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Il y a 6 ans, Quantic Dream sortait l'ambitieux Beyond :Two Souls. Les débats s'étaient faits houleux sur la question de savoir si l'on pouvait qualifier cette œuvre de jeu vidéo. Si le débat me paraissait déjà superflu à l'époque, il me parait aujourd'hui ridicule. Car 6 ans plus tard, le storytelling a eu le temps de faire un peu plus sa place dans l'industrie (doit-on pour cela remercier les balbutiements de la réalité virtuelle ? C'est un autre sujet).


LE THÈME
Detroit : Become Human s'inscrit d'autant plus dans son temps qu'il pose des questions d'une actualité chaude : le développement de la robotique, au premier plan, et l'avenir de l'humanité au second. Il faut donc commencer par féliciter David Cage d'avoir opéré un choix judicieux quant au sujet traité. Il se propose de nous faire faire un bon d'une vingtaine d'années dans le futur, pour nous projeter dans un monde dont l'évolution est aujourd'hui à peu près prévisible : ère de la donnée dématérialisée, des nouvelles technologies, de l'intelligence artificielle (et des questions existentielles qui s'y rattachent), du droit applicable à la robotique (tant du point de vue du statut des androïdes que de leurs droits), le tout sur fond de questionnement sur l'avenir de l'espèce humaine (déjà posée en des termes similaires dans un passionnant essai de Paul Jorion, qui postule que l'avènement de l'intelligence artificielle pourrait coïncider avec l'extinction de notre propre espèce en établissant les fondations de la prochaine espèce domainante - mais ne digressons pas...).


L'auteur réussit donc à poser de véritables questions morales, éthiques, sociales, politiques, économiques, juridiques, même et surtout métaphysiques; et c'est au joueur qu'il est proposé d'entretenir ce dialogue captivant.


SCÉNARIO, HISTOIRE, PERSONNAGES
Ce qui me conduit tout naturellement à évoquer le scénario : une agréable surprise, en ce qui me concerne, et à plus d'un titre. Les trois protagonistes principaux offrent l'avantage d'une approche multiple, qui permet de casser la routine de jeu (ce qui est essentiel quand on fait le choix, comme le studio, d'une dominante storytelling) en faisant varier tant les émotions que les situations ; Connor, Markus et Kara, bien que dépendants des mécaniques de choix, sont relativement bien écrits et attachants. Les trois trames se suivent et s'entrecroisent parfois, ce qui assure au joueur un bon suivi du déroulement général de l'histoire. Voilà une des critiques qui étaient faites à son grand frère, à la trame très brouillonne et parfois monotone. Un progrès dont on ne peut donc que se réjouir.


Je note également un véritable travail d'écriture sur les personnages secondaires importants, toutefois un peu faible dans la trame de Markus en raison de leur trop grand nombre (les positions morales y sont les plus archétypées, à cause de la nécessité pour ce protagoniste d'être tiraillé entre plusieurs choix opposés).


Quant à l'histoire, justement, quoiqu'elle accuse quelques archétypes et ficelles parfois trop grosses pour passer inaperçues (la prévisibilité d'un scénario est une nuisance dans les jeux à dominante storytelling...), elle est efficacement portée par les enjeux qu'elle dépeint. Si le reproche que j'évoque ici a pu lui être fait, je ne lui en tiens pour ma part pas rigueur, tant j'ai été captivée par la mise en scène des questions de fond. Il est donc permis de penser, a contrario, que si le thème ne vous intéresse pas plus que ça, vous aurez un peu plus de mal à entrer dans cet univers et à ne pas voir ses légères faiblesses d'écriture.


La mise en scène reste, comme toujours chez Quantic Dream, de très bonne facture. Du reste, si le jeu mise beaucoup sur les émotions du joueur, l'écriture ne manque pas d'humour. La trame ne souffre d'aucun temps mort et maintient un bon rythme du début à la fin.


