Sur le papier, ça fait honnêtement grave envie. À tel point que je suis même prêt à pardonner les petits relents créationnistes du scénario… Sorti ironiquement le 21 décembre 1992 au Japon, soit le jour de l’extinction des Hommes si l’on en croît le très fiable calendrier maya, mais également quelques 16 années avant un certain Spore, E.V.O. – Search for Eden nous propose d’incarner un petit craniate paumé au fin fond de l’antédiluvienne Panthalassa et de suivre son évolution à travers les Âges jusqu’à l’apparition des premiers sapiens, au travers d’un rite initiatique qui lui permettra d’accéder à l’Eden et de demeurer aux côtés de la déesse Gaia…tout un programme !
Si on excepte notre petit avatar qu’on peut faire évoluer en une bonne grosse abomination de la nature inconnue des livres d’Histoire et de la science, il faut reconnaître à EVO un certain effort pour la retranscription assez précise de l’évolution du monde et des espèces. Ça passe bien sûr par les différents règnes animaux successifs (poissons, amphibiens, dinosaures, mammifères), mais également par de petits détails appréciables comme l’agencement des maps de chaque Âge qui prennent la forme des anciens supercontinents tels que nos connaissances actuelles les supputent (Pangée, Laurasia/Gondwana, Rodinia, etc). C’est réellement assez bluffant. Le jeu s’autorisera tout de même quelques écarts vers la fin, avec une évolution surprenante des oiseaux et même une intervention exoplanétaire…
Quant à nous, on commence tout en bas (ou presque) de la chaîne alimentaire, gobant des méduses quasi inoffensives qui se transforment en quartier de viande une fois vaincues. Ces mets de choix ont une double utilité, servant à la fois à régénérer quelques points de santé et à acquérir des points EVO, nécessaires à l’amélioration de notre bestiau ; ainsi, on gagnera en vitesse en "investissant" dans des nageoires plus évoluées, on améliorera sa défense en renforçant son corps, on deviendra plus puissant en développant des cornes ou des crocs, etc. Attention tout de même, certains changements n’ont pas que des avantages (augmenter la défense par exemple réduit généralement la vitesse), et ça aurait d’ailleurs été sympa que le jeu nous donne une idée préalable de l’évolution des stats (un peu comme quand on cherche à équiper une armure dans un RPG traditionnel). On pourra certes toujours opter pour un autre "upgrade" ou déséquiper un mauvais choix, mais l’un comme l’autre requerront alors encore de précieux points EVO…
Le mot précieux n’est d’ailleurs pas choisi au hasard : le "transespécisme", ça coûte une blinde, et c’est d’ailleurs l’un des premiers défauts du jeu : il faudra très souvent farmer encore et encore les stocks de bouffe ambulants, histoire d’être toujours à la pointe de l’évolution, un peu comme un drogué des technologies actuelles change son iphone tous les deux ans pour rester dans le coup. C’est une étape primordiale si l’on souhaite survivre face à une faune sauvage sans cesse plus hostile, les pacifiques méduses des premiers niveaux laissant vite place à des ennemis autrement plus dangereux, comme différents placodermes ou encore des requins… En outre, je ne peux que vous conseiller de garder en réserve quelques points d’EVO avant d’affronter les boss, très souvent puissants et véloces (parfois même un peu trop), sachant que toute modification quelle qu’elle soit (réalisable à n’importe quel moment) restaure entièrement notre barre de PV…
La déesse Gaia elle-même offrira quelques précieuses aides, par l’intermédiaire de cristaux colorés disséminés un peu partout : si les jaunes sont purement informatifs, les bleus nous filent une grosse quantité d’EVO, les rouges nous offrent un surplus temporaire de puissance en nous transformant en une créature spécifique, et les verts permettent de réutiliser -également temporairement- une ancienne forme préalablement sauvegardée…si si, ça peut servir ! Grand/petit, rapide/costaud, bipède/quadrupède, c’est parfois le petit détail qui peut faire la différence, notamment face aux boss précités, parfois -très- relous ! Notez enfin la présence de quelques rares quêtes annexes, pas particulièrement palpitantes (il s’agira souvent d’aller trucider du boss optionnel), mais qui permettent de dévier un peu de la ligne directrice très largement répétitive et linéaire…
En effet, la diversité n’est vraiment pas le maître-mot d’EVO ! À chaque fin de chapitre, on évolue en une forme basique adaptée au futur environnement (apparition des pattes quand on atteint l’ère des amphibiens par exemple), puis on reprend machinalement le procédé cyclique du chapitre précédent : on démarre en bas de la chaîne alimentaire, on repère rapidement les premières proies qui nous permettront de muter prochainement, et on farme… Le jeu a de plus la mauvaise idée de remettre à zéro la jauge d’EVO à chaque nouveau chapitre…alors que le boss final du chapitre précédent nous en a filé un max juste avant ! Absurdité, quand tu nous tiens ! On retrouve également ce manque de variété dans les décors et (surtout) le level design, tout plat pendant 60 % de l’aventure, puis labyrinthiquement casse-burnes sur la fin…
À cela s’ajoute une technique loin d’être exempte de tout reproche, qui rend certains passages très ardu, qu’un jeu déjà globalement difficile n’avait définitivement pas besoin ! Le premier truc qu’on remarque, c’est la hit box bien fumeuse : on aura parfois toutes les peines du monde à toucher un ennemi un chouïa mobile, tandis que lui pourra nous mettre la misère en nous atteignant plusieurs fois consécutivement ! La cerise enfin est incarnée par les ralentissements qui interviennent ponctuellement, parfois même lorsque l’écran ne semble pas spécialement surchargé… Autant dire que lorsque tous les éléments jouent contre nous, la sélection naturelle est excessivement cruelle…
E.V.O. – Search for Eden aurait pu être un véritable chef d’œuvre si son développeur avait su quoi faire de son idée de départ plutôt novatrice à l’époque (il n’y a ni princesse, ni monde à sauver!). Et pourtant, avec la grande épopée de l’évolution, il y avait largement de quoi varier les plaisirs ! Comme trouver des représentants de son espèce pour perpétuer sa descendance (comment on survit d’ailleurs puisqu’on est seul au monde?), se voir rejeté des siens en développant une caractéristique inhabituelle (coucou Raziel :p), proposer une phase de survie extrême lors de l’extinction K-T, constituer des tribus à l’ère des mammifères…les possibilités étaient virtuellement infinies ! Oui, j’en demande sans doute trop à cette bonne vieille super nes, mais entre ces quelques idées balancées ici et là, et le concept basique du "tuer ou être tué", il y avait sans doute un juste milieu…