ATTENTION !
Cette critique révèle de nombreux spoilers sur le jeu ainsi que sur son développement. Si vous n’avez pas joué au jeu ou pas progressé dans l’histoire et souhaitez conserver le mystère, merci de vous rediriger vers une autre critique.
Sur le papier, Destiny avait tout pour plaire. Si le concept du jeu était déjà séduisant, le fait qu’il soit développé par Bungie alimentait de plus belle son attrait. Mais dans la dernière ligne droite précédant le lancement, le jeu changea radicalement de direction et se dota de nombreuses tares en lieu et place des qualités qu’on était en droit d’attendre d’un jeu Bungie.
Pourquoi ? Pourquoi un tel gâchis ? Pour le savoir, nous devons remonter le temps et voir ce qui a été changé, comment et surtout, pourquoi.
Partie 1 : Les voyageurs.
Au cours de l’année 2009, Bungie est aux prises avec deux jeux. Le premier est Halo 3 : ODST, une histoire faisant suite aux évènements d’Halo 2 et précédant ceux du troisième opus (sorti en 2007). Le second est Halo Reach, dernier jeu liant Bungie à Microsoft. Après avoir annoncé sa séparation du géant de Redmond deux ans plus tôt, Bungie devait développer ces deux derniers jeux pour remplir intégralement son contrat. En plein développement de ces deux jeux, les têtes pensantes du studio commençaient déjà à imaginer leur future licence. Un mélange entre FPS et MMO dans l’espace. Un jeu de shoot futuriste massivement multijoueur qui casserait les codes établis et créerait un nouveau standard. Le pari était audacieux et risqué mais Bungie était de ces studios qui transforment les challenges irréalisables en pures merveilles. En fait, on pouvait penser que, venant de Bungie, rien n’était impossible.
Nous avons eu un avant-gout de ce qui allait devenir Destiny dans Halo Reach. Pour la première fois dans un jeu Halo, on pouvait incarner qui on voulait, notre personnage n’ayant qu’un nom de code, on pouvait choisir son sexe et son équipement. Cela rendait l’immersion bien plus importante et Reach est à ce jour le jeu Halo le plus immersif qui ait jamais été créé. Ce même sentiment se retrouve dans Destiny.
L’année 2010 marqua la sortie d’Halo Reach et le chant du cygne des Halo développés par Bungie mais aussi l’annonce du partenariat de Bungie avec Activision sur un contrat de 10 ans avec un financement s’élevant à un demi-milliard de dollars. La scission était faite, Halo venait de perdre ses parents et Bungie pouvait désormais concevoir à plein temps son nouveau bijou.
Mais Destiny, c’est quoi au juste ? C’est à peu près la même question qui a tourné en boucle au sein du studio pendant de longs mois car il n’y avait guère plus qu’un vague concept. Puis Joseph Staten, scénariste et réalisateur vétéran de Bungie mit au point une histoire ainsi que toute une mythologie, basées sur le travail musical de Martin O’Donnell et Michael Salvatori. Le travail des deux compositeurs a été le véritable fer de lance de tout le jeu. Débutée très tôt avec de très vagues informations sur le concept du jeu, la musique conceptuelle de Destiny était en quelque sorte, le premier jet du scénario. Cela a inspiré les scénaristes engagés par Staten dont le travail a ensuite servi de nouvelle base à O’Donnell et Salvatori pour peaufiner leur musique. Pendant la gestation de Destiny, c’est bien ce trio qui était au cœur de la création. La musique inspirait l’histoire qui inspirait à nouveau la musique. Une symbiose parfaite. On aurait préféré que cela reste ainsi.
Partie 2 : Les déchus.
