Un brouillon encore imparfait pour un concept audacieux et prometteur

Au fil des années je suis devenu fan des Dark Souls et de leurs dérivés plus ou moins assumés, c’est pourquoi je suis revenu sur ce premier épisode de la saga avec lequel j’ai découvert cette formule sans avoir su l’apprécier à ce point à l’époque. Est-ce que c’est parce que ce Demon’s Soul n’était pas encore bien abouti ou parce que je n’avais pas encore bien compris la portée du jeu et son intérêt ? C’est en fait un peu un mélange des deux pour être honnête, voyons ça plus en détails. La critique étant longue je vous propose ce remix de Maiden Astraea, de la mélancolie avec quelques envolées, à l’image du jeu.



GAMEPLAY / CONTENU : 7 / 10



Demon’s Soul arborait déjà un game-design qui ne sera pas beaucoup modifié par la suite de la saga, après un prologue vite fini par notre mort inévitable qu’importe notre skill, on se retrouve dans le nexus, un hub central avec marchand, dépôt, forgeron... d'où l'on peut aller dans cinq mondes différents avec en général un premier donjon et son boss, un second et son boss... et un boss final. Il n'y a que 3 ou 4 checkpoints par monde (après le boss), on peut mourir très vite et la mort nous fait perdre nos âmes (points d'expérience et monnaie) que l'on ne peut récupérer que si on revient à l'endroit où l'on est mort sans mourir à nouveau en chemin. Demon's Souls est donc un jeu qui mettra à l'épreuve les nerfs du joueur à bien des reprises, ce n'est pas un mythe.


Tu te perds dans un labyrinthe depuis 30 minutes, c'est pas grave tu refais le tour jusqu’à trouver le passage encore inexploré, tu viens de glisser dans un ravin avec toutes tes âmes en poche, c'est pas grave tu pourras toujours les farmer de nouveau, tu viens de te faire tuer par un boss alors que t'as même pas eu le temps de voir à quoi il ressemblait, c'est pas grave tu as autant de tentatives que tu veux, tu n'arrives pas à faire de dégâts au boss, c'est pas grave tu finiras par trouver une solution efficace à force d’essayer... Ce n'est ni la chance, ni le talent qui détermineront la victoire finale mais bel et bien la patience car rien dans Demon's Souls n'est insurmontable même si certains passages sont laborieux, même si certains fails feront rager, ce n'est pas un jeu véritablement difficile, contrairement à sa réputation.


Il y a deux choses que j'ai trouvé génial dans Demon's Souls et qui se répéteront d’épisode en épisode : les combats et le level-design. Pour les combats, il faut savoir qu'il y a différentes catégories d’armes (hache, masse, lance, épée, faux...) et chacune de ces catégories se manie vraiment différemment au sein d'une panoplie d'actions très complète avec coup faible / coup fort, coup après sprint, coup après roulade, coup après bond arrière, à une main / à deux mains... en plus des différentes magies mais j’avoue largement préférer les combats avec une arme. Pour le level-design, les donjons sont très bien étudiés avec des pièges vicieux mais repérables par l'observation, des raccourcis utiles que l'on est heureux de découvrir, des points de vue nous permettant d'avoir une vue d'ensemble du niveau, des items à glaner poussant à l'exploration...


J'ai beaucoup aimé découvrir et explorer les environnements du jeu. Le système punitif dû à l'absence de checkpoints réguliers s'avèrent ici très bénéfique à l'expérience pour le coup, ce sentiment gratifiant de compter chaque nouvelle pièce explorée par rapport au try précédent ne se retrouve pas dans beaucoup de jeux, loin de là. Ce concept était vraiment audacieux car à contre-courant des grosses productions vidéoludiques à cette époque, balisant et segmentant la route à suivre, et j’adore certains éléments de cette proposition. Malgré tout, Demon’s Soul est à mes yeux et avec le recul un brouillon pour la suite car il contient beaucoup d’erreurs qui le rendent un peu obsolète au sein de sa saga.


