Comme tout bien culturel, le jeu vidéo n'échappe pas au phénomène de masse. Ainsi, il suffit qu'un jeu fasse un carton (dans les ventes, bien sûr), pour qu'une série de clones sorte à plus ou moins brève échéance. Si je vous parle de cela, c'est parce que Deep Fear s'inscrit exactement dans ce mécanisme.
Pour mieux comprendre, il faut revenir au moins deux ans plus tôt, à la sortie de Resident Evil, premier jeu d'une longue série qui aura révolutionné un genre jusqu'à présent plutôt confidentiel : le survival horror. Qui se souviendrait des premières tentatives françaises d'Alone in the Dark, s'il n'y avait pas eu la déferlente du jeu de Capcom en 1996 ? Enfin, bon, il n'est pas question ici de la saga de Capcom, ni de ses déclinaisons (Onimusha, basé sur le même pricipe de représentation visuelle, mais au Japon médiéval), ni des tentatives d'Infogramme de reprendre le flambeau. Non, il s'agit plutôt de détailler la réponse de Sega à la fuite des éditeurs tiers de la Saturn (Resident Evil 2 n'est jamais sorti sur cette console, alors que le premier avait eu un temps le statut d'exclusivité, avant de passer multi plateforme et de sortir sur Playstation). Afin de contrer l'offre ludique plétorique sur la console de Sony, Sega devait donc être au four et au moulin, pour créer des licences rivalisant en qualité avec celles de la concurrence.
C'est dans ce contexte tendu et morose (la Saturn sera définitivement abandonnée par Sega quelques mois plus tard) que sortiront quelques jeux phares de cette période. Malheureusement, Deep Fear aura manqué de peu ce statut, et se retrouve maintenant oublié de la grande majorité des joueurs.
Trève de palabres, passons plutôt au jeu en lui même. Placé dans une base sous-marine à la Abyss, le joueur incarne une sorte de militaire à la musculature surdéveloppée (et à la tête minuscule) qui doit lutter contre la propagation d'un virus particulièrement dangereux et transmissible qui tranforme les êtres humains en monstres purulents. Ca donne envie, non ? Franchement, je crois qu'il vaut mieux passer rapidement sur le scénario digne d'une série B (des années 90) passant sur NRJ12.
Car ce qui nous intéresse plus tient ici en quelques points. Il y a tout d'abord l'atmosphère, vraiment bien rendue, que ce soit à travers les graphismes 2D qui sont clairement dans la moyenne haute de ce qui se faisait sur Saturn, et surtout à travers la bande son : entre les bruitages efficaces et les musiques de Kenji Kawai dont certaines sont vraiment sympa, on ressent assez bien l'inquiétude des lieux.
Il y a ensuite un truc tout bête, mais que je n'ai jamais retrouvé sur d'autres jeux du genre : un maniabilité intuitive. Alors que les autres survival horrors optent pour des commandes subjectives (un bouton pour avancer, on tourne à droite ou à gauche, un bouton pour reculer), les développeurs de Deep Fear ont choisi, eux, de faire appel au stick analogique pour nous permettre de déplacer le personnage dans la direction souhaitée de manière immédiate. C'est peut être tout bête, mais c'est une des raisons pour lesquelles Deep Fear est le seul jeu avec ce genre de représentation que j'ai terminé (un personnage en 3D se déplace sur des décors fixes en 2D).
Enfin, la direction artistique est des plus honnêtes, avec des choix de caméra pas trop mauvais, un découpage scénaristique bien ficelé et un rythme qui ne retombe jamais.
Mais bon, soyons clairs, la vraie bonne idée de ce jeu est bien évidemment d'avoir choisi cette base sous-marine isolée, cadre propice au huis clos. Entre le silence pesant, l'absence de liaisons avec l'extérieur et la quasi impossibilité de sortir de cette base sous-marine (de mémoire, on doit pouvoir faire quelques aller-retours en scaphandre, mais rien de plus), difficile de ne pas se sentir un peu oppressé. Plus d'ailleurs que les monstres rencontrés (pas très virulents, pas très tenaces, d'autant moins que l'on trouve des munitions en abondance), c'est le sentiment de solitude qui fait qu'on peut vraiment accrocher à ce jeu et y prendre pas mal de plaisir. Par contre, ce plaisir sera d'une durée assez courte pour le genre, malgré les deux disques du jeu (sans doute pour les cinématiques), et il n'y a pas vraiment de moment où l'on souffre pour réussir un passage qui serait plus délicat.
Ne jouant pas tout à fait sur le même registre que Resident Evil (moins sur la peur, sur la gestion de l'équipement, mais définitivement sur un sentiment d'oppression et de solitude), Deep Fear aura donc été une réponse sympatique mais pas renversante. Pas assez en tout cas pour attirer les regards du grand public, mais ceux qui possèdent une Saturn à l'heure actuelle peuvent quand même y jeter un coup d'oeil. Ils pourraient bien trouver un jeu dépassé sur certains points, mais franchement pas désagréable à jouer.