Dungeon Siege s'assied sur son héritage
Les férus de hack 'n slash et, a fortiori, de la série de Chris Taylor auront toutes les raisons d'être circonspects face à ce Dungeon Siege III. Avec sa maniabilité "gamepadisée" à outrance, ses donjons tout petits et son inventaire un peu bizarre, le titre se rapproche davantage d'un jeu d'action/aventure classique que d'un dungeon crawler rythmé de clics frénétiques.
Le parti pris est intéressant, car cela apporte un certain dynamisme aux combats, et surtout une technicité inédite jusqu'alors, dans un domaine avant tout régi par le sacro-saint clic (et la touche 1 pour les potions). Le problème, c'est que cette solution a été adoptée avec les consoles comme supports de prédilection en tête, et l'adaptation très médiocre du jeu sur PC (son interface, mais aussi son ergonomie générale) ne viendra pas nous contredire là-dessus. Même si la pensée perverse d'imaginer ces vieux bougons de pécéistes contraints de jouer à la manette m'enchante au plus haut point, il faut tout de même avouer qu'il est dommage de ne pas avoir accordé plus d'attention au support qui attirerait le plus de joueurs potentiels a priori.
L'avantage, c'est que cela donne lieu à des combats très dynamiques et plus subtils qu'il n'y paraissent, où les parades et esquives ont autant leur place qu'attaques et compétences. Du moins sur le papier, car la caméra aérienne ne permettant pas une lisibilité optimale, on se retrouvera bien souvent à perdre de la vie sans avoir remarqué une attaque ennemie (voire un ennemi tout court en fait, l'écran est parfois blindé d'effets visuels qui n'aident pas à les distinguer). Par ailleurs, le système de parade n'étant pas d'une grande souplesse, on se retrouvera bien souvent à foncer dans le tas, spammer la touche d'attaque et esquiver quelques grosses attaques, quitte à se soigner régulièrement, plutôt que de la jouer technique.
On touche du doigt le principal problème du titre ici : Dungeon Siege III est un jeu un peu bâtard, coincé entre deux genres et deux approches différentes de gameplay. D'un côté le jeu d'action/aventure façon Zelda, avec des combats nerveux et subtils, de l'autre le hack 'n slash façon Torchlight avec son bourrinage d'attaques et de sorts et sa caméra vue de haut. Une caméra qui s'avère bien évidemment gênante lors des combats car aucun placement ne paraît optimal. Paradoxalement, l'angle de vue le moins gênant reste le plus proche, dos au personnage, seul angle vraiment efficace pour distinguer les attaques ennemies et pouvoir les parer efficacement.
En dehors de ce choix de design plutôt discutable, le jeu reste tout de même agréable à jouer, et ce malgré un manque total d'ambition. L'aventure se déroule sur de gros rails, indéboulonnable, ultra-linéaire (une impression renforcée par des donjons et villes composés à 80% de couloirs), et plutôt tiède finalement. Comptez une douzaine d'heures de jeu pour finir la quête principale et toutes les quêtes secondaires (oui, toutes ; il y en a si peu), et en-dehors de quelques moments bien sentis (Stonebridge notamment), rien de vraiment bouleversant. Si le scénario est réussi dans l'ensemble, il n'est qu'un prétexte pour enchaîner les combats sans plus d'implication de la part du joueur. Les quêtes secondaires tapent dans le Fed-Ex ultra-classique et ont le bon goût de toutes se trouver sur le chemin emprunté par la quête principale. Les choix moraux imposés sont très simplistes et déterminent surtout le déroulement de la fin de l'histoire (selon qui vous tuerez ou laisserez vivre), et n'ont d'autre effet sur votre personnage que le remplissage d'une barre d'influence vis-à-vis de votre équipier inutile.
Difficile aussi de se sentir impliqué dans l'aventure quand on se contente de jouer le coursier pour l'intégralité des personnages que l'on rencontre (sympa le rôle d'ambassadeur) et que l'on n'a pas vraiment l'occasion de choisir le déroulement des évènements, à une époque où les jeux tendent justement à responsabiliser le joueur face à ses actions. Le tout porté par une mise en scène désespérément statique (ou plutôt old school), des visages grossiers et une interprétation française très risible (avec des voix françaises aussi merdiques, j'ai longtemps cru que le jeu était édité par Bethesda).
