Cela n’a jamais été un mystère, Death Stranding aura toujours été un mystère. Dernier né du Kojima, que l’on pourrait vulgairement qualifier de David Lynch du jeu vidéo, ce nouveau soft risque forcément de diviser, fort d’une impeccable symétrie. Autant la presse spécialisée se montrera prétendument « objective », autant le reste des joueurs saura plutôt faire parler la sincérité et l’instinctivité (comme il est l’usage ordinaire). Alors des retours dithyrambiques çà et là, des insultes bien moins élogieuses de l’autre côté ; autant dire que le résultat est bien hétéroclite. Il faut dire qu’après un Phantom Pain bien peu bavard, Kojima revient à ses habitudes prolixes et c’est bien là l’une des raisons d’une telle césure entre les différents avis…


Death Stranding va donc parler. Énormément parler, c’est certain. Il va même tellement causer que le scénario, l’intrigue, les personnages et tout le toutim vont indéniablement passer au premier plan tandis que la jouabilité, les graphismes ou encore l’ergonomie générale restera sur le banc de touche. Mention spéciale pour la musique qui, si la qualité demeura l’idée de chacun, aura fait l’effort d’un intense travail et soin pour son incorporation ; Kojima oblige, le tout sera blindé de références à David Bowie sans l’ajouter et le japonais usera de son nouveau chouchou a.k.a Low Roar (groupe américano-islandais à l’ambiance chill-rock) pour nous ambiancer pendant l’entièreté du jeu. S’il l’on s’arrête ici sur la bande-son, c’est également pour souligner que les paroles des différentes chansons passementant le jeu font éternellement écho à l’histoire. Tant mieux pour les anglophones, tant pis pour les réfractaires de la langue de Dylan Moran. Mais alors, tout ça, c’est super mais que raconte ce fameux jeu ? Eh bien, on sait pas trop. De fait, il y a eu (non pas une apocalypse) mais une catastrophe d’origine supposément extraterrestre ayant provoqué un énorme chamboulement mondial. Plus aucune communication entre les différents pays, pour commencer mais aussi à l’intérieur des nations elles-mêmes. Du coup, c’est pas jojo. Le décor est donc celui des UCA (mais c’est les USA, en fait, vous inquiétez pas), l’Union des Cités d’Amérique en bon froncoys, qu’il faudra parcourir en long, en large, en travers et en diagonale afin de reconnecter les divers postes d’observations entre eux. Vous incarnez donc Sam Porter Bridges (oui, absolument tous les patronymes des personnages ont une double signification jusqu’à Cliff Unger) qui va devoir jouer les postiers entre les checkpoints. D’abord récalcitrant car l’ambition du projet est trop lourd pour ses pauvres petites mains, Sam va accepter sa mission des lèvres de la Présidente du country elle-même (attention, ça déconne pas) et partir en voyage. Pourquoi faut-il faire tout cela ? Eh bien, parce que c’est le boxon dehors. Pour tout dire, il existe une race d’extraterrestres invisibles (mais repérable grâce à vos bébés virtuels sur lesquels on reviendra) qui cause d’énormes cratères quand ils tuent quelqu’un ou même lorsque quelqu’un tue un autre quelqu’un. Et on suppose donc qu’avec une meilleure unicité, l’humanité pourra s’en tirer. Et encore, on a déjà trop dit.


Comment les choses se présentent donc pour jouer les facteurs ? Chaque aire d’autoroute vous confiera missions principales et secondaires, ici rien de révolutionnaire, qui consisteront à délivrer un ou plusieurs colis. Bien sûr, l’on peut accepter plusieurs quêtes mais cela rendra la tâche d’autant plus ardue. Car oui, il va falloir le porter le bazar (bah, on s’appelle Sam Porter, t’as compris ou pas ?), donc forcément, il va falloir gérer son inventaire. Et plus l’inventaire est chargée, plus les déplacements seront lourds, difficiles et demanderont dextérité, selon les péripéties, afin de s’en sortir. Heureusement, au fil de l’aventure, des véhicules vous seront confiés et il sera même possible d’en chaparder aux ennemis. Pas les aliens invisibles faits de pétrole mais des humains renégats (eh oui, ce serait trop facile, sinon) qui vous essayer de vous piquer la marchandise transportée. Pour les confronter, vous aurez également tout un arsenal (létal ou non) qu’il faudra fabriquer vous-même ou ramasser aux quatre coins de la carte. Et puisque l’on parle de fabriquer et que l’on a déjà évoqué les connexions à rétablir, passons au grand intérêt du jeu. Kojima avait prédit qu’il inventerait un nouveau genre, pari réussi ? Alors, peut-être pas dans les faits mais dans l’idée, c’est certain que l’on aura rarement vu cela. Sans compétition aucune, il va falloir interagir avec les autres joueurs. Dans le texte, vous n’êtes pas le seul facteur du pays, vous vous en doutez et vos homologues sont représentés par les autres joueurs. Vous pourrez ainsi déposer des panneaux pour les aider (indiquer un refuge, un passage secret, un danger…), construire des structures (à plusieurs parce que les matériaux sont conséquents) comme des checkpoints temporaires, de quoi recharger les batteries de son équipement, des échelles ou encore des cordes ! Tout est bon pour se faciliter la tâche ! On peut même bâtir tout une autoroute ! Ou alors faire des conneries comme montrer un raccourci aux autres alors que c’est un cul-de-sac déferlant d’ennemis. Mais, heureusement ou non, pour reconnaître les aménagements les plus intéressants, un compteur de likes (oui) sera intégré à chaque construction. Vous pourrez vous faire liker et liker les autres. Mais c’est tout. Juste liker. Petite critique d’un Facebook/Twitter exacerbé par l’instinctivité du commentaire et du angry, sad, laughing react ? Sûrement.


