Avec sa direction artistique atypique, Decarnation semblait incarner l'exemple parfait du jeu indépendant qui libéré des carcans d'un éditeur un peu trop regardant, oserait s'attaquer frontalement à des sujets que l'on ne trouve pas nécessairement ailleurs. Ce n'est certainement pas avec ce qu'Atelier QDB promettait sur leur page produit Steam que la hype allait redescendre avec je cite "un gameplay diversifié, mêlant explorations, puzzles, action, mini-jeux et infiltrations" s'inspirant"des meilleurs jeux horreur-aventure et survival horror" et de "films cultes, de David Lynch (Mulholland Drive) ou Satoshi Kon (Perfect Blue)". En lisant cela, j'étais presque déjà convaincu et les trailers aguicheurs ont presque fini par me convaincre, mais le coup final ayant été l'annonce de la participation de Alt 236 et Yamaoka-san à la BO, notre YouTuber préféré grand musicien à ses heures perdues en collaboration avec le compositeur de Silent Hill, imaginez.
Ne tenons-nous pas alors là tous les éléments pour la découverte d’un grand jeu d'horreur ? Sans aucun doute, mais encore fallait-il que les ambitions soient à la hauteur des dires, ce qui n'est ici clairement pas le cas.
Au lancement, Decarnation nous accueille avec un message dès plus intrigant, nous avertissant que les thématiques qui nous seront présentées ici sont déstabilisantes. Tout en restant méfiant de ce type de message bien trop confiant pour le propre bien des développeurs, c'est avec enthousiasme que je me lance.
Mon sentiment après ces six heures sur Decarnation reste tristement sans appel, j’ai l'amère sensation de m'être fait rouler dans la farine comme un vulgaire amateur. Quand on décide d'accueillir les joueurs via un message d'avertissement de cette nature, le tout est d'assumer et surtout assurer derrière. Avec Decarnation je n'ai trouvé qu'une œuvre creuse, ne maniant pas avec intelligence les références qu'elle dit s'inspirer. Avoir le courage, ou la malhonnêteté, de citer des œuvres si vénérées pour son marketing demande de les interpréter avec justesse, hors Decarnation ne connaît pas la subtilité et c'est avec ses gros sabots qu'il viendra faire comprendre aux joueurs telle ou telle référence.
Je ne peux qu'aujourd'hui m'inscrire en faux face aux nombreuses critiques dithyrambiques, trouvables sur SC ou ailleurs, se contentant d'aligner aveuglément les superlatifs sans développements concrets.
Decarnation est construit sur un marketing efficace, j'ai pourtant été un des premiers artisans pour la transmission de ce message sur SC et je le regrette, mais ce projet qui a soit disant été conçu au cours de quatre longues années, donne l'impression d'avoir été plutôt pensé par une équipe amateure ou sur un temps partiel, dans le sens où il est difficile à croire qu'après de si longues et certainement dures années de développement, le résultat final ne propose que si peu.
Si Decarnation repose sur une idée intéressante, que je me réserve de divulguer ici, l'ambition du jeu, qui va de la découverte de Gloria notre protagoniste, en passant par sa descente en enfer, et ce, jusqu'à son rebond, ne se construit qu'autour de quelques lignes de dialogues et de trop rares décors 2D. Du début jusqu'à la fin, je n'ai eu que très rarement le sentiment de découvrir de nouvelles choses. Dans son ensemble, Decarnation recycle sans vergogne les asset, les décors (certes réussis), les musiques et le gameplay, ce qui nous offre une proposition finale bien pauvre, éloignée d'œuvres qui ont pourtant été produites par des personnes seules ou plus petites équipes.
Cela peut être adoucis si vous n'avez pas encore décidé de regarder un trailer de Decarnation, car sinon en un sens vous avez déjà tout vu ou presque, les moments "marquants" ayant tous été déjà outrageusement dévoilés. Pour une aventure si courte, c'est une erreur fatale, ou un plan marketing judicieusement millimétré pour tromper le joueur, allez savoir, mais mon choix se porte sur la deuxième proposition.
L'écriture, si elle souhaite s'inspirer des plus grands, Lynch en tête, ne propose malheureusement rien de transcendant. Comme j'évoquais plus haut le protagoniste de l'histoire va lentement dépérir, en milieu hostile, et les affres du temps et les malheurs de notre personnage ne sont pas transmis de manière efficace au joueur. Le jeu étant assez pauvre en animation, mise en scène ou même en ambiance sonore, il est bien difficile de se sentir investi. L'écriture peu subtile et jonchée de nombreux problèmes d'affichage de Français (un comble) ce qui n'aide pas nécessairement à ressentir l'enfer que peut vivre Gloria, hormis si vous avez vous-même était victime du mal qu'elle subit, mais dans ce cas, vous ne seriez pas en capacité de lire cette critique.
