Temps de jeu : 40 heures
Test rédigé pour Nintendo-Difference [#6]
Initialement sorti sur PC et PS4 en avril 2016, Enter the Gungeon a fait son trou sur Nintendo Switch le 14 décembre dernier. Respectivement édité et développé par Devolver Digital et Dodge Roll, ce rogue-like teinté de shoot’em up entend plonger le joueur à la recherche d’un trésor légendaire. Véritable succès critique dans la sphère indépendante, que faut-il penser de son arrivée sur la console hybride du petit artisan ? Transition réussie ou portage flingué, tout ce qu’il faut savoir réside dans ce test.
On craint des guns !
Sur une lointaine planète se dresse une sinistre forteresse, plus connue sous le nom de Gungeon. Nombre d’aventuriers et de mercenaires s’y sont aventurés, tous dans l’espoir d’en ramener le plus précieux des magots : un flingue capable de tuer le passé. Si beaucoup sont descendus dans les entrailles du donjon, peu ont eu la chance d’en revenir. Récupérer cet artefact demandera de terrasser les créatures qui y ont élu domicile, régnant sans partage sur les salles obscures qui composent chaque étage du Gungeon. Plus étonnants, ses murs qui se déplacent sans cesse, métamorphosant la structure de l’édifice à chaque nouvelle partie. Enfin « métamorphose », c’est vite dit ; si l’agencement des couloirs et des pièces parvient à créer l’illusion, force est de reconnaître que l’architecture des salles elles-mêmes peine à se renouveler. En résulte une génération aléatoire assez prévisible, tant chaque étage a tendance à répéter plus ou moins son propre pattern. À la tête d’un des six personnages (deux sont à débloquer), le joueur devra traverser six niveaux pour mettre la main sur le pactole.
En chemin, il croisera la route de nombreux ennemis, coffres et personnages mystérieux, tous uniques dans leur design ou leur petite histoire. À deux ou trois détails près, chacun des protagonistes reste semblable dans son approche du gameplay. Équipés d’une arme basique (parfois d’une deuxième), d’un objet passif ou actif, d’un point d’armure supplémentaire ou d’une capacité à trouver plus facilement des soins, ils n’auront finalement que peu d’impact dans la manière de jouer. Une fois sa décision prise, le joueur devra se rendre dans une salle dédiée à l’apprentissage ; non pas que le jeu soit très complexe dans ses commandes, mais surtout parce qu’il est impossible de démarrer l’aventure tant que le tutoriel n’a pas été assimilé. Clair et net, ce premier contact a également le mérite d’être concis, ne s’attardant jamais inutilement sur les mécaniques présentées. En plus de défourailler à tout va, le joueur peut également exécuter une roulade pour éviter les tirs ennemis ou traverser un ravin ; reste que le mieux, c’est de pouvoir retourner une table et s’en servir comme protection.
Balles au prisonnier
À chaque nouvelle salle découverte, le joueur a l’occasion de mettre la main sur un coffre. Pour ouvrir ce dernier, s’il est possible de le crocheter par un certain moyen, le plus facile reste d’user d’une clef en argent. Disponible à l’achat chez un marchand du Gungeon (un par étage), on en trouve également sur les monstres qui parcourent les lieux ; encore faut-il « bien jouer », comprenez par là qu’il ne faudra pas subir le moindre dégât. Chaque coffre peut contenir une nouvelle arme, un artefact passif ou actif, des soins ou – plus rarement – n’être qu’une doublure maléfique, à savoir une Mimique. En dehors du butin, les pièces du donjon renferment surtout des créatures hostiles. Si leur nombre et leur espèce sont générés semi aléatoirement (le jeu prend en compte la difficulté propre à chaque étage), il sera demandé au joueur de tous les éliminer pour pouvoir reprendre sa route, toutes les issues de la pièce étant condamnées une fois le combat engagé. Plus rarement, les aventuriers devront délivrer des PNJ à l’aide d’une clef en or, laquelle est généralement gardée par le boss du niveau.