Dernier point relatif au scénario : la très grande capacité de choix du joueur, qui a tout loisir d'étudier les embranchements pris dans le déroulé de l'histoire au travers de l'arborescence. Ce fascinant schéma a pour fonction de vous indiquer, à la fin de chaque chapitre, certes les choix que vous avez faits mais également et surtout ceux que vous n'avez pas faits, ainsi que le potentiel d'évolution du scénario qui se rattache à chacun d'eux. Aussi vous indique-t-on rapidement et très clairement que chaque choix compte, et c'est sur ce simple principe qu'est assise la mécanique de DBH. Les conséquences de ces choix varient de la plus simple absence d'une ligne de dialogue ou d'une éventualité (dont la présence serait suscitée par la découverte d'un objet, d'un indice, par une discussion...) à l'oblitération complète d'un chapitre entier (provoquée par la mort d'un protagoniste). Vos choix auront d'autant plus de portée que vous aurez opté pour le mode dit "expérimenté" (tandis que le mode "histoire" malmènera un peu moins le joueur...).


Cet aspect a sans nul doute constitué un des travaux de fond du studio, également critiqué sur ce point au sujet de Beyond : Two Souls, dont la faiblesse à cet égard avait été fortement soulignée. Quantic Dream, qui était donc très attendu sur les choix multiples, a rempli son cahier des charges haut la main et offert à DBH un potentiel de rejouabilité impressionnant.


ENVIRONNEMENTS, AMBIANCE, MUSIQUE
Le jeu est de toute évidence l'aboutissement d'un gros travail sur les environnements et l'ambiance qui a été recherchée, à en juger par les concepts. Le résultat est frappant de réalisme car il ne tombe dans aucun des écueils liés à l'aspect futuriste de l'histoire. Il faut donc souligner la justesse dans la conception des environnements, capitale dans un jeu à dominante storytelling, le tout appuyé par une bande originale qui épouse parfaitement l'univers et la mise en scène. Rien à redire sur ce point.


POINTS TECHNIQUES
Sans surprise, Quantic Dream use et abuse du motion capture avec son savoir faire habituel pour un rendu des plus impressionnants. La performance des acteurs comme le doublage (en anglais pour ma part), de bonne facture, sont également au service d'un rendu impeccable.


Le gameplay, enfin, ne recèle là encore aucune réelle surprise. Délibérément laissé au second plan pour laisser place à l'histoire, il est essentiellement basé sur du QTE (hors déplacements du personnage contrôlé et options de mouvement contextuel); il n'en reste pas moins dynamique et nerveux par moments, le jeu tirant largement parti des différentes possibilités offertes par la manette de la PS4.


C'est ici qu'il est nécessaire d'insister sur la dominante storytelling du jeu : Quantic Dream est actuellement le studio qui produit les jeux dans lesquels cette dominance est la plus forte. Ce choix est délibérément fait au détriment du gameplay. Si vous êtes un joueur privilégiant le gameplay, gardez à l'esprit que vous ne faites pas partie de sa cible naturelle (ce qui n'exclut bien sûr pas que vous vous laissiez tenter, pourquoi pas !).


La durée de vie de la trame complète est d'une grosse dizaine d'heures à peu près, ce qui est très honorable pour un jeu de ce type; le tout sans compter bien sûr la rejouabilité.


VERDICT
C'est pour ma part une des vraies bonnes surprises de la décennie. J'y ai pris un grand plaisir et me suis prise au jeu sans difficulté, portée par un réel intérêt pour le thème abordé et par des protagonistes qui peuvent être réellement attachants. J'ai d'autant plus apprécié cette aventure que son approche de certaines grandes problématiques contemporaines est pertinente, touchante et empreinte de réalisme. Si bien sûr il est impossible d'entrer dans les détails des questions abordées, elles ont le mérite d'être posées avec intelligence et une certaine sensibilité.


Ceux qui me lisent ne seront pas surpris que DBH emporte de ma part un suffrage enthousiaste, puisque c'est tout à fait ma came. Et bien sûr, je recommande chaudement.

Camiille
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le 26 mai 2018

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Camiille

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