Il y a pas mal de frustration née pour de mauvaises raisons dans cet épisode : une mauvaise gestion des emplacements d’archipierre qui implique de faire de trop longs et frustrants allers retours jusqu'au boss pour retenter sa chance et en crevant quand on glisse dans le vide ou qu'un ennemi sur le passage nous y pousse ; un système de forge excessivement complexe, mal expliqué et pas très ergonomique qui implique des recherches internet pour tout comprendre et de longues séances de farming pour chopper des matériaux ; un poids maximum que l’on peut transporter qui se combine très mal avec le fait qu’abandonner des items sur le sol revient à les perdre définitivement quand on revient dans le niveau ; un système de tendances de monde incompréhensible et pourtant essentiel pour finir le jeu à 100 % ; la mécanique des herbes comme consommables de soin qui génère beaucoup trop phases de farming rébarbatives et déséquilibrant le jeu...



RÉALISATION / ESTHÉTISME : 7 / 10



Si la cinématique d'introduction toute en image de synthèse est absolument splendide et promet du lourd, techniquement le jeu est loin d'être une tuerie, ce n'est pas moche bien sûr mais c'est dans la moyenne et ce n'est pas toujours fluide. Certains monstres en grand format et en grand nombre en arrière-plan ont une animation saccadée et certaines zones comme les marécages démontrent par moment des chutes de framerate assez violentes qui handicapent pas mal le plaisir de jeu. Heureusement, on peut quand même faire état d’un soucis du détail appréciable ici et là, par exemple quand on est en forme spectrale on ne fait pas de bruit de pas.


Deux années et demi se sont écoulées entre la sortie de la Playstation 3 et celle de Demon’s Soul qui en est une exclusivité, l’excuse du jeu sorti en début de vie de la console est moyennement justifiée, je rappelle que l’année 2009 est aussi l’année d’Uncharted 2 qui a montré ce que la console était capable de faire. Je pense que le jeu aurait dû au moins être à 30 FPS constant vu l’exigence requise lors de certains passages qui en deviennent donc assez pénibles incontestablement pour de mauvaises raisons. Même si encore une fois, ce n’est pas catastrophique, juste en deçà de ce que l’on pourrait attendre dans le contexte de sa sortie.


Le jeu profite pour compenser ce bilan technique moyen d'une très bonne direction artistique au service d'un univers dark fantasy glauque duquel la saga ne s’éloignera jamais : des gobelins mineurs dans une forge étouffante, des zombis putrides dans un marécage dégoûtant, des squelettes guerriers dans des ruines délaissées, des bouffons bourreaux au rire à la Kefka, des spectres poulpes dans une prison labyrinthique... il y en a pour tous les goûts toujours dans cette ambiance dark fantasy, difficile de trouver une ambiance similaire dans d'autres jeux avec autant de classe.


Cette ambiance peut aussi compter sur une bande-son discrète pour l'immersion et quelques musiques mélancoliques ou épiques pour certains boss afin de leur conférer une certaine identité, un parti pris que je trouve tout à fait pertinent. Ces mêmes boss sont également très impressionnants dans leur design, nombreux tout en étant variés. Je me souviens encore de ma première rencontre avec le chevalier de la tour qui n’a rien à envier à un colosse de Shadow of the Colossus de ce point de vue-là, et ce n’est vraiment pas rien d’être à la hauteur, sans mauvais jeu de mots, d’une telle référence.


En somme, un bilan technique perfectible est ici compensé par une direction artistique efficace, de la même manière que pour tous les petits soucis du gameplay compensés par le concept audacieux et prometteur que le jeu porte. Reste à savoir si l’en est de même pour le scénario et la narration à moins qu’elles aussi ne soient frappées par la malédiction d’avoir de bonnes choses à faire valoir sans qu’elles ne soient systématiquement contrebalancés par certains problèmes plus ou moins dérangeant.



SCENARIO / NARRATION : 6 / 10



Si Demon’s Soul ne peut s’empêcher de se distinguer de la masse quant à sa réalisation, son esthétisme ou ses mécaniques de jeu, on peut établir le même postulat de base pour sa narration quant à elle très environnementale et morcelée ou pour son scénario quant à lui très sombre et se moquant de l’impact que le joueur espère y avoir. Le scénario prend forme principalement via quelques PNJ qu'on croise ici et là qui pourront s'avérer être de précieux alliés comme de terribles traîtres mais le fait est qu'ils n'ont pas beaucoup de lignes de dialogue, cela combiné au mutisme de notre personnage extrêmement passif quand il ne se bat pas.