Parmi ces mystérieux personnages, une majorité n’est composée que des marchands. Ces derniers proposeront des services bien spécifiques dans le Gungeon, mais également dans la Brèche (le hub du jeu). Si les premiers permettent de s’équiper une fois dans le donjon, les seconds, eux, débloqueront de nouvelles armes pour les futures parties ; ce qui ne veut pas dire que vous tomberez dessus dès votre prochain run. D’autres PNJ proposeront des défis ou donneront la possibilité d’accéder à l’étage de son choix. En effet, rogue-like pur jus comme il est, Enter the Gungeon demandera au joueur de recommencer à zéro à chaque fois qu’il mourra. Particulièrement addictif, le gameplay du titre permet de passer outre une certaine répétitivité. Il faut dire que la difficulté générale est sacrément bien dosée, notamment dans ses boss. Sans forcément être originale, ni même posséder le rythme effréné d’un vrai danmaku, l’oeuvre de Dodge Roll parvient à plonger le joueur dans une quête au fun potentiellement infini, tant il est généreux en contenu. Avec un tas d’armes plus débiles les unes que les autres (un canon à tee-shirt, une ruche d’abeilles ou une réplique du Zapper NES), un bestiaire varié, mignon et saupoudré de jeux de mots délicieusement nazes, se balader dans le Gungeon se révèle étonnamment drôle.
Au dessert, il gueule
Malheureusement, être varié ne signifie par être utile. Une fois testées, de nombreuses armes se verront délaissées tant elles se révèlent moins avantageuses que celles de base. Quant à celles qui parviennent à retenir l’attention du joueur, nul doute qu’il préférera économiser leurs munitions pour atomiser un boss. Au final, malgré son riche arsenal, peu de flingues parviendront à trouver preneur. Dans un tout autre registre, il est regrettable qu’Enter the Gungeon souffre d’un sound design aussi peu convainquant ; même le plus puissant des revolvers ne parviendra pas à faire disparaître cette sensation de pistolet à billes, tant les impacts sonores sont relativement faiblards. Un reproche qui trouve écho dans la bande-son du titre, certes bien foutue, mais trop hétérogène et jamais assez frénétique. Plus de variété et de peps auraient été bienvenus. Un reproche similaire qu’il est possible de faire à la direction artistique, agréable, mais jamais vraiment marquante. Le joueur appréciera surtout le chara-design des monstres, très cartoon et franchement mignon, mais aussi, et surtout l’apparence du Grimoire (l’encyclopédie du jeu), lequel donne toujours envie d’y jeter un coup d’œil.
Autrement plus gênantes, les fusillades souffrent parfois d’un manque de clarté évident, notamment dans des grandes salles blindées d’ennemis ; entre la pluie de balles à esquiver, la structure parfois alambiquée de la pièce et les trop nombreux effets graphiques inutiles (des livres qui virevoltent quand on tape dedans), il peut être difficile de ne pas perdre de vue son personnage et la trajectoire de ses tirs. La caméra elle aussi n’est pas exempte de défauts, quand bien même les problèmes qui y sont liés se montrent moins récurrents. Lorsque le joueur vise avec son arme, la vue est déportée sur tout ce qui lui fait face ; ce qui se trouve derrière le personnage est en revanche caché. L’apparition de créatures éloignées n’étant par ailleurs pas indiquée, il ne sera pas rare de recevoir des projectiles ou des explosions dans le dos sans rien pouvoir faire. Un petit avertissement ou une caméra moins décentrée durant la visée auraient certainement réglé ce fâcheux problème, plus frustrant que réellement punitif. Ce ne sont pas les Ballablancs (capables d’annuler toutes les boulettes durant un court laps de temps) qui parviendront à effacer cette tare.
Verdict : Oui !
S’il a des allures de Nuclear Throne, le jeu de Dodge Roll se rapproche en réalité bien plus d’un Binding of Isaac. Outre les issues fermées lorsqu’une salle est emplie de monstres, c’est surtout dans sa gestion de l’aléatoire qu’il trouve ses similitudes. S’il est en effet un poil trop basé sur la RNG (les armes, les ennemis, les bonus, les PNJ, les butins, les boss…), difficile toutefois de passer son chemin. Non seulement les parties s’enchaînent à merveille, mais la possibilité de sauvegarder à chaque étage (environ toutes les dix minutes) en fait un compagnon de voyage parfait. Joli pour les yeux et doté de musiques entraînantes, agréable dans sa maniabilité et bourré de contenu, le titre parvient à se renouveler des dizaines d’heures durant sans jamais ennuyer le joueur. Côté technique, en dehors de légers ralentissements lorsque l’écran fourmille de projectiles, force est de constater que les écrans de chargement sont assez longs. Doté d’un challenge relativement abordable malgré quelques soucis de lisibilité, Enter the Gungeon est un excellent rogue-like, à défaut d’être le meilleur. Pour près de quinze euros, ce serait un crime de s’en priver.