Et si le héros du tout premier Dragon Quest avait finalement accepté le pacte proposé par DragonLord, à savoir partager le pouvoir et régner sur la moitié du monde ? Tel est le postulat de départ de ce Dragon Quest Builders, qui nous présente un monde ravagé par les ténèbres, où le Mal a finalement gagné. Un postulat pas si improbable que cela quand on se souvient à quel point Dragon Quest était éprouvant pour les nerfs…
Oh, vous n’y avez jamais joué ? Laissez-moi donc vous le présenter en quelques lignes : on n’a pas d’amis, on risque une sodomie violente dès qu’on change de zone de jeu (alors que les monstres n’attaquent qu’un par un!), on ne peut sauvegarder qu’auprès du Roi (encore une fois, VIVE les émulateurs!) et ces baltringues de marchands nous ponctionnent jusqu’à nos derniers deniers pour un équipement à peine meilleur que le précédent…"hum, une reconversion dans la filière tyrano-despotique vous dites? Où est-ce que j’signe?".
Cette proposition était évidemment un piège (sans dec’…) et ce qu’il est advenu de lui, vous le saurez en jouant au jeu… DragonLord quant à lui, fera l’erreur de nombreux autres grands méchants jamesbondiens avant lui : au lieu d’éliminer tout de suite et une bonne fois pour toute le genre humain devenu une menace toute relative, il va plutôt s’amuser à leurs dépends grâce à sa magie, en leur retirant le pouvoir de création. Dénués de la capacité de bâtir et de fabriquer matériaux, outils et armes, les humains finirent par se diviser et survécurent du mieux qu’ils le purent…jusqu’à l’avènement d’un nouvel espoir : Truc (bon moi je l’ai appelé comme ça, mais on peut lui donner le nom qu’on veut…).
Truc est le Bâtisseur, et lui possède le don de création, offert par la déesse Rubiss. Pourquoi seulement à lui et pas à d’autres, ça aussi vous le saurez en jouant… Il n’est pas le héros au sens traditionnel du terme, n’étant pas destiné à affronter DragonLord, mais seulement à "préparer le terrain" pour la venue du futur champion ; Rubiss le lui (vous) rappellera d’ailleurs un peu trop souv... euh, à maintes reprises… Le but du bâtisseur est de reconstruire les villes et de rassembler les humains, et qu’à son contact, ils se réapproprient (par mimétisme) ce don scellé depuis des centaines d’années par le tyran.
Pad en main, Dragon Quest Builders est très nettement un Minecraft-like, et il ne s’en cache d’ailleurs pas : un monde principalement fait de cubes (exception faîte des persos, des monstres et des objets, outils & machines), un besoin incessant de miner et crafter pour développer, améliorer et défendre sa petite bourgade, un cycle jour/nuit (un poil rapide) avec des ennemis ne cessant de nous harceler sitôt le soleil couché, une jauge de faim à surveiller de temps en temps, un inventaire à gérer correctement (enfin, jusqu’à l’obtention du coffre colossal)… La transposition de la vue subjective de Minecraft à la vue objective adoptée par le jeu s’est faite sans trop de heurts, et on s’habitue très vite au mapping des boutons, et notamment à jongler avec les boutons L2 & R2 pour gérer les hauteurs. Comment ? Oui, il y a aussi une vue à la troisième personne dans Minecraft, mais c’est comme pour Skyrim, elle est tellement "pratique" que personne ne l’utilise…
Dragon Quest Builders reste cependant beaucoup plus "user friendly" que le jeu de Mojang : pas d’élevage à l’horizon (il n’y a d’ailleurs -et étonnament- pas d’animaux, alors que les mondes de Dragon Quest sont pourtant habituellement peuplés de vaches, de chevaux, de chats et de chiens…), pas de système énergétique comparable à la redstone, une agriculture réduite à sa plus simple expression… Même la construction de la plupart des bâtiments est fortement guidée (avec les plans) bien qu’on puisse tout réorganiser à notre guise une fois le plan validé. Le jeu préfère en fait largement concentrer son propos sur le redressement de la civilisation plutôt que sur la survie pure et dure, au travers d’un scénario classique mais ultra efficace (et quelquefois assez tragique, big up au chapitre 2)…
Et puisqu’on en parle… Le jeu s’articule autour de 4 chapitres à la courbe de difficulté bien calibrée et exponentielle, chacun introduisant Truc dans un univers de plus en plus hostile. Dommage toutefois qu’ils soient complètement "indépendants" les uns des autres : à chaque début de chapitre, on recommencera à poil ou presque (on apparaît d’ailleurs à l’écran un peu à la Terminator :p), avec le minimum syndical, sans aucune connexion avec les précédents autre que les connaissances déjà apprises. Ça aurait pourtant été tellement génial de pouvoir établir des sortes de routes commerciales entre les différentes petites bourgades, ce qu’on a tous fait (enfin je pense) dans Minecraft, voire carrément constituer une région agglomérée géante, avec Cantelin (la toute première ville) comme point névralgique… Peut-être dans le futur deuxième opus, d’ores et déjà annoncé ? Et tant qu’on est dans les suggestions, si l’on pouvait avoir la possibilité de faire des villages un poil plus grands que 30x30 cubes, ça ne serait pas de refus…
Le premier chapitre est ainsi un vrai tuto géant : le ciel est bleu, l’herbe est verte, les ressources abondent, les ennemis sont assez inoffensifs… On y apprend les bases du système et ses petites subtilités, comme fabriquer des bâtiments spécifiques (forge, cuisine…) pour que nos concitoyens se bougent le fondement et participent un minimum, ou encore le principe du plaquage, qui recouvre les amas de terre d’un matériau plus résistant, ce qui évite de tout détruire pour tout reconstruire après… Le deuxième chapitre est déjà un peu plus corsé : l’environnement est dévasté, les attaques de monstres augmentent, certaines sources de minerai se raréfient… Plusieurs concepts sont introduits, comme l’agriculture ou la pêche…
