contexte, qui ne sert que d'enveloppe à symboles, images, métaphores et références où l'on trouve l'intérêt réel d'une oeuvre. Leur nature abstraite, incertaine et où l'intentionnalité fait parfois question permet nombreuses et diverses interprétations individuelles à la recherche d'un sens cohérent, d'un message ou peut-être de son écho.
Aujourd'hui, je veux défendre le contexte.
C'est l'enchaînement d'évènement qui constitue une histoire, c'est la juxtaposition de couleurs qui crée une image, c'est la pure et simple réalité traitée par nos sensations avant d'être envoyée dans la machine infernale. C'est ce qui appelle à notre conscient, la structure apparente dans laquelle la véritable identité de l'oeuvre s'inscrit. Cette apparence "qui en cache beaucoup plus" est notre connexion sincère entre la réalité et l'oeuvre.
Et souvent, elle est mise de côté car jugée sans importance. Traitée comme le vaisseau-hôte d'un message qui, dans l'idéal, n'a pas de visage, l'apparence est tour à tour méprisée car elle n'est que le premier degré accessible à tous ("la masse ignorante") d'un ensemble qui en comporte beaucoup plus, ou même délaissée dès la conception par toute tentative "purement artistique", comme dans ce Dear Esther.
Regorgeant de symboles appelant à une réflexion réellement intéressante et complexe sur la nature de l'heure que constitue l'expérience du jeu, Dear Esther manque cruellement d'un contexte, comme un index guide structurant la narration pour empêcher qu'il ne soit autre chose qu'une pléthore indigeste de symboles en profusion ; et également comme un lien avec le joueur permettant d'insuffler une impression d'attache et donner la si douce illusion qu'une part de l'expérience est personnelle.
Car après tout, existe-t-il une réalité tangible quelque part, ou l'accident est-il lui même une métaphore pour quelque chose de plus enfoui encore ?