Death stranding et moi, c’est une histoire compliquée qui vient de se conclure dans une fin violente. Pas la fin du jeu, non. Mais au bout de vingt ou trente heures, je jette l’éponge. J’en peux plus. Cette aventure n’est pas pour moi, pas possible. Ça n’avait pourtant pas mal commencé. La version PS5 tournant à la perfection, sans temps de chargement, le jeu est détaillé, fluide, agréable. Dès le début, on est plongé dans un univers qu’on devine riche, construit jusque dans ses moindres détails, encore qu’on retrouve aussi, très vite, les manies de Kojima dans l’écriture de personnages, énigmatiques jusqu’à l’os pour des révélations décevantes alliant trahisons, masochisme et modifications corporelles (subies la plupart du temps). La grève, les échoués, le réseau chiral, le jeu nous plonge dans un monde captivant, avec ses arc-en-ciel à l’envers, sa vision dérangeante du rôle des BB, sa dévastation, le drame qui s’y joue à chaque instant.
Mais aussi bavard, trop bavard, lourdingue, un Norman Reedus trop présent, on l’incarne, on le voit, il nous montre des trucs dans un clin d’œil brisant le quatrième mur d’une manière aussi peu subtile qu’inutile, on le montre sous tous les angles, toutes les coutures, dans toute la palette de l’absence d’émotion comme seule émotion dont il semble capable.
Et puis lourd, il l’est aussi quand on le dirige. L’essentiel du jeu consistant à se déplacer d’un point A à un point B en portant des trucs sur le dos, toujours plus de trucs, de plus en plus lourds, de plus en plus loin, toujours pareil, la même rengaine, dans des décors escarpés, des reliefs accidentés, il faut faire des détours longs comme un jour sans pain, monter, descendre, prendre une échelle, une corde, tout ça pour livrer un colis. Et il faut le faire et le refaire encore, des tas de fois, avec pour seule motivation cette histoire dont on se détache petit à petit, la faute à des ficelles scénaristiques pénibles et scolaires, et ce système d’évolution micrométrique, inspiré, dans son échelle, des free to play (qui consistent à nous faire évoluer moins vite que la difficulté pour inciter à mettre la main à la poche, ce qui n’est pas le cas ici, on peut pas mettre la main à la poche, mais on ne profite jamais vraiment des avantages obtenus, qui ne sont que des moyens de pallier, et encore, les nouveaux obstacles qui s’amoncellent : la côte, la pluie, les monstres, les colis qui s’abîment, le temps qui file…).
Norman n’est pas réactif, c’est un balourd qui perd l’équilibre, qui tombe qui souffle. Les véhicules ont besoin d’énergie, genre tout le temps, ils sont inutilisables sur la plupart des zones accidentées ou les reliefs importants, on tombe, il faut s’équiper, mais les équipements s’usent, et les armes se vident, il faut les reconstruire, il faut réparer, remplacer, on est en constante insécurité. C’est peut-être voulu, mais c’est insupportable, ça gâche tout plaisir de progression. Quand on pénètre une zone d’échoués, on stresse. Si on s’approche trop près d’eux, on meurt, la map, déjà éclatée, le devient encore plus et il faut recommencer. Les combats n’ont que peu d’intérêt, voire aucun, que ce soit contre les mules, les échoués ou les gros monstres, en dépit du dynamisme de la mise en scène, le farming prend trop de place et de temps, on est abreuvé tout le long de notes et de mails à lire, des textes longs et techniques et bavards et prétentieux et compliqués, trop compliqués, dans une interface dont l’illisibilité confine au génie du mal. Le jeu est rempli ras la gueule de tous ces éléments, de contenus, de dialogues, de missions fed-ex (notez là l’ironie d’un jeu qui a pour coeur de gameplay tout ce qu’on reproche aux autres jeux en monde ouvert), et n’a plus de place pour un pan essentiel des jeux vidéo : le plaisir de jouer.
Alors Death Stranding, à regret, je ne le finirai pas. Tant d’heures sans plaisir, c’est du masochisme, ou des cours de biologie au lycée et j’ai passé l’âge. J’ai une vie, j’ai pas le temps d’en perdre autant. Je ne le relancerai pas. Je l’abandonne, lui, Norman, sa présidente retenue prisonnière, ses mecs qui portent un masque, ses fœtus outils, ses échoués reliés par leur cordon ombilical à un monde étranger, ses motos à trois roues, ses tyroliennes du futur et son urgence de sauver les rescapés de la fin du monde. Un peu à regret, mais aussi soulagé de pas devoir y retourner.