Au milieu de l’été 2013, à quelques mois de la sortie prévue de Destiny (avril 2014), Joseph Staten et son équipe présentèrent aux têtes du studio, un supercut contenant plus de deux heures de cinématiques. Ce condensé dévoilait toute l’histoire et la narration du jeu, c’est tout ce que le joueur verrait et saurait avant, pendant et après les séquences de jeu. On y voyait une histoire dense, riche et complexe, du pur Joe Staten. Le sort de Destiny fut scellé dès la fin de la présentation. Si beaucoup présents à ce meeting affirment depuis que c’est le supercut qui n’était pas bon et non l’histoire du jeu, Jason Jones, lead designer vétéran et co-fondateur de Bungie, lui, choisit de tout refuser en bloc, arguant que l’histoire était trop linéaire. L’histoire complète de Destiny dut être totalement réécrite en quelques semaines. Ce revers magistral entraina le départ de Staten, ce qui entama quelque peu le moral des troupes. Selon des développeurs contactés par Kotaku, le remaniement de l’histoire n’aurait pu être plus chaotique. De nombreux éléments bien ordonnés avaient été déplacés, supprimés, modifiés ou réutilisés sans aucune cohérence et les missions ont toutes été divisées en une suite à la cohésion incertaine. L’histoire écrite par Staten fut vidée de toute sa substance et ses éléments clefs furent soit mis au placard soit réutilisés de façon creuse. Comment l’histoire fut réécrite ? Selon ces mêmes développeurs « On prenait un morceau par ci et on le mettait là » sans qu’il y ait forcément un sens, il fallait juste que le collage ne se voit pas trop.
Le cas Raspoutine.
Raspoutine est un exemple flagrant du changement scénaristique de Destiny. Dans le jeu tel qu’il est sorti, on évoque Raspoutine, un des esprits tutélaires, véritables systèmes de défense mais celui-ci est annoncé comme dormant et recherché par les déchus. Dans la version originale, Raspoutine est un être vivant capturé par la Ruche dans son immense vaisseau et votre mission est de le secourir. Dans cette version, toute la seconde moitié du jeu devait se dérouler à bord du Cuirassé de la Ruche, à la rescousse de Raspoutine. Mais Bungie ne gardera que l’évocation même du personnage et le cuirassé ne fera pas partie du jeu de base (il sera ajouté plus tard dans l’extension « Le Roi des Corrompus »).
D’autres personnages iconiques furent mis au placard, comme Osiris, pensé pour être un mentor du joueur.
Avec tous ces changements de dernière minute, Bungie demanda à Activision de repousser la date de sortie à septembre 2014, ce qu’ils finiront par obtenir. Mais la série de déconvenues pour Destiny ne s’arrête pas là.
Lors de la présentation du jeu à l’E3 2013, Activision remonta le trailer original pour en remplacer la musique, ce qui fut très mal perçu par Martin O’Donnell qui avait travaillé d’arrache-pied pour fournir à Destiny une identité musicale unique et il ne se priva pas de le faire savoir. Ce fut le début d’une longue série de désaccords entre O’Donnell et Activision, avec le reste du studio tiraillé entre les deux parties. Au final, sous la pression d’Activision, Bungie licenciera son compositeur historique en avril 2014 et « oubliera » même de le payer pour son travail et de lui verser ses royalties. Ceci donnera lieu à une action en justice qu’O’Donnell gagnera, récupérant près de 100 mille dollars.
Ainsi, cinq mois avant la sortie de leur nouveau jeu, Bungie se trouvait amputé de deux de ses plus importants membres.
Evidemment, tout cela se ressentit dès les premières heures de jeu.
Partie 3 : Les corrompus.
Lorsqu’on commence Destiny pourtant, tout n’est pas à jeter, loin de là. La cinématique d’introduction nous met directement dans l’ambiance et le début du jeu au Cosmodrome se trouve être véritablement réussi. On est tour à tour émerveillé par la direction artistique, happé par l’intensité et le fun des combats, dans lesquels on retrouve la fluidité et le plaisir des combats de Halo, et au final, bien curieux d’en découvrir plus, beaucoup plus, sur cette histoire qui s’annonce captivante. De la part de Bungie, on s’attend à passer un grand moment de science-fiction.
Et là c’est le drame.
L’arrivée à la Tour et la découverte des rares PNJ donneurs de quêtes constituent la dernière agréable surprise de Destiny.
Les choses se gâteront dès lors que vous vous rendrez sur la carte du système pour choisir une quête.
On vous dit que vous devriez faire la quête « Remise en Etat », à savoir retourner au Cosmodrome et y récupérer des pièces pour permettre à votre vaisseau d’effectuer des voyages interplanétaires. Oui mais voilà, rien ne vous y oblige, vous pouvez faire n’importe quelle quête du moment qu’elle est de votre niveau, même si la quête que vous choisissez de faire évoque « Remise en Etat » comme si vous l’aviez déjà faite…
Ainsi, par peur d’être trop linéaire, la narration de Jason Jones ne l’est pas suffisamment, elle est même carrément bordélique.