Beaucoup d’éléments importants doivent être compris en regardant les décors, le design des ennemis, les descriptions des items... C’est une volonté affichée de la part du game-designer du jeu qui aime en rappeler les origines dans cette anecdote : « Petit, j'adorais lire des histoires un peu trop complexes pour mon âge, et je passais des heures à faire des recherches pour essayer de décrypter les passages ou les mots que je ne comprenais pas. Si je n'y parvenais pas, je finissais par laisser mon imagination combler les zones d'ombre. » C’est exactement ce que nous sommes amenés à faire avec cette narration en tant que joueur.


Quand c’est bien fait ça peut à la fois laisser le joueur libre de suivre ou non l’histoire selon son envie et lui offrir une vraie histoire intéressante narrée de façon à captiver son intérêt pour qu’il interprète plein de petits détails motivant également la rejouabilité du titre pour toujours en découvrir de nouveaux. Mais là c’est pas très bien fait j’ai trouvé, parce qu’il y a beaucoup trop de passages qui sont vraiment trop pauvres en informations notamment, même comparé à certains Souls sortis plus tard et même en ayant à l’esprit la volonté artistique originale.


J’ai rarement été assez captivé par le jeu pour essayer de comprendre ce qui peut bien s’y passer et trop souvent j’ai creusé pour me rendre compte qu’au final l’histoire n’est pas très élaborée, je trouve par exemple trop facile le prétexte qui a poussé Allant à rencontré l’ancien. Une histoire pas très élaborée mais au moins assez audacieuse là encore car elle se permet d’être très sombre sans laisser la possibilité au joueur d’en changer systématiquement le cours, on peut par exemple comprendre qu’un archi-démon n’est pas si mauvais que ça mais on sera tout de même obligé de le tuer, ou plutôt de la tuer en l’occurrence, pour poursuivre la quête principale du jeu. Pour ceux que ça intéresse, voici la partie la plus intéressante de l’histoire et la mieux narrée du jeu racontée par l’excellent vidéaste Vaati Vydia (spoiler garanti mais pas sur la trame principale).


Les quêtes annexes entièrement intégrées au gameplay constituent un autre parti pris audacieux mais malheureusement peu abouti, on croise un PNJ qui combat des monstres, si on l’aide dans la pratique il nous remerciera et nous filera une récompense et des informations, ce qui est très sympa, mais si le script est aussi compliqué à comprendre en théorie qu’à appliquer dans la pratique ça marche assez mal. Or, c’est le cas de la plupart des quêtes autant pour les déclencher que pour les mener à bien, ceci combiné à l’impossibilité de recharger une partie antérieure (concept que j’ai en revanche toujours regretté).


D’autres jeux arborent une telle narration et le font mieux en racontant une histoire bien plus intéressante et riche, Demon’s Soul est encore un premier jet ici qui s’améliorera par la suite mais je dirais que c’est l’aspect le plus brouillon d’entre tous, des bonnes idées originales mais noyées dans des écueils et mal présentées. Ce qui est d’autant plus dommage que ça peut réellement avoir un sacré potentiel mais j’apprécie plus ce que le scénario aurait pu être que ce qu’il est réellement, ce qui est tout de même un peu problématique.



CONCLUSION : 7 / 10



Demon's Souls est une aventure éprouvante dans un univers dark fantasy oppressant, l’âme de la saga est là, l'ambiance est là, la satisfaction après un dur combat est là, le maniement riche et bien pensé est là mais la frustration est aussi là et pas toujours pertinente, ajouter à cela quelques soucis techniques, un scénario peu développé et quelques lourdeurs pour un jeu que j'ai finalement bien aimé mais que je n'ai pas non plus adoré, mais la série est loin de se finir avec cet épisode et pour mon plus grand bonheur, ou malheur ça dépend du point de vue.

damon8671
7
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le 10 avr. 2015

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damon8671

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