Pour les 30 ans de la saga fondatrice du RPG japonais, Dragon Quest XI : Les Combattants de la destinée nous rappelle de quoi sont faites les grandes aventures vidéoludiques.


On vous parlait moutarde à l’ancienne dans notre critique d’[Octopath Traveler][2], il sera ici question d’un bon gros frometon. Du genre qui sort du terroir, vers lequel nos papilles reviennent toujours quand vient le temps de célébrer le goût des choses simples.


Dragon Quest, c’est d’abord l’histoire de trois artisans : le concepteur et scénariste Yuji Horii, l’illustrateur Akira Toriyama (Dragon Ball) et le compositeur Koichi Sugiyama (Cyborg 009, Ideon). Marchant dans les pas de Wizardry, la série éditée chez Enix définit dès 1986 les canons du RPG japonais. Loin de la course à la puissance, cette école du jeu vidéo prend dès lors le parti d’intégrer les limitations techniques pour travailler la dimension évocatrice de l’image, du récit et des situations en jeu. Conscient de cet héritage, cet onzième épisode se concentre sur ce que la série a su faire de mieux : prouver que toutes les histoires, petites ou grandes, sont dignes d’être racontées.



C’est qui Moïse ?



Un monde en proie aux ténèbres, un château à feu et à sang, une reine fuyant avec son bébé sous la pluie battante, un landau sauvé des eaux par un vieillard qui pêchait à la ligne… Le héros, le voici : un prince déchu et miraculé, élevé parmi les paysans dans l’ignorance de son destin. Sa main gauche n’en demeure pas moins marquée du symbole de l’Éclairé, l’envoyé des dieux qui tirera le monde d’Elréa des griffes de l’Obscur. Les prophéties faisant toujours aussi bien leur boulot, il sera question pour notre jeune premier de sillonner le monde à la recherche d’orbes magiques pour endiguer le mal.


Passé ce pitch des plus classiques, on se gardera bien de dévoiler le fil directeur de l’intrigue ! En effet, et c’est peut-être la particularité de cet opus, la narration de Dragon Quest XI fait appel à des révélations multiples dont la portée dramatique – voire tragique – repose en grande partie sur l’effet de surprise. On n’échappera pas à quelques longueurs dans l’introduction et à quelques emportements dans la deuxième moitié de l’aventure, mais il faut bien reconnaître que Yuji Horii n’a rien perdu de ses talents de conteur.



Cel-chiadé



Premier constat : Dragon Quest XI possède l’un des plus beaux cel-shading de l’histoire du jeu vidéo. Derrière les designs minimalistes et la palette de couleurs douçâtre, les textures et les effets de lumière sont éblouissants. Le rendu visuel du titre rend compte de décennies de progrès, sans rien sacrifier à l’authenticité évocatrice du trait de Toriyama. Les environnements sont vastes et plus détaillés sans trahir l’impératif de simplicité : auberges, tavernes, magasins, PNJ bavards et livres cachés… Chaque recoin a quelque chose à offrir ! Cet effort de réconciliation trouve hélas ses limites dans les partitions rendues par Sugiyama. Le compositeur de bientôt 88 ans livre des boucles MIDI peu inspirées voire déconcertantes, d’autant que les arrangements symphoniques – déjà enregistrés et vendus dans le commerce ! – auraient pu être insérés dans le jeu lors de sa localisation comme c’était le cas pour l’épisode VIII sur PS2…



Des racines… et du zèle ?



La recette du J-RPG reste inchangée, mais quelques nouveautés viendront fluidifier la progression. Très pratiques pour les petites sessions de jeu, les feux de camp vous permettront notamment de vous reposer et de sauvegarder entre deux bourgades. L’occasion de discuter avec vos coéquipiers, mais aussi de tester vos talents de forgeron dans un mini-jeu très utile où vous pourrez construire vos propres équipements grâce aux éléments récupérés sur les monstres. Histoire de voyager tranquille, enfourcher votre canasson vous permettra de tracer votre route tout en piétinant les monstres qui auront le malheur de la croiser. Il faudra pourtant bien vous y frotter pour toucher au sésame de tout bon vieux RPG : l’expérience !


Les combats ne réinventeront pas l’eau tiède : attaque, sorts, défense, objets, fuite. En guise de variante, vos combattants basculeront aléatoirement et pendant quelques tours dans un état hypertonique ouvrant la voie à des super-coups qui varieront en fonction de la composition de votre équipe. Ce système cyclique montrera tout son intérêt sur les combats de boss, où votre maîtrise du buff et des altérations d’état sera mise à rude épreuve. Au fil des niveaux, vos personnages récolteront des points à dépenser dans un arbre de compétences bien fourni : spécialisations d’armes, techniques secrètes, bonus statistiques…


Dans cette mécanique bien rodée, une aberration de taille reste à déplorer. Un mode en caméra libre, activé par défaut, vous permettra de vous déplacer sur l’arène de combat. Cette “liberté” empruntée aux Tales of n’a hélas aucune valeur dans l’action, d’autant que la caméra se laissera souvent encombrer par un obstacle au premier plan. Pour plus de confort, un retour à la scénographie classique est toujours possible.



Gaijins toniques



Dragon Quest XI n’étant pas à un anachronisme prêt, Square Enix s’est donné une année pleine pour livrer le travail de localisation qui s’imposait… quitte à remettre les mains dans le cambouis ! L’ergonomie des menus a été repensée pour plus de clarté, intégrant désormais des miniatures pour les objets et des icônes colorées pour mieux s’y retrouver dans la liste des sorts. Malgré le rendu anachronique des musiques MIDI, les voix anglaises sauront apporter un surplus de théâtralité aux dialogues. Saluons également l’incroyable travail des traducteurs français, qui transforment l’essai après les calembours désopilants de Ni no Kuni 2 en début d’année.


Dans son ensemble, le jeu bénéficie surtout d’un bien meilleur équilibrage. Le dash, salvateur, confère enfin une vitesse de déplacement à la hauteur des décors que l’on traverse. Les sessions de farm s’en voient raccourcies, et les combats plus corsés. Si vous êtes demandeur, vous aurez le loisir de moduler la difficulté comme bon vous semble en début de partie : moins d’argent récolté, moins d’expérience, interdiction d’acheter des objets… sans oublier la “hontite”, syndrome de l’imposteur qui pourra paralyser vos personnages en plein combat !


Dragon Quest XI est le grand J-RPG traditionnel que la génération précédente de consoles nous aura refusé. Cet épisode anniversaire livre un testament quasi-conclusif de tout ce que le genre a pu offrir sur trois décennies d’histoire. Entre classicisme revendiqué et anachronismes assumés, ce conte généreux et élégiaque revient au fondement de toutes les grandes aventures artistiques : le savoir-faire. Preuve, s’il en fallait, que l’humilité est la marque des grands.

Kirabochips

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