Critique garantie sans spoiler.
C'est certainement présomptueux de noter d'un joli 10 un jeu que l'on a fini comme un goinfre le jour-même de sa sortie, mais pour Portal 2 j'ai envie de faire cette exception. Le jeu le mérite. Pour être tout à fait franc, l'être froid et objectiviste en moi m'exhorte à revoir la note vers le bas, parce que l'on n'est jamais certain d'un jeu sur le long terme (je dois changer de Top 10 tous les 6 mois à peu près), et parce que l'on peut toujours trouver des défauts, aussi infimes soient-ils. Mais présentement, la petite voix de ma conscience, je l'emmerde.
Je l'emmerde parce que ça me ferait mal de mettre ne serait-ce que 9 à ce gigantesque coup de coeur qu'est Portal 2. Des défauts ? Oui il y en a, pour le joueur qui attendait ce jeu au tournant, qui s'amusera à l'inspecter sous toutes ses coutures avant de lancer comme une bravade au Monde entier : "Vous voyez, c'est une suite, donc c'est forcément de la merde, je suis le seul à avoir été lucide à ce sujet !" (pas de chance, ils sont des centaines à penser la même chose). Alors le joueur jouera, il enchaînera les puzzles sans vraiment se soucier du remarquable scénario, il verra le générique de fin au bout de 6 heures, avant d'en arriver à la conclusion que Portal 2 n'est que deux fois plus long que Portal 1 (sacrilège). Puis il se mettra du coup à calculer le prix de revient du jeu (8€ de l'heure, à ce prix-là autant aller voir Avatar au cinéma) en occultant dans la foulée le mode de coopération en ligne qui double facilement la durée de vie. Et enfin il se plaindra de la radinerie de Valve de faire payer pour des ajouts cosmétiques parfaitement dispensables, lui qui cinq minutes plus tôt comptait ses sous comme un Ténardier pour être certain de s'être fait avoir (car c'est bien connu, à plus de 5€ l'heure de jeu, on ne s'amuse pas).
Puis finalement, on se rendra compte qu'à force de faire d'aussi froids calculs, le joueur s'était condamné lui-même à passer un mauvais moment, et que le jeu ne pouvait plus rien pour lui de toute façon. Même un Companion Cube a plus d'humanité à côté.
Dieu merci, je ne suis pas ce joueur-là. Quand Portal 2 a été annoncé, je l'attendais avec un mélange de circonspection et d'excitation. La peur de se retrouver avec une suite dénaturant le matériau initial (c'est particulièrement courant dans le milieu) côtoyait l'excitation de retrouver ces salles de tests au blanc clinique, ce centre scientifique labyrinthique, cette IA tueuse et cynique, ce flingue qui ne tue pas de gens et se contente de lancer des portails qui font 'plop', cette héroïne mutique et pugnace. Dès le début, le jeu évapore doucement ces grandes craintes et pose cartes sur table : vous avez aimé Portal 1 ? Et bien Portal 2 c'est la même chose, mais en (beaucoup) mieux.
(Profitons-en pour placer un paragraphe ninja énumérant les bullet points de tout bon test qui se respecte : Portal 2 se base sur le moteur Source quelque peu vieillissant mais tient très bien la route, le jeu est parfaitement fluide même sur des configurations modestes ; Portal 2 est beau car il bénéficie d'une direction artistique et d'un level design qui le mettent particulièrement en valeur ; Portal 2 est court mais intense, la rejouabilité est quasi-nulle sauf si comme moi vous ne jouez pas pour récupérer des achievements mais pour vous amuser et vivre de belles aventures ; Portal 2 bénéficie d'une excellente ambiance sonore, les voix sont parfaites, les musiques et les bruitages très réussis ; Portal 2 propose un gameplay particulièrement malin, accessible dans son approche et complexe dans son exécution ; Portal 2 possède un très bon scénario, une histoire plutôt simple mais remplie de nombreuses subtilités, un peu comme Avatar mais en réussi. Voilà, vous pouvez reprendre la lecture du pavé maintenant.)
