J’avais une quinzaine d’années lorsque j’ai découvert Final Fantasy X. De cette première expérience du JRPG, ma conception du média a été pas mal chamboulée: de simple divertissement ludique, le jeu vidéo devenait subitement le support d’un véritable chef d’œuvre, capable d’être vecteur d’une émotion et d’un discours profondément marquants.
Des années plus tard, je découvre Dragon Quest XI, et fatalement, l’impression me vient d’avoir fait les choses à l’envers. Moins profond, moins complexe, moins résistant, DQ XI m’apparait comme un sous-produit du bouleversant FFX de l’époque, moins ambitieux à tous les niveaux. Et pourtant, ça fonctionne ; pourtant, je ne me suis pas ennuyé une seconde durant cette centaine d’heures au pays d’Elréa. Et alors que je déplore ses lacunes, je me demande bien pourquoi il est parvenu à m’accrocher durant tout ce temps.
Le JRPG : deux écoles
S’il existe bien une multitude de JRPG avec leurs spécificités, j’ai tendance à grossièrement distinguer deux écoles, deux visions, parmi eux : ceux qui se renouvellent constamment, et ceux qui adoptent une structure classique. Parmi les premiers, le représentant le plus connu serait sans aucun doute la saga Final Fantasy qui, à chaque épisode, propose de nouvelles thématiques et mécaniques, quitte à faire grincer des dents une partie de sa fanbase. La série des Dragon Quest, elle, serait plutôt de la seconde catégorie : « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ! »
Peut-on le lui reprocher ?
Si c’est effectivement la franchise Dragon Quest qui a popularisé le genre, il faut bien reconnaître que, trente ans et onze épisodes plus tard, la formule n’a pas évolué. DQ XI est un JRPG pur jus : un héros élu, accompagné de fidèles compagnons, se lance dans une périlleuse aventure pour renverser le Mal. Le joueur accompagnera cette joyeuse équipe au fil d’une aventure relativement cloisonnée — non, ce n’est pas un gros mot — ponctuée de combats au tour par tour afin de pouvoir faire progresser ses personnages.
On le comprend rapidement, là où un FF ambitionnera toujours, avec plus ou moins de réussite, de surprendre le joueur avec de nouvelles features, avec une histoire plus complexe/mature, DQ XI se pose en énième réinterprétation de la recette qui a fait son succès. Sûr de ses acquis, on retrouve donc un scénario qui emprunte toujours autant à l’heroic fantasy des années fastes, avec son manichéisme et sa naïveté toute enfantine, abordant ses thématiques de manière discrète, préférant mettre l’accent sur l’aventure. Sans surprise, héroïsme, magie, prophétie et lutte séculaire entre le Bien et le Mal seront au programme. Le tout est porté par une narration globalement maîtrisée, mais des dialogues qui peinent parfois à convaincre, car conditionnés par l’aphasie chronique du héros. Mutisme censé permettre une identification qui ne se fait pas, puisque ce héros nous apparait bien vite comme une coquille vide, bonne qu’à subir les décisions et casser des bouches lors des combats.
Côté gameplay, DQ XI s’en tient strictement aux bases, réitérant la boucle typique : exploration / combats et leveling-up / arrêt à la ville. Sur ce point, le jeu fait le job, mais c’est sur les combats que son manque d’ambition le rattrape à nouveau. Ils sont d’une facilité déconcertante, et la conséquence directe de cette absence totale de difficulté, c’est un profond déséquilibre dans les mécaniques de jeu. Le faible nombre de PV des ennemis — boss compris — récompensent largement les comportements hyper-aggro, rendant caduque l’aspect stratégique du jeu. De fait, du large éventail de sorts disponibles pour chacun de vos personnages, deux ou trois seulement seront utilisés à gogo pour leur efficacité, sans contre-coup puisque la limite de PM est fictive (il n’y a aucune chance que vous tombiez à 0). À noter que le jeu laisse la possibilité d’automatiser le comportement des personnages, sans que la difficulté n’en soit impactée la majorité du temps, ce qui donne un bon indice de la pauvreté des options stratégiques en combat.
Enfin, un petit mot sur la bande-son car elle illustre bien mes propos. Une bonne moitié des musiques est recyclée des opus précédents, preuve supplémentaire que DQ XI compte davantage sur la fibre nostalgique que sur la volonté de se renouveler. Pour le reste, la plupart des compositions sont répétitives et peinent à transmettre une quelconque émotion. En somme, elles se contentent d’appliquer un fond sonore correct — parce que bon, ce n’est pas horrible non plus, hein — mais s’en tient à ça, ne cherchant pas à proposer du mémorable, du marquant.
Pas d’ambition, pas de qualité ?
Alors pourquoi, à l’heure où j’écris ce billet, tandis qu’un autre ténor du JRPG — Pokémon Épée/Bouclier pour ne pas le nommer — est vivement critiqué pour son manque d’ambition ; pourquoi Dragon Quest XI n’a-t-il pas reçu le même traitement ?
Eh bien, disons que DQ XI est classique, mais pas fainéant. Il ne donne pas l’impression de n’exister que pour escroquer le joueur une fois par an, et apparait au contraire plutôt généreux dans sa démarche. S’il s’avère résolument casual, c’est davantage un parti-pris pour se rendre accessible à la jeune génération, tout comme son classicisme lui permet de s’adresser au vivier de joueurs nostalgiques qui peinent à trouver de bons JRPG sur console.
Ainsi, le joueur verra se déployer l’univers d’Elréa devant ses yeux au fil des 60-80 heures de jeu, voire davantage pour le post-game. Le lore est assez fourni et le scénario, bien que reposant sur des bases maintes fois revues, réservera tout de même quelques bonnes surprises dans son deuxième arc. Un effort est fait sur l’écriture des personnages secondaires, qui en deviennent plus attachants, et même sur quelques péripéties annexes qui se révèlent parfois plus tragiques que l’histoire principale.
On apprécie également les environnements, qui souffrent peut-être d’un manque d’identité propre puisque la direction artistique s’appuie sur des architectures issues de nos civilisations plutôt que de développer son propre univers graphique, mais il faut bien admettre que les décors — overworld et villes — sont assez dépaysants, lumineux, et profitent d’un passage à la 3D au cel shading très correct.
Des visuels qui donnent vie à un monde assez vaste, favorisant l’exploration lors d’un premier run, et suffisamment bien designé pour qu’on y revienne plus tard afin de débloquer du nouveau contenu. Alors DQ XI n’est certes pas un bijou de level-design, mais le jeu est quand même conçu avec suffisamment d’intelligence pour justifier les trois arcs narratifs sans lasser le joueur.
En somme, DQ XI ne prétend pas réinventer la roue et se garde bien d’évoluer sa formule, mais il montre que la licence est prête à s’adapter aux nouvelles technologies pour sortir de temps en temps un JRPG convenable sur des supports qui en manquent cruellement.
Conclusion
Dragon Quest XI est un opus gentillet et un peu naïf, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose. Incarnation du classicisme se reposant sur sa formule maintes fois éprouvée, il semble taillé pour le jeune public et/ou les nostalgiques qui (re)découvriraient le JRPG.
Néanmoins, son manque d’ambition et de profondeur pourrait rebuter les joueurs plus exigeants. S’opposant à la démarche des non moins célèbres Final Fantasy, la saga DQ se garde bien de prendre des risques et préfère coller aux attentes ; en ce sens, elle donne vie à des opus qui feront sans doute toujours consensus sans déchainer les passions, mais qui n’auront peut-être jamais non plus le calibre de véritables chefs d’œuvre nés d’une prise de risque éclatante.