Partie 1: Le chevalier servant. 8 avril 2012
"Je marche depuis près de deux heures dans le désert brûlant du Mojave, avec le bruit du vent et le crissement du sable sous mes bottes pour seuls compagnons. Un chapeau de cow-boy miteux me protège de l'insolation mais l'air étouffant me dessèche les poumons au rythme haletant de ma respiration. La déshydratation guette. Mes réserves d'eau diminuent. Je me risque pourtant à quelques goulées salvatrices afin de réduire l'horrible picotement qui me démange la gorge. Un pas de plus vers la mort. Je vais pourtant forcément finir par tomber sur une habitation, habitée ou déserte. Le Mojave offre toujours de quoi survivre un jour, une heure, une minute de plus à qui sait chercher.
Un panneau publicitaire. Je déteste ça. Non pas que la folle vulgarité d'un lointain capitalisme me dérange tant que ça. Mais ce genre de plaque gigantesque propose un abri idéal pour les embuscades, quand le reste du décor n'est que plaines poussiéreuses et routes écorchées. Je le savais ! Ils surgissent peu de temps après que j'aie décidé de contourner le piège. Je m'étais déjà fait avoir une fois, manquant la mort de peu. Cette fois, je suis prêt à les recevoir, mon vieux fusil à vermines solidement campé dans mes mains sèches.
Des Jackals. Les anciennes terreurs du Mojave, tuant, violant, s'emparant de tout ce qui passait un peu trop près d'eux. Aujourd'hui, cette bande a largement été mise en déroute par l'armée de la RNC, la nouvelle force vive qui tente de rebâtir la civilisation dans ce coin abandonné même par le Diable. Mes agresseurs sont quatre. Un seul d'entre eux possède un pistolet. Les autres se jettent sur moi pour tenter une attaque au corps à corps. J'ai toutes mes chances... si je suis rapide. Je vise la tête du plus proche. Elle saute comme un bouchon de champagne dans une gerbe de sang coruscant. Contenant une bouffée d'orgueil sadique, je vise le second. Il est déjà très proche de moi. Je tire dans son bras droit, l'obligeant ainsi à lâcher son poignard. L'impact lui fait pousser un cri de douleur et le fait chanceler un peu trop longtemps pour lui offrir une quelconque chance de survie: l'instant d'après, je l'abats d'une balle dans la tête, comme son compagnon.
Je suis touché ! Le type au pistolet, qui me vise de loin. Une balle dans la jambe. J'ai à peine le temps de m'en soucier que le troisième Jackal me frappe déjà la tête avec le vieux tuyau rouillé qui lui sert d'arme. Décontenancé, j'abandonne mon fusil, me saisis de mon pistolet et vide maladroitement mon chargeur dans sa cage thoracique. Son râle d'agonie est noyé dans mes hurlements de rage. Je cherche des yeux le quatrième Raider, le tireur. Il a déguerpi comme un lâche. Il ne faut pas compter sur moi pour lui courir après...
La nuit est tombée à présent. Fourbu, blessé, affamé, je continue à marcher dans le désert, seul sur cette route maudite, priant un Dieu mort pour ne plus faire de rencontres jusqu'au terme de mon voyage. J'aurais préféré m'arrêter à cette petite station service abandonnée que j'ai croisée une demi-heure plus tôt. Mais d'infâmes animaux mutants, les radscorpions, grouillaient dans les environs, et je n'étais plus dans l'état de les affronter. Ma dernière chance est de rejoindre l'avant-poste de Mojave et d'y trouver de l'aide. Je sais que j'y arriverai. Mes pas lourds qui résonnent dans l'obscurité sont là pour en témoigner. Après tout, je suis déjà mort une fois."
Ce petit récit tente de retranscrire l'immersion des premières heures passées dans Fallout: New Vegas. Le mode Hardcore enclenché (indépendant du niveau de difficulté), le joueur se voit contraint de gérer sa faim, sa soif, son manque de sommeil et ses blessures. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette exigence m'aura mis la pression, au début. Ce n'est plus vrai dans la seconde partie du jeu où, pour tout avouer, la gestion de ces facteurs de survie était devenue trop obsolète pour continuer à créer de la tension, la faute à la puissance et aux riches provisions de mon personnage. Peu importe: le bien était fait et j'avais côtoyé les sommets de l'immersion pendant un long moment !
