Every Day the Same Dream est un serious game, une sorte puzzle voire une énigme étendue sur un quart d'heure, qui est sorti en 2009. Créé en moins d'une semaine, il s'agit d'une expérience courte et parfaitement cohérente qui à défaut d'être amusant ou difficile aura su utiliser le jeu vidéo comme une forme de discours sur notre monde. À travers ce titre, Molleindustria entend illustrer le concept de l'aliénation au travail dans notre monde occidental. On y joue un homme – un cadre sans doute – qui se rend à son travail monotone chaque jour inlassablement. Il apprend par la bouche d'une veille femme qu'il sera une nouvelle personne s'il traverse cinq étapes. La conclusion de tout cela étant son suicide sur son lieu de travail.


Inutile de dire que tous les éléments de Every Day the Same Dream converge vers ce propos et qu'il est jusqu’au-boutiste dans sa démarche. Non, inutile d'analyser à nouveau cette cohérence, d'autres articles et d'autres critiques l'ont fait. Je souhaiterais vous parler de ce que Every Day the Same Dream m'inspire comme questionnement : la problématique du libre arbitre et du choix.


De prime abord, ce choix de dissertation peut sembler surprenant puisque Every Day ressemble plus à une énigme à la solution unique qu'à un jeu ou un problème où on pourrait atteindre un même résultat à travers plusieurs alternatives possibles. La différence entre un puzzle et un problème se pose là : on cherche la solution pour résoudre un puzzle, on cherche une solution pour résoudre un problème. Every Day est un long puzzle qui se décompose en cinq étapes à découvrir au cours de sa partie. Le joueur n'a jamais le choix. Il suit « l'intrigue » concocté par les développeurs ou abandonne. Peut-on vraiment se demander si le jeu parle de liberté et de choix dans ces conditions ?


Normalement, là, il y a un petit déclic et vous comprenez où je veux en venir. Surtout si vous avez touché au jeu.


Oui, on la fait courte, Every Day parle de la recherche de liberté. Sa question est simple : peut-on se libérer de notre quotidien ? Par quels moyens ? Est-ce par le refus du travail, est-ce par l'anticonformisme, est-ce par le retour à la nature ou est-ce tout simplement le suicide qui nous (l'avatar, le joueur) sauvera de cette boucle sans fin ? Cette recherche de liberté est suggérée par ce que dit et ne dit pas le jeu sur ses objectifs finaux. Le titre guide votre expérience et vos comportements pour que vous réalisiez une journée ordinaire. Il vous guide par des conventions de jeu vidéo (le personnage apparaît à gauche de l'écran et doit se diriger à droite) et par sa ressemblance avec la réalité (s'habiller avant de travailler, se rendre dans son bureau comme un employé normal). Vous êtes libres de continuer à revivre cette expérience à l'infini comme chaque jour vous êtes libres de vous rendre à un travail que vous n'aimez pas et de respecter les contraintes imposées par la société. En revanche, la fiction, le divertissement et l'art vous offre la possibilité supplémentaire de vous évader de ce quotidien et d'un travail aliénant. Mais, dans Every Day the Same Dream, cette évasion n'est pas donnée, vous devez la chercher, vous devez trouver des moyens de sortir des sentiers battus et de la répétition. Alors, vous expérimentez, vous faites quelque chose de différent, vous faites littéralement n'importe quoi, vous « questionnez » le jeu.


À ce stade, on peut interpréter la liberté dans Every Day the Same Dream comme la recherche de faire quelque chose de différent, en dehors du cadre. De choisir de ne pas faire comme les autres. La liberté, ici, c'est sortir des sentiers battus et ne pas faire comme ses milliers de camarade. La liberté c'est choisir une possibilité qui ne s'offre pas a priori à nous. Être libre ce n'est pas choisir une alternative, mais en chercher une supplémentaire. Une leçon forte exprimée par le jeu, car les indications sur ce qu'on ne peut pas faire (mais qu'on devra faire pour voir la fin du jeu) sont inexistantes. Une seule phrase pour nous dire combien d'étape il nous reste « avant de devenir une nouvelle personne », c'est tout. Alors, que les jeux nous guident constamment sur notre objectif principal et final, le pari du titre de Molleindustria est de cacher volontairement son véritable objectif pour servir son propos. Il faut comprendre et faire ce que le jeu attende de nous sans qu'il nous l'ait demandé, alors même qu'il dit suggère le contraire.


Et toute l'ambiguïté de la proposition et de la réflexion est là. L'objectif du joueur en tant qu'acteur au sein de l'univers du jeu est d'être anticonformiste, contre les attentes tacites de la société ; son objectif en tant que joueur de jeu vidéo est de se conformer aux attentes non-dites par les développeurs pour résoudre ce puzzle. « Vous n'êtes pas exceptionnels » disait Tyler Durden. Réussir Every Day the Same Dream ce n'est pas jouer différemment à Every Day the Same que les milliers de joueurs qui l'ont fait. Vous ne faites pas un speed-run, vous n'exploitez pas de bug, vous ne faites pas de gameplay émergent. Votre recherche de liberté s'est soldée par un comportement anticipé et souhaité par les développeurs en plus d'être stéréotypé. Être libre, est-ce vraiment faire quelque chose de différent quand bien même tout le monde le fera ? La question est sans doute plus complexe que cela, évidemment, puisque le personnage et le joueur ont réussi à échapper à la monotonie du quotidien et de la boucle de jeu. Ils ont échappé temporairement à la répétition et à la mélancolie qui l'accompagnait. Cette fuite s'est soldée par un suicide, mais qu'importe.


L'avatar ne tient pas face à ce paradoxe. Ses choix, ses tentatives de rébellion, ses alternatives n'ont aucune conséquence prise isolément. Une fois tous ces choix faits et trouvés ils le conduisent à sa chute. Je pense que ce constat pessimiste vient, selon ma lecture d'étudiant en psychologie sociale, d'une recherche d'absolu. Si la nature ou l'individualisation ne permet pas à l'avatar de se libérer durablement de son quotidien, c'est qu'il cherche à tout prix un idéal absolu. Ce n'est pas le quotidien ou la société qui le tue, c'est ce manque de sentiment de contrôle, cette impuissance à accéder à cet idéal. Le libre arbitre absolu où la conscience serait la source ultime et unique de chacune de nos actions, où nos choix seraient illimitées parce que nous aurions choisi au-delà des limites imposées. C'est totalement faux. Une telle pensée, un tel idéal nous empêcherait de vivre et dans une moindre mesure (presque anecdotique) d'apprécier les jeux vidéo. Des conceptions « compatibilistes » de la liberté est à considérer : nous acceptons le déterminisme qui nous anime et le fait que nos décisions soient le produit d'influences extérieures tout en croyant en l'idée du libre arbitre.


Le libre arbitre n'aurait beau être qu'une illusion encore plus grande que tous les jeux et toutes les fictions auxquels nous avons joués, elle n'en demeure pas moins une illusion essentielle. Peut-être l'illusion la plus vitale de toutes. Every Day the Same Dream présente métaphoriquement cette nécessité à travers l'aliénation de son avatar et le paradoxe vécu par le joueur. Cette désillusion sur la liberté, cette quête d'absolu vaine, cette recherche ne peut se solder que sur le suicide de l'avatar ou l'abandon du joueur.


Le jeu (gratuit) : http://www.molleindustria.org/everydaythesamedream/everydaythesamedream.html
La source de ma réflexion : Sciences humaines – Liberté Jusqu'où sommes-nous libres ?

H_Zinzolin
8
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le 5 avr. 2018

Critique lue 425 fois

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H_Zinzolin

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