C’est pourtant une règle simple, une quête principale scénarisée se doit d’être linéaire, les étapes de quêtes doivent se déverrouiller progressivement, à mesure que vous accomplissez les étapes précédentes sinon l’histoire n’a plus aucun sens. Après, pour les quêtes secondaires, il est évident que l’ordre importe beaucoup moins. Voilà donc le plus grand défaut de Destiny. Ce jeu est magnifique à tous points de vue mais n’a aucune histoire cohérente. Les différentes étapes de l’histoire peuvent être accomplies dans le désordre le plus complet, ce qui rend la compréhension de l’intrigue, quasi-impossible. En bref, c’est une magnifique coquille vide.
Les missions se suivent et se ressemblent. Explorez la zone, tuez des ennemis jusqu’à arriver dans une zone de fin de mission dans laquelle vous n’aurez qu’une vie. Mourrez et vous devrez recommencer cette zone. Puis, une fois l’objectif accompli, la mission s’achève. Toutes les missions de Destiny sont établies sur ce modèle. C’est répétitif et usant. De plus, l’ersatz d’histoire ne trouvant aucun enjeu majeur, on ne fait même plus attention à la narration des missions. On vit, on tire, on meurt, on recommence. Les missions sont accomplies machinalement et défilent aussi vite que les balles de votre fusil automatique (on a autant de mal à se souvenir des unes que des autres d’ailleurs). Le seul plaisir vient du système de loot, assez généreux et des combats qui je le répète, restent très agréables.
Voilà pour l’histoire chaotique de Destiny. En un seul mot, c’est un fiasco.
Le jeu possède par ailleurs des atouts non-négligeables comme sa direction artistique irréprochable, sa musique et ses combats.
Sa musique tiens, parlons-en.
J’ai beaucoup évoqué plus haut, le travail effectué par Martin O’Donnell et Michael Salvatori ainsi que le rôle essentiel que la musique avait joué dans la conception même de Destiny. Tout cela se résume en une pièce, une seule.
Music of the Spheres. Une suite symphonique en huit mouvements se basant sur une conception pré copernicienne du système solaire, dans laquelle la Terre serait au centre du système avec les autres sphères tournant autour. Chaque mouvement de cette suite est ordonné et parle d’un aspect de la narration pour finir sur un huitième et dernier mouvement, final en apothéose suivi de « Hope For The Future », une chanson co-écrite, composée, chantée et jouée par Paul McCartney. Cette œuvre est considérée comme l’essence même de Destiny, une extraordinaire fondation sur laquelle Bungie a développé le jeu. On comprend d’autant plus mal le manque de respect du studio envers son compositeur historique.
La musique en elle-même est un grand moment de science-fiction mêlée à la Fantasy. Quand Gustav Holst rencontre C.S. Lewis, quand les « Planètes » rencontrent « Narnia », selon les propres termes de Martin O’Donnell (même si, toujours selon lui, il ne reprend de Holst que la forme, celui-ci ayant composé sa suite sur notre vision post copernicienne de l’univers). Chaque mouvement a son identité propre, passant allègrement de la pure musique de science-fiction à la musique plus féerique et aux passages d’action ou d’exaltation pure. Tout ceci manié par une main de maitre pour en faire un chef d’œuvre musical.
Si Music of the Spheres n’a jamais été éditée officiellement par Bungie, la majorité de son contenu se trouve éparpillée dans la bande originale du jeu. Mais si vous voulez découvrir cette œuvre dans sa forme originale, plusieurs youtubers l’ont mise en ligne, pour notre plus grand plaisir.
Que dire pour finir ?
Destiny est incontestablement un jeu qui avait un grand potentiel. Plus dure fut la chute évidemment. La faute à une gestion interne hasardeuse, à un moteur de jeu capricieux et inutilement complexe, à de sérieuses erreurs stratégiques et créatives et certainement, à une grande arrogance de la part du studio de Kirkland.
Il reste néanmoins de très bons points non-négligeables comme cité plus haut, à savoir la musique, les combats auxquels on prend un grand plaisir, d’une fluidité, d’une aisance et d’une nervosité toujours copiées, jamais égalées, propres à Bungie, et également la direction artistique, somptueuse, détaillée et relativement cohérente pour un MMO. Du FPS, on retrouve la joie des combats, du MMO, on retrouve la joie de looter tout plein de joyeusetés. Si on est fan de Bungie, on retrouve beaucoup de Halo Reach dans la direction artistique et on ressent inévitablement la patte de Martin O’Donnell dans la musique. Et bon dieu, que tout cela est bon.
Si seulement, il y avait une histoire…