Fidèle à ma volonté de me retranscrire au mieux dans les jeux où il faut construire son personnage de A à Z, j'avais choisi un avatar conciliant et pacifique (quel piètre psychopathe je fais...), pas très doué pour se battre mais préférant régler les conflits par les recherches et le dialogue. Mon but était clairement de ne tuer qu'en cas d'extrême nécessité puisque j'avais appris, pour mon plus grand bonheur, qu'il était possible de terminer le jeu sans verser la moindre goutte de sang. Et ce fut ma première déception: il est effectivement possible d'y parvenir, mais le début du jeu n'est clairement pas pensé ainsi, à moins de devenir très frustrant. S'enfuir dès que l'on voit un ennemi est chiant comme c'est pas permis, tandis que les possibilités d'infiltration sont tellement mal foutues que vous vous faites gauler 2 fois sur 3. Malgré cet agaçant constat, ce Fallout est loin de se résumer à une avancée bourrine et sans saveur. Au fur et à mesure de vos péripéties, vous allez vous retrouver face à un univers d'une richesse démesurée, doté d'une géopolitique passionnante et d'un background qui mélange avec génie des thèmes aussi diversifiés que post-apocalyptique, Western, science fiction des années 50, militarisme moderne et antique,...
New Vegas, c'est une pléiade de factions avec chacune une idée très précise de ce que doit être la nouvelle société humaine, idée parfois incompatible avec celles de ses voisins. Et dans ce maelstrom d'idéaux, c'est à vous qu'il appartient de choisir lequel dirigera le Mojave à l'avenir, puisque votre liberté et l'importance de vos choix façonneront l'univers du jeu selon votre convenance... ou presque ! Effectivement, l'oeuvre d'Obsidian s'enorgueillit d'une écriture extrêmement mature qui empêche toute tentative de simplification ou de manichéisme. Quoi que vous fassiez, des gens vont souffrir, vous haïr. A vous de limiter la casse au maximum... ou de tout foutre en l'air si l'envie vous prend de suivre vos pulsions sadiques. Cette obsession pour la liberté et une fibre scénaristique plus proche de la (bonne) littérature que du cinéma d'action hollywoodien, Obsidian en avait déjà fait la démonstration avec le très intéressant Alpha Protocol (Cf ma critique: http://www.senscritique.com/jeuvideo/Alpha_Protocol/critique/4604550), malheureusement un peu gâché par une technique honteuse et un gameplay pas vraiment achevé qui risquaient à tout moment de ruiner l'expérience de jeu. C'est la même chose pour ce New Vegas, mais à un moindre niveau.
Les graphismes sont pauvres. Passe encore, j'ai appris depuis bien longtemps à ne pas me focaliser là-dessus. Beaucoup moins pardonnable, la direction artistique est assez nulle. Tout se ressemble, les bâtiments sont quasiment des copiés-collés honteux, les villes sont souvent un amas de maisons minables et puis basta. Je sais que la fin du monde a eu lieu, mais c'est pas une raison. Les ruines qui jonchent la terre martyrisée du Mojave auraient pu traduire quelque chose comme une splendeur perdue, mélancolique. Mais non, la seule chose qui vient assaillir votre rétine, c'est un continuel manque d'inspiration, nourri par une pauvreté de textures qui fait proprement bégayer les décors traversés, au risque de vous fatiguer.
Cependant, l'arrivée au Strip de New Vegas, loin de signer la fin de l'aventure, en marque la renaissance. Artistiquement bien plus inspirée, votre liberté explose, le scénario s'emballe, l'ambiance est hypnotique et il devient difficile de lâcher la manette avant la fin, tant la soif de découverte nous étreint. Je ne saurais trop conseiller aux joueurs sceptiques de ne pas abandonner le jeu avant d'avoir atteint ce point crucial du voyage. Personnellement, je viens de le finir après une progression de 150 heures (comptabilisées officiellement, j'approche en vrai les 160 heures de jeu) et, même si j'ai torché toutes les possibilités offertes par le personnage que j'avais créé, je ressens déjà un certain vide.
Je n'ai plus assez de place pour parler de la fantastique ambiance sonore qui vient contrebalancer la déception visuelle: musiques atmosphériques tour à tour angoissantes et mélancoliques, bruits de pas et d'armes très convaincants, quelques doublages particulièrement réussis en VF (surtout les personnages principaux, aux voix uniques, les autres sont malheureusement doublés par 3 ou 4 comédiens qui tournent en boucle mais qui restent quand même potables)...
Fallout New Vegas est une véritable épopée de science-fiction, intelligente et passionnante. Si, comme moi, vous avez horreur d'explorer de vastes mondes vides et dépourvus d'histoire(s) digne(s) de ce nom, vous serez comblés avec le titre qui nous occupe ici: en plus des nombreux évènements que vous vivez en direct et dont vous influencez directement le cours, beaucoup de lieux optionnels que vous visiterez sont hantés par une histoire souvent passionnante que vous découvrirez par le biais de messages écrits ou audio. A ce titre, les Abris anti-nucléaires dans lesquels une grande part de l'humanité s'était réfugiée avant la "fin" du monde proposent des sous-histoires qui font souvent froid dans le dos. L'Abri 11, par exemple, est à découvrir absolument !