Le troisième chapitre (mon préféré) ajoute la pénurie de bouffe et de bois (surtout au début) ainsi que des monstres assez costauds (armures vides, trolls, géants…) qui peuvent détruire notre village en quelques coups bien placés ! C’est aussi l’occasion de découvrir de nouvelles features, la plus importante étant la possibilité d’aller explorer le monde à plusieurs (ce qui fait d’autant plus regretter l’absence d’un mode story jouable à 2, voire à 4). Quant au dernier chapitre (un peu plus court), on est balancé un peu à la va-comme-j’te-pousse dans une région stérile, devant mettre en pratique tout ce qu’on a appris dans les trois autres… Les monstres y sont puissants (c’est là que j’ai connu ma seule et unique mort de tout le jeu) et les ressources frugales, bref, la survie à l’état pur ! Tout paraît donc idyllique, sauf que…
Voici venu le temps de parler de choses qui fâchent (un peu), et notamment d’un élément qui constitue facilement les 2/3 du soft : les phases d’action, bien trop basiques. Pas de bouton d’esquive (roulade ou assimilée), pas de bouton de garde, quasiment pas d’armes de jet (hormis des cailloux), pas vraiment de magie (hormis quelques "missiles" de feu ou de glace, imprécis et à usage unique)… C’est d’autant plus frustrant que les boutons L1 & R1 sont totalement useless… On se consolera tout de même avec certains joujoux sympathiques (canon, baliste…) qu’on devra notamment construire pour vaincre les boss de chapitre…
Dans le même genre, on finit par apprendre au milieu du premier chapitre le très utile coup chargé : "chouette!" se dit-on à ce moment-là "on va sans doute acquérir plein de nouveaux mouvements pour varier les plaisirs (et les approches)"…sauf que ce sera la première et dernière attaque spéciale qu’on apprendra de tout le jeu… Je sais bien que Truc n’est "que" le bâtisseur, et non le héros, mais quand même…du coup, les combats sont rarement complexes, rarement tactiques, et les patterns des ennemis sont très aisément identifiables et esquivables, même pour un manchot du pad…dommage…
Pour finir, petite déception aussi que ce mode libre un chouïa trop limité, baptisé "Terra Incognita", qui se débloque une fois bouclé le chapitre un : déjà, il y est impossible de se laisser porter tranquillement par ses inspirations architecturales, sachant que même dans ce mode il faut farmer les ressources et matériaux… Impossible non plus de choisir de commencer sur une surface complètement vierge, ou encore de pouvoir paramétrer ou non des attaques de monstres… On reste "cantonné" à une île relativement petite, pourvue de quatre téléporteurs menant à tous les biomes découverts dans l’aventure principale, qu’on peut reset à l’envie lorsqu’on y a épuisé toutes les ressources…et c’est à peu près tout. On en fait donc rapidement le tour, et on prie très fort (même si perso je n’ai aucune déité vers laquelle me tourner :D) pour que ça soit mieux foutu dans le deuxième opus…
Mais revenons tout de même vers le positif. Car si j’ai pris la peine de platiner Dragon Quest Builders, c’est bien que son univers m’a accroché un minimum. Sa DA par exemple, la patte toriyamesque se mariant étonnamment bien avec ce monde constitué de cubes. Le monde d’Alefgard est vivant, avec toutes ces différentes "peuplades" de monstres vivant en symbiose, et si la plupart suivent aveuglément les ordres de DragonLord et nous pourchasseraient jusqu’au bout du monde pour nous dessouder (chimères, squelettes…), certains se foutent totalement de notre présence (vampivols, lapicornes) tant qu’on leur fout la paix, tandis que d’autres au contraire n’hésitent pas à braver l’interdit et à intéragir diplomatiquement avec nous, parfois volontaires, souvent méfiants, remettant en cause des notions de Bien et de Mal par définition subjectives…
Tout aussi chouette, l’exploration, le vadrouillage est très souvent récompensé, notamment par de petites quêtes annexes sympatoches (au moins une par île), comme des énigmes (pas trop complexes), et/ou des combats inédits (dragons…) donnant accès à des minerais précieux ou des objets rares, à des plans inédits (le Gluant 8!) ou encore des recettes originales, comme la "Lyre des Temps Gluanciens", permettant de "démaker" les thèmes musicaux afin de les ré-écouter dans leur version originale. Car oui, la très -TRÈS- grande majorité des musiques du jeu sont des versions réorchestrées de la tétralogie NES, ce qui est à la fois un avantage (elles sont cools!) et en même temps leur principal défaut : elles bouclent souvent beaucoup trop vite, et peuvent s’avérer un brin saoûlantes sur la durée…
En définitive, Dragon Quest Builders est un vrai bon jeu, à se procurer les yeux fermés ou presque si vous êtes fan de la licence (n’oubliez pas de les rouvrir pour y jouer), et qui pourra même séduire quelques anti-Minecraft convaincus. Il reste malgré tout impossible de faire abstraction de ce que j’appellerais un certain manque d’ambition, le jeu n’allant jamais au bout de son concept. On en revient alors au problème initial : 3 mini-pâtelins repliés sur eux-mêmes plus un château tout aussi isolé, ça fait un peu léger comme redressement de toute une civilisation… Gageons que ce n’était qu’un premier jet, et que la suite nous réserve des aspirations autrement plus mégalomaniaques. C’est parfois beau de rêver…