Considérons un guitariste. Appellons le Jean-Luc. Jean-Luc Bioware. Jean-Luc a passé ces dix dernières années à tenter de reproduire le son vintage de... disons... Santana, ce dans le seul but de faire vibrer les foules mélomanes et averties. Non sans mal, JL a fini par trouver son groove et par sortir une pure galette saluée par un succès d'estime bien mérité. L'année suivante, le public attend JL au tournant, normal. Imaginons alors qu'une fois balancé sur votre platine, son nouvel album sonne comme un hommage au défunt groupe Kyo. Tout ça parce que Jean-Luc est un gros faible et qu'il avait très envie de chopper fastoche de la midinette barely legal. C'est compréhensible, cher Jean-Luc, d'avoir très envie de croquer sans trop se fouler. Mais ça ne force par vraiment le respect. Dragon Age 2, ou l'histoire d'un jeu qui avait tout pour réussir et dont on a sacrifié l'héritage sur les autels du multiplateformes et des gros euros.
Le fameux système de combat qui te faisait toucher du petit doigt tes souvenirs émus de Baldur's Gate ? Pouf, envolé. En lieu et place : des échauffourées visuellement percutantes mais aux prétentions tactiques proches du zéro (des respawns en cours de baston... DES RESPAWNS EN COURS DE BASTON !) Le friendly-fire a disparu, sauf s'il vous prend l'attendrissante idée de jouer en niveau de difficulté hardcore : à ce niveau, le jeu passe simplement en mode cauchemar injouable. Peste, choléra.
L'aventure déjà bien platounette se trouve dès le départ plombée par une narration in-game complètement aux fraises, avec de gros éclats de World of Warcraft dedans : on repère un marqueur jaune sur un PNJ ou un objet, on clique, on file dessouder du pas beau, on revient collecter son dû. Alors bon... je suis peut-être un peu tatillon, mais personnellement j'aime bien comprendre les tenants et les aboutissants de mes décapitations à la chaîne. Vu le poids que pèse une épée, je préfère ne pas faire de grands moulinets avec pour rien, quoi. C'est pour cela que j'ai toujours été un fervent adepte du journal de quêtes façon Bioware, souvent bluffant de profondeur et de souci du détail. Dommage, le journal de Dragon Age 2 a été réduit à un listing lapidaire, type liste de courses pour Franprix du coin : acheter du pain de mie, démembrer Anaeryn l'elfe antipathique, livrer les culottes de Blagzog à Blagzog...
"Mais, je ne connais pas de Blagzog, j'ai trouvé cet item par terre !"
- N'aie craintes Chevalier, quand tu le croiseras, tu sauras : il portera une marque jaune sur la tête.
"Ah.. euh.. bin ok..."
Pourtant, en bon garçon tolérant, je suis prêt à passer outre ce type d'énormités, si tant est qu'on me file ma dose de fun. J'étais donc en droit d'attendre des quêtes faisant la part belle à la variété et aux surprises... Là encore, peau d'zob : Bioware recycle les donjons d'une quête à l'autre (sans même en changer la topographie, smells like cheap spirit) et les quêtes annexes ont "Durée de vie artificielle" tatoué sur le front.
Alors certes, le tout est plutôt joli (un pack de textures haute def' plus tard, en tout cas) et le niveau d'écriture des dialogues est relativement fantastique, en plus d'être porté par un doublage anglais d'excellente facture. Mais j'avais pas demandé Rhétorique Simulator HD, j'avais demandé Dragon Age 2.
Je vais pas te la faire à la bosniaque, j'ai pas dépassé les 18 heures de jeu. Donc si ça se trouve "ça devient génial sa race au bout de 20h" (y a toujours un guignol dans ton entourage pour te dire ça. Super Connard ? Oh oui c'est lui !) Mais j'estime qu'un jeu qui devient sympathique au bout de 20 heures est un jeu foncièrement mal branlé. Si tu penses à Final Fantasy XIII, tu viens de perdre le jeu.
Bref, là où ça devient très rigolo, c'est que les joueurs ne s'y sont pas trompés : le jeu fait un joli flop et Bioware le vend déjà en bundle avec Mass Effect , de manière aussi grossière que ton hypermarché te colle les Maltesers juste avant les caisses à côté des Snickers, vu que les Maltesers, c'est pas bon. Tiens, Mass Effect justement : en voilà une franchise qui a su négocier son virage "casual" tout en préservant sa substantifique moëlle des longues canines des éditeurs. Deux fils prodigues, ç'eut été trop beau.
RIP cher Dragon Age, tombé au chant d'honneur sous les carreaux acérés du business. Tout ça pour ne pas se vendre, au final. Un beau petit gâchis.