Il faut cependant en être conscient, cette incroyable expérience peut être ternie par les nombreux bugs qu'il nous faut supporter. Si j'ai été relativement épargné durant une grande partie de ma progression, la fin a été un véritable cauchemar: en plus de voir disparaitre purement et simplement un de mes compagnons d'armes sans jamais parvenir à le faire revenir, le jeu plantait 3 ou 4 fois par jour, m'obligeant à faire redémarrer sans cesse ma console. Une honte. Des patchs existent, me lanceront certains, mais je leur répondrai que nous ne sommes pas censés payer un jeu en kit mais que, à l'instar de tous les autres médias, il serait peut-être temps de nous fournir des versions complètes dès l'achat. Cet amer constat technique ( à part Deadly Premonitions, je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de pire) m'empêche de peu de crier au chef-d'oeuvre mais ne peut occulter les très grandes qualités narratives, la profondeur du background, l'intensité de l'immersion et le gameplay vraiment sympathique qui vient les soutenir, pour un plaisir ludique rarement rencontré dans le petit monde des RPG modernes.
Partie 2: le psychopathe. 8 avril 2014
« Franchement, je ne pourrais pas dire de quoi je suis le plus fier maintenant que mon aventure est terminée. Allez, je m'essaye à un top 5 de mes pires atrocités:
5) Commettre un attentat et faire accuser un pauvre soldat qui trimbale dans sa poche une grenade que je lui ai discrètement dégoupillée...
4) Faire accuser un père du meurtre de son propre fils... meurtre commis par moi-même bien entendu.
3) Me mettre au cannibalisme et dévorer plus de 300 personnes.
2) Pousser une jeune fille à tuer sa propre mère et la féliciter pendant que son esprit s'effondre.
1) Assassiner le médecin qui m'a sauvé la vie, au tout début, et réduire en esclavage son gentil village.
Ils vont tous me manquer à présent... mes petits jouets adorés. »
Revenir à New Vegas 2 ans plus tard et jouer au psychopathe pendant 120 nouvelles heures, c'est en même temps très défoulant... et assez frustrant. Le jeu n'a clairement pas été prévu pour qu'on puisse totalement se lâcher et même si certains événements m'ont permis de jouer un rôle qui m'a presque choqué, ou du moins durablement dégoûté, la plupart du temps les actes de cruauté sont bien moins scénarisés que les bonnes actions. Je ne préciserai rien pour ne pas trop spoiler, mais les réactions des gens sont généralement moins crédibles, il y a moins de dialogues et, parfois, des incohérences apparaissent et détruisent le peu de mise en scène que propose le jeu. Assez moyen sur ce coup-là, sans compter qu'il y a beaucoup moins de missions destinées aux salauds qu'aux chevaliers servants.
Du coup, être un salopard consistera principalement à voler et tuer plein d'innocents tout en accomplissant pas mal de bonnes actions (à moins de passer outre les 3/4 des quêtes annexes). Heureusement qu'il y a tout de même de nombreuses petites subtilités dans les missions qui vous donnent la possibilité de construire un RP plutôt amusant. La solidité du background permet d'être assez inventif à ce niveau, comme en témoigne mon joli Top 5 ci-dessus.
Hélas, une deuxième partie oblige à se rendre compte de quelques petites imperfections supplémentaires, principalement au niveau du système de dialogues: si ces derniers sont effectivement très bien écrits, le système de « joutes » oratoires est pratiquement inexistant: il consiste à simplement augmenter ses stats « discours » pour pouvoir sélectionner les options de dialogue marquées d'un pourcentage de réussite. Lorsque le joueur possède le bon pourcentage, il lui est alors carrément indiqué ce qu'il faut dire pour persuader son interlocuteur. Pourquoi nous empêcher de réfléchir par nous-mêmes ? Pourquoi tous les conflits deviennent-ils si simples à résoudre ? « Alpha Protocol », des mêmes développeurs, était juste cent fois plus efficace à ce niveau...
Je ne reviendrai pas sur les ralentissements, les bugs à la pelle, le système de karma (bonnes et mauvaises actions) totalement raté (voler vous donne systématiquement du mauvais karma... mais tuer, même des innocents, pas toujours !). Des tas de petites choses étaient encore à régler pour faire de ce jeu un chef-d'oeuvre... Mais il est déjà plus profond, plus immersif (l'ambiance sonore est merveilleuse, c'est une honte de ne pas en avoir parlé davantage !) et plus mature que 90% de la production vidéoludique. C'est d'ailleurs le seul jeu de cette génération auquel je repense encore de temps en temps, tellement l'univers m'a passionné et même, j'ose le dire, profondément marqué. Alors relever les défauts par souci d'objectivité, oui... Mais taire la passion que j'ai pour ce jeu inespéré, non. Ménagez-vous un mois plutôt creux. Respirez profondément, ouvrez votre esprit et déposez un instant vos préjugés esthétiques les plus ancrés. Une expérience peu commune peut alors vous ouvrir les bras pour un long, très long moment...
A vous de voir jusqu'où vous êtes prêts à creuser pour trouver des trésors...