Obsidian, qui nous avait habitué à des productions riches en role-playing pur, a pris le chemin inverse avec ce Dungeon Siege III casualisé à outrance. Outre l'absence de vrai développement moral du héros, notons aussi un système de loot basique et inintéressant (tous les objets droppés se ressemblent, quelques armes et un set d'armure uniques par personnage, tous achetables auprès d'un marchant particulier) qui encourage davantage à revendre tout son matos, quitte à se retrouver avec un set discordant, et surtout l'absence pure et simple d'arbre de compétence. Oui, vous avez bien lu, dans Dungeon Siege III vous n'aurez pas besoin de choisir comment jouer votre personnage, puisque vous débloquerez de toute façon les neuf compétences disponibles bien avant la fin de l'aventure. L'unique subtilité sera l'ordre dans lequel vous débloquerez ces compétences, et surtout les améliorations que vous leur accorderez (par exemple choisir si un sort de soin redonne plus de points de vie ou confère un boost d'armure, voire les deux). Bien sûr, il y a une feuille de traits, mais celle-ci est relativement vague et ne confère pas de statistique permanente (par exemple un bonus de 5% d'agilité, pas 5 points supplémentaires). Résultat, notre style de jeu est uniquement déterminé par l'équipement que l'on ramasse, si je veux me faire une Katarina ranged qui crit comme une grosse cochonne et que je n'ai que des pièces d'armures élémentaires, je l'ai dans l'os. On comprend bien la volonté de la part d'Obsidian de tout simplifier au maximum pour ne part effrayer les joueurs moins avertis, mais cela se fait au détriment des autres joueurs, ceux qui attendaient vraiment ce jeu (les fans de Dungeon Siege I & II par exemple, aussi étonnant que celui puisse paraître).
On l'aura compris, l'aventure en solo est tiédasse. En coop, ceci dit, c'est bien mieux, déjà parce que l'on n'est plus obligé de traîner avec un bot con comme ses pieds, et surtout parce qu'à deux en local ou quatre sur le Live, le jeu ressuscite le vénérable Gauntlet en une déclinaison un peu plus sérieuse et moins arcade, mais tout aussi amusante. Quatre personnages, quatre styles de jeu, une caméra plutôt efficace, une histoire qui passe au second plan au profit de gros monstres à défourailler, un désaccord sur la marche à suivre ("Tue-le !" "Non, sauve-le!"), des pizzas et du Coca, aussi cliché que cela puisse paraître cela fonctionne à merveille, à condition d'avoir des amis sous la main évidemment. Que ce soit sur le Live ou en local, le jeu utilise le système Drop-In/Drop-Out qui s'avère très convivial mais amène un point de détail qui en fera tiquer plus d'un. En effet, impossible d'arriver sur une partie avec son propre personnage, tout étant lié à la sauvegarde de l'hôte. Imaginons par exemple que vous arriviez sur une partie en cours et choisissiez de jouer Anjali ; si un autre joueur est passé avant vous, ou que l'hôte avait Anjali comme équipière en solo, vous écoperez du personnage qu'ils ont "créé", avec le même équipement, les mêmes compétences... Potentiellement énervant, mais pas tant que cela, car comme on a pu le voir les possibilités de personnalisation sont tellement faibles que l'on a toutes les chances de se retrouver avec un personnage générique assez proche du notre (d'autant que chaque personnage représente un style de combat bien particulier, difficile d'être perdu donc). Cette simplicité est surtout un atout pour lancer une partie à quatre sans passer des heures dans les menus, et favorise évidemment les parties privées entre quatre amis plutôt que les parties publiques où chaque inconnu entrant et sortant de la partie modifiera à sa façon un personnage donné.
Je suis très sévère à l'égard de ce Dungeon Siege III, mais il faut quand même avouer que, malgré l'énorme déception qu'il représente avec son genre un peu bâtard, malgré la technique un peu faiblarde et le manque d'inspiration général du titre, je l'ai fini (deux fois même, au passage proposer une aventure d'une dizaine d'heures et pousser à la faire quatre fois sous prétexte de quatre points de vue différents, bof bof) sans vraiment le détester, ni vraiment l'adorer. La coop est bien évidemment plus intéressante que le solo, mais c'est aussi l'occasion de constater la faiblesse générale de l'aventure, où les rares bonnes idées sont généralement masquées par quelques points noirs et un océan de classicisme. Le jeu nippon, ni mauvais, quoi.