Le jeu ne se targue pas de (et n'a jamais voulu) réinventer la roue, il en a simplement repris les éléments primitifs pour les améliorer et créer une roue qui tourne encore mieux. Pour autant, le cahier des charges ne ressemble pas à une vulgaire check-list de tout ce qui a contribué au culte de Portal 1. Les références sont choisies, égrenées avec parcimonie, de façon à proposer une expérience familière mais pleine de surprises. Les évènements s'enchaînent avec la précision d'un coucou suisse, et chaque salle de test résolue est une véritable gratification, entre le pas de plus vers la sortie et la perspective d'entendre un nouveau trait d'esprit de la part de l'IA gardienne, ou de farfouiller en-dehors des sentiers battus à la recherche d'indices.
A ce sujet, n'espérez pas retrouver en Portal 2 une compilation de puzzles trop ardus pour figurer dans le premier, ou un quelconque challenge digne des hardcore gamers que nous sommes. Sans verser dans une casualisation outrancière, le jeu se révèle assez simple, d'autant plus que les principes basiques des portails sont désormais totalement assimilés depuis Portal 1. Malgré tout, l'introduction de nouveaux éléments au sein des salles de test permettent d'explorer de nouvelles mécaniques de jeu et amènent le joueur à se creuser un peu plus la tête.
Rien d'insurmontable cependant, et à l'instar de Portal 1, il apparaît évident que Portal 2 a sacrifié un peu de sa difficulté générale au profit d'un rythme plus fluide. Une solution que je n'aurai de cesse de saluer, tant ce dernier frôle la perfection. Tout au long des huit heures de mon aventure, je ne peux me souvenir d'un passage qui soit vraiment en-dessous du reste (Valve a vraiment fait énormément de progrès en la matière depuis Half-Life 2). Tout est maîtrisé de A a Z, de façon à ce que chaque chapitre propose son lot de moments mémorables. En fait, Portal 2 est un véritable cours magistral de game design, le prof moustachu et soporifique en moins. Sans vraiment rentrer dans les détails, sachez simplement que Portal 2 est un modèle du genre, surclassant aisément 99% de la production actuelle. L'écriture est excellente, mettant en scène une histoire simple mais riche en rebondissements, et le voice acting est absolument génial.
Ces deux éléments à eux seuls permettent au jeu de sortir du lot. Pourquoi ? Parce que comme en de rares occurrences, on a ici l'occasion d'accorder une véritable importance à l'univers et aux personnages qui nous entourent. Arriver à un tel résultat avec simplement des cubes et des robots est vraiment impressionnant, je trouve. Quand on y repense, depuis quand n'a-t-on pas eu l'occasion d'être véritablement ému devant un jeu vidéo ? De rire franchement devant un personnage à la bêtise imparable, d'avoir un énorme sourire à l'écoute d'une bonne réplique, de rester bouche bée suite à un rebondissement improbable, ou même d'éprouver un certain malaise face à la tournure qu'un évènement est en train de prendre ? Je suis peut-être très bon public, mais je n'avais pas vécu un tel sentiment de nostalgie après la fin d'un jeu depuis Okami.
A défaut de marquer une nouvelle étape dans l'univers vidéoludique, je pense que Portal 2 va servir de maître-étalon pour les productions futures, à l'instar de ce que font les studios Pixar vis-à-vis des films d'animation. C'est la preuve qu'un jeu peut être à la fois accessible, amusant et enrichissant. C'est ce qui empêche le médium de sombrer dans une pure optique de divertissement, comme pour le cinéma. Ces jeux-là sont rares, il faut les bichonner, ils ont cette aura qu'ont les grands films : peu importe leur durée, peu importe leurs qualités ou défauts intrinsèques, peu importe leur intérêt sur le long terme, ils trouveront toujours leur place sur cette fameuse étagère de dvds, de livres et de cds que l'ont ressort régulièrement. Juste pour le plaisir.