Les annonces des jeux d’Hideo Kojima ont toujours une saveur particulière. La révélation officielle de Metal Gear Solid 5 était totalement ébouriffante en termes de mise en scène, et les différents trailer de Death Stranding n’ont pas dérogé à la règle. Il était donc impensable pour moi de passer à côté de ce jeu si intriguant au fil des présentations cryptiques à base de corps nus pleurant sur une plage. Et les premiers retours manette en main qui faisaient état d’un « simulateur Colissimo » ne m’ont pas découragé.
A l’arrivée, après plus de 130 heures passées à livrer des colis dans des conditions épouvantables, je ne suis vraiment pas déçu du voyage.
Tout d’abord la proposition initiale de gameplay, qui consiste à livrer des colis d’un point A à un point B avec des contraintes plus ou moins importantes liées à la géographie, la météo, les ennemis, le temps, la fragilité ou la température, peut paraître inintéressante au possible : pourtant celle-ci se révèle être une source de satisfaction sans pareille. La préparation du chargement et de l’itinéraire, les difficultés de trajet, les imprévus menant parfois à la catastrophe, tout cela vise un seul but : la satisfaction du client et donc celle du joueur, matérialisée par des « likes » pouvant paraître comiques en début de partie, et qu’on balance à tout bout de champ au bout d’un moment, espérant être « liké » en retour.
Ces likes sont notamment liés à une idée ingénieuse : un multijoueur asymétrique, qui nous fait ressentir la présence de centaines d’autres porteurs autour de nous. Des porteurs qui subissent les mêmes épreuves que nous, mais qui ont œuvré au bien commun en construisant ici un pont, là en réparant une route ou en posant une échelle bien placée, salvatrice à certains moment cruciaux où l’équipement nous manque pour finir une commande. Une fois que nous avons compris l'intérêt des constructions des autres joueurs, nous n'avons qu'une hâte : pouvoir aider à notre tour les autres porteurs, jusqu'à l'orgie de likes.
Toutes ces petites attentions sont autant de remèdes à la solitude qui transpire durant toute la partie. La solitude du porteur, seul avec ses livraisons face à la dureté d’un monde en ruines dont il est le seul à pouvoir recoller les morceaux. Seul ou presque : un petit compagnon nous accompagne durant notre périple, un « Brise-brouillard » ou BB, petit bébé qui nous aidera à éviter les spectres qui hantent ces Etats-Unis qui ne le sont plus, et qui menacent de réduire à néant les quelques poches de population restantes. Au fil du jeu et des péripéties, un lien fort se crée entre le héros (et à travers lui le joueur) et son BB, compagnon de route prenant petit à petit une place centrale dans l’existence de notre protagoniste, « Sam Porter Bridges » (Incarné par Norman Reedus, éternel Daryl de The Walking Dead, qui n’a pas vraiment besoin de faire évoluer son jeu d’acteur au vu des rôles qu’on lui propose).
Ce dernier est missionné par la présidente des UCA (United Cities of America, équivalent post-apocalyptique des États-Unis) d’une mission cruciale : reconstruire les UCA en reliant un à un tous les relais disséminés dans le territoire, afin de rebâtir un réseau et refonder une nation qui pourra lutter ensemble contre toutes les menaces qui pèsent sur l’humanité. Je ne vais pas retracer ici l'imposant scénario, qui comporte (Hideo Kojima oblige) son lot de cinématiques de 45 minutes et d’explications complètement abracadabrantesques, dans lesquelles sont nichées quelques fulgurances de narration qui justifient d’aller au bout de cette aventure impeccablement mise en scène, avec une bande son judicieusement choisie. Mais malgré les longueurs de certaines séquences disséminées aux moments cruciaux, l'histoire sait aussi se faire discrète pendant une grande partie du jeu, et s'effacer pour laisser place aux bonnes vieilles livraisons. Et si d’aventure vous voulez vous plonger totalement dans l’univers du jeu, des centaines d’entretiens écrits sont à récupérer au fil du jeu afin d’étendre le « lore » et d’étayer la critique de la société ultra-connectée actuelle, débouchant dans Death Stranding à une société complètement atomisée, symbolisée par son héros ayant développé une phobie du contact humain.
Death Stranding est une œuvre impressionnante par ses moyens et son casting XXL (Outre Norman Reedus, on y retrouve Léa Seydoux en mystérieuse alliée et surtout Mads Mikkelsen à la fois terrifiant et poignant) mise au service d’une histoire captivante mais qui reste toutefois au second plan, supplantée par sa proposition de gameplay :une réinterprétation de la « quête Fedex », marronnier du RPG ici érigé en jeu à part entière. Une œuvre qui n’est évidemment pas exempte de défauts, notamment une physique des véhicules vous faisant maudire tout trajet en camion n’ayant pas lieu sur une route goudronnée. Mais une œuvre qui sait transporter les joueurs par le simple fait de transporter des colis. Une œuvre qui fera date et qui laisse espérer une carrière post-Metal Gear Solid florissante à Hideo Kojima.