Alors, tout ça, c’est bien beau, un jeu qui rend les missions colissimo sympas, c’est génial mais pourquoi tant de polémiques ? Évidemment, la « polémique », c’est un grand mot. C’est le mot que les médias vous envoient dans la tronche, relayant des citations de Kojima hors-contexte, parce que ça fait vendre du clique. En réalité, la polémique est moindre, il s’agit juste d’un projet très ambitieux, très prétentieux (mais ne faut-il pas de la prétention pour progresser et, d’ailleurs, en quoi est-ce foncièrement mauvais ?) mais surtout très abscons. Du moins, en l’apparence. Effectivement, on va peut-être partir dans le premier jeu symboliste grand publique avec ses notes d’existentialisme et de métaphysique. Là où un MGS2 ou un Bioshock ne faisaient que réfléchir le prisme d’une philosophie existante (et avec brio). On y voit aussi une ode au relativisme (bien moins acceptable en occident qu’en orient) avec ce système de Grève. Pour exemple, la Grève (pas celle de la CGT, calmez-vous les prolétaires) est une plage. Bon. Voilà. Mais une plage qui fait office de purgatoire et selon l’équation, il est hautement probable d’y rester coincé ; entre vie et mort (c’est le cas de Sam Porter afin de justifier vos échecs). Voyez cela comme une passerelle que l’on peut traverser dans un sens comme dans l’autre. La mort, pour Kojima, n’est donc plus une fin en soi (imaginez juste le… BORDEL si ça arrive dans notre monde rationnel) mais le plus fort c’est que cette Grève ne sera jamais la même selon l’individu. Nous pouvons ainsi y voir la représentation d’un individualisme nécessaire devant une société grandissante qui s’échine à prévaloir la force du groupe, invoquant morale préfabriqué et objectivisme, au détriment de l’intérêt de l’individu. Si même la mort est relative (comme le temps mais c’est à découvrir au fil de l’aventure) alors… qu’est-ce qui pourrait ne pas l’être ? Les portes sont, certes, déjà enfoncées et la révolution est terminée depuis la dernière mondialisation mais la critique d’une société globale, prétendant trouvant sa force dans l’union collective, est bien là. Mais Kojima sait qu’un esprit qui raisonne se retrouve forcément en contradiction avec lui-même alors il tente de dresser, à côté, un joli portrait de la force collective avec ce système de structure à s’échanger entre joueurs. L’ironie, pour le japonais, est que le monde ne fait point progresser les Hommes à ne plus se sentir seuls, bien au contraire. Paradoxe contre paradoxe, donc mais cela ne serait-il pas le propre de l’Humain ? C’est l’une des théories de Death Stranding. Mais, là où le bât blesse pour certains, c’est que l’histoire n’explique rien. Elle ne fait que raconter, effleurer et suggérer. Et le peuple n’apprécie que trop guère demeurer sans réponse. Alors, Death Stranding est-il un bon jeu ? Ah, vous allez être dégoûté. Disons que…


Alors, il est tout de même impossible d’épiloguer ce texte sans mentionner la présence des acteurs de renom incarnant les différents personnages que ce soit Norman Reedus, Léa Seydoux (et c’est pas une blague) Mads Mikkelsen ou encore Guillermo Del Toro et Nicolas Refn (les deux derniers étant simplement scanés par soucis de planning). S’en aller jusqu’à comparer le jeu au cinéma comme le font certains journalistes ô combien intelligents, il est vrai que l’ajout de ces vedettes ainsi que leurs performances respectives offrent une certaine dimension frôlant le réalisme et accentuant le propos du jeu. Alors, oui, le jeu reste obscur, occulte, presque ésotérique et côtoie parfois le nanar (comme toujours avec Kojima mais on le connait, maintenant) mais il conserve la bonne grâce de proposer quelque chose rarement vu auparavant (lentement et légèrement amorcée par les Souls), un truc qu’il fallait oser, de la nouveauté dans un univers vidéoludique où l’on se noie dans les TPS narratifs ennuyeux et les blockbusters sans saveur. C’est déjà ça.

Djokaire
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le 28 nov. 2019

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