Par Cyril Lener
Il faudrait mettre en exergue ici une citation de Nietzsche ou de Hermann Hesse. Un truc pioché sur Citations.fr qui parle de l'amour du destin, de la primauté du chemin sur la destination, de la volonté de puissance, du grand « Oui » adressé à la vie et du « plaisir délicieux et toujours nouveau d'une occupation inutile » (citation piquée à un poète français et sur laquelle s'ouvre Dragon's dogma). Parce qu'au fond, et tout à la fin, cet étrange enfant métisse du RPG japonais de mère porteuse américaine, expose de façon magistrale quelque chose comme une métaphysique du chemin.
Avant de la comprendre, il faudra en faire l'expérience, gravir des côtes, se perdre cent fois et trouver le temps long tant les premières heures de Dragon's dogma ressemblent à s'y méprendre à un maladroit exercice de style tendant vers une épure du RPG moderne (donc occidental) duquel Skyrim et quelques autres constitueraient la carte du ciel. « Va donc tuer 5 gobelins. Cherche-moi 5 fleurs pour guérir les blessés. Retrouve pour moi le grimoire de machin truc dans le puits où il y a les rats »… Les missions s'acceptent par paquets de 10 et se valident sans qu'on y pense, comme une suite de succès / trophées à débloquer au grès d'une ballade infinie. D'où cette curieuse impression d'un emploi du temps fictif, d'un cahier de vacances sans aucune autorité morale pour en critiquer la procrastination du remplissage. Bien sûr, il y a aussi des demandes plus impérieuses et plus pressantes. Sauver tel idiot du village parti chercher des baies dans un bois infesté de loups, par exemple. Les ignorer ne vaudra pas plus de reproches que ne vous pourriez vous en faire à vous-mêmes. Tant et si bien que le projet initial de Dragon's dogma semble déposséder le joueur de sa nécessité d'être au monde. On a beau se faire appelé « l'Insurgé » depuis qu'un dragon a englouti notre coeur, aucun grand destin ne nous appelle d'une voix distincte et franche.
« Vous n'êtes après tout qu'un minuscule individu dans le vaste monde », comme se plaît à le rappeler l'un des nombreux aphorismes ponctuant les écrans de chargements. A ce sentiment d'abandon, entretenu par la sobriété monacale et la rareté des cinématiques, s'ajoute celui d'une mutinerie en règle contre la grammaire moderne du jeu d'action aventure : pas de régénération automatique, une seule sauvegarde, pas de QTE, pas d'événements scriptés, une carte bardée d'indications approximatives. Bon élève à l'école du gameplay par soustraction, Dragon's dogma partage avec les jeux de la Team Ico son goût du geste pur (le savoir-animer d'un coup élégant made in Capcom mais débarrassé des combos maniéristes) et la grâce de paysages d'une puissance à s'en crever les yeux, offrant au regard, depuis le charmant village méditerranéen qui sert de point de départ, au loin des destinations qui nécessiteront d'innombrables heures pour les rallier, sans monture, ni raccourci et bien avant la tardive et très limitée possibilité de se téléporter. Dragon's dogma est une randonnée pédestre qui étire dangereusement ses durées parce que la véritable destination qu'elle propose au joueur n'est rien de moins qu'une éthique du cheminement dont le pivot central serait l'impératif de ne pas suivre les chemins tout tracés.(...)
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