Là où Perfect Blue ou même Silent Hill, pour reprendre leurs "références", manient avec hauteur des thèmes profonds et dérangeants, Decarnation n'ose pas aller au bout de ses idées, comme hanté par une peur de secouer Twitter ? Une œuvre qui se veut subversive et nous prévient de la nature dérangeante de son histoire à son lancement ne se pose pas ces questions, il faut aller au bout quitte à choquer mais dans une société occidentale où tout est prétexte à un bad buzz, il est bien difficile d'égaler les maîtres du genre japonais, libéré de toutes pensées judéo-chrétienne. Les références au Japon aussi subtil qu'un concours de Cosplay à la Japan expo n'y changeront rien.
Cinq minutes de Perfect Blue m'auront bien plus dérangé et souillé que Decarnation dans son entièreté.
Même l'exploration du subconscient de Gloria et son combat contre elle-même manque de profondeur. Silent Hill 2 n'avait pas besoin de nous narrer des choses incompréhensibles via ses personnages pour faire semblant d'être intelligent et complexe, son travail était plus insidieux et subtil, ici Decarnation pense jouer dans la cours des grand en racontant bien des choses, mais qui misent bout à bout ne mènent à rien, bien plus qu'un Lynch, c'est face à une fin de saison de Lost à quoi j'ai eu affaire…
Abordons le mot magique, l'horreur, le fourre-tout pour attirer le chaland, et cela via un simple tag sur Steam vous voilà catégorisé de jeu d'horreur aux côtés de vrais classiques du genre.
L'horreur est un sentiment très personnel où chacun possède un seuil de tolérance et sensibilité différent, cependant pour Decarnation j'ai du mal à catégoriser celui-ci en jeu d'horreur, d'autant plus en tant que survival horror, ce qui est simplement un mensonge. Decarnation ne possède aucune mécanique de survie, j'insiste bien sur ce point, à moins qu’éviter quelques “monstres” dans une partie de jeux de lumière pendant quelques secondes ne permette de rentrer dans cette catégorie, alors je m’incline...
Chacun sera juge de le qualifier cette œuvre de genre "horreur" mais il aurait été alors judicieux pour les développeurs de ne pas réduire à néant le mythe des monstres qu'ils ont créé avec un superbe happy end ou l’on se contente de parler à ceux-ci dans une boite de nuit (véridique) au détour de conversations hallucinées. Et si vous avez une explication sur ce que Silent Hill vient faire ici alors je suis tout à fait preneur, la présence de Yamaoka-san ne peut être décemment utilisé en porte-drapeau de la légitimité.
Le gameplay pour sa part est inexistant ou presque. En-dehors de quelques épreuves d'esquive et de jeux musicaux vous demandant d'appuyer sur la croix directionnelle (passionnant….) rien de bien renversant vous sera proposé. Les rares puzzles n'ont rien de complexes et surtout ne servent pas le propos du jeu, semblant même parfois être hors contexte hormis dans la tête de l'architecte de Decarnation certainement. Je peux simplement m'arrêter là tant la partie "gameplay" est vierge d'intérêt.
Je finirai sur une note plus positive concernant la musique, si elle peut manquer de cohérence avec ce qui semble être un rafistolage de dernière minute avec l'arrivée de notre cher Yamaoka-san (ses musiques n'étaient pas présentes durant la démo), reste que dans l'ensemble la BO est très entrainante et globalement réussie. Les interventions de plusieurs groupes donnent un cachet hétéroclite à l'œuvre, jonglant habilement entre les moments dramatiques et plus joyeux. Alt 236 fait le taf et Yamaoka-san impose son style, même si l’investissement semble faible au regard de l’ampleur de l’OST.
Alors, oui, j'aurai pu tout autant aligner les phrases de complaisance à l'égard de Decarnation, comme il est de coutume pour les jeux indépendants français. Mais ce n'est pas le cas et contrairement à un certain test de Canard PC ou son autrice se permet d'apparaître au générique de fin du jeu, mais se garde bien de le préciser dans son test, vous l'aurez compris, je ressors très amère de Decarnation, qui n'est pour moi qu'une coquille vide emballé dans un enrobage des plus délicieux, mais qu'une fois ouvert ne laisse que très peu de place aux surprises.
Decarnation reste jolie, mais tout cela aurait bien pu figurer dans un livre illustré que ça n'aurait pas drastiquement changé la proposition finale.
À qui s'adresse vraiment ce jeu ? Je ne le sais pas, et je suis le premier attristé de devoir en parler avec ces mots, mais cette œuvre semble dirigé en direction d'une sphère très restreinte, parisienne vous avez dit, pour qui partir dans le sud de la france en R5 décapotable sonne comme un voyage en Sibérie (vous comprendrez en faisant le jeu) et se sent secouée par le fait d'avoir vu un sein qu'on ne saurait voir sur un sprite 16bit.
L'horreur, mes